• Aucun résultat trouvé

Pour le secteur privé, cette intervention internationale massive génère deux types de conséquences. D’un côté, les entreprises privées sont relayées par l’offre de santé extérieure en pleine expansion. Ainsi, l’intérêt qu’elles avaient eu à s’engager afin de pallier l’absence de prise en charge publique se trouve nécessairement amoindri. D’un autre côté, elles sont encouragées à joindre leurs forces à « la bataille » et à devenir des partenaires de la lutte, au sein de politiques multisectorielles. Au final, ce moment représente l’apogée de la mobilisation du secteur privé dans la lutte contre le VIH/sida. Certains parlent d’une véritable « mode du sida » au sein du secteur privé. Selon leur degré d’implication, les entreprises développent des programmes de prévention (information, sensibilisation, dépistage), financent éventuellement la prise en charge financière des frais médicaux allant au-delà des ARV et des bilans qui sont subventionnés par les partenaires internationaux (infections opportunistes, bilans biologiques, charge virale, et éventuellement tests de résistance, suivi psycho-social, nutritionnel). Elles peuvent également offrir un circuit de soins privilégié (conventions avec des structures de santé privées).

Parallèlement à ces premières entreprises essentiellement basées à Abidjan, la capitale économique qui concentre 80% des entreprises de Côte d’Ivoire, les entreprises agro- alimentaires connaissent une configuration et une temporalité très spécifique. En zone rurale, les entreprises privées ont plus longtemps souffert de l’absence d’une offre de santé publique, et ce de manière exacerbée dans les zones CNO (centre, nord, ouest), sous contrôle de la rébellion depuis 2002105. Malgré leur longue tradition de santé publique et de substitution à l’État liée à leur enclavement naturel, celles-ci n’ont pas été les moteurs de la prise en charge en zone rurale. En Côte d’Ivoire, celles-ci ont été moins touchées par l’épidémie que les zones urbaines. Les entreprises privées ont attendu106 que la politique de décentralisation soit amorcée au niveau national (en 2006) pour développer des activités de prise en charge du VIH/sida107. A la différence des entreprises situées en zone urbaine, les employés (dépassant ))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))

105

Cf Encadré 3 Impact de la crise post-électorale sur le système de santé et la gestion du VIH/sida en Côte d’Ivoire » p.123.

106 Excepté pour la SAPH, basée non loin d’Abidjan. 107

D’une part, elles se sont rapprochées de l’offre de santé au niveau régional et se sont intégrées au sein des activités du district sanitaire (formation de leurs médecins, accès aux intrants et ARV) ; et d’autre part, elles ont pu contracter des partenariats ponctuels avec les grandes ONG de mise en œuvre (EGPAF, Aconda-VS), qui leur a fourni un appui technique et matériel. Voir le Chapitre 6.

souvent plusieurs milliers) dépendent étroitement de l’offre de santé proposée par leur entreprise et celles-ci jouent (aujourd’hui encore) un véritable rôle de santé publique, se substituant aux structures de santé publique. Une poignée des entreprises privées du secteur de l’agro business initie ainsi une prise en charge du VIH/sida.

En 2009, on estime que 2500 individus sont pris en charge (ARV) par l’intermédiaire des entreprises privées (Eholié et al. 2009)108 sur les 72.000 patients à l’échelle nationale, soit 3,5% de la file active.

1.4. Une double crise économique et politique (2008 – 2014)

Le tarissement des ressources

Comme l’ensemble des pays dépendants de l’aide internationale, la Côte d’Ivoire fait face à la raréfaction des ressources internationales amorcée par la crise financière de 2008. En 2012, la Côte d’Ivoire déplore un manque de 20 millions $ pour mettre en place son programme national, malgré l’apport des financements du « Round 9 »109 du Fonds mondial ainsi que de la Banque mondiale qui réinitialise son Programme d’urgence multisectoriel de lutte contre le VIH/sida (PUMLS) en 2009 (qui avait été suspendu en 2003 pour arriérés de paiement). Si la Côte d’Ivoire ne connait pas pour l’instant de menace majeure quant aux ruptures de stock des ARV, les financements se sont aujourd’hui resserrés sur la question des traitements, au détriment de la prévention. Ce tarissement des ressources intervient au moment même où se développe le paradigme du traitement comme moyen de prévention (Treatment as Prevention, Tasp), donnant l’espoir d’une éradication possible de la maladie, si le dépistage et le traitement sont développés de manière universelle (Granich et al. 2009).

A cela s’ajoute la crise politique post-électorale (de 2010-2011) qui fragilise le système de la prise en charge du VIH/sida, et plus largement de la santé (cf. Encadré 3).

))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))

108

Cette estimation n’a pas été l’objet d’une étude systématique et représente un ordre de grandeur.

109

Encadré'3'Impact'de'la'crise'postQélectorale'sur'le'système'de'santé'et'la'gestion'du' VIH/sida'en'Côte'd’Ivoire110'

La crise post-électorale ivoirienne a lourdement affaibli le système de santé.

Au niveau des infrastructures, de nombreux établissements ont été pillés (tel que l’Institut national de santé publique), ou ont subi une détérioration de leur matériel. Les zones de combat ont subi un exode massif du personnel de santé. Le fonctionnement des centres VIH/sida de ces zones a été particulièrement touché111

. De plus, la crise a créé de nouveaux besoins sanitaires (maladies endémiques, infectieuses et parasitaires, pathologies de guerre, choléras, etc.). Elle a également généré le déplacement de populations et une montée des violences sexuelles, développant les risques liés au VIH/sida.

Par ailleurs, la communauté internationale a fortement encouragé l’instauration d’une gratuité exceptionnelle et non ciblée des frais médicaux pour l’ensemble de la population qui, au lieu des 45 jours initialement prévus, s’est prolongée durant neuf mois (avril 2010 - février 2011). Celle-ci a fortement déstructuré l’offre sanitaire, en entrainant l’engorgement des services hospitaliers et centres spécialisés, des ruptures d’intrants et de médicaments, et le développement de pratiques de corruption du personnel soignant.

Enfin, la crise a également complexifié et intensifié la déstructuration du système de financement, avec un afflux d’organisations et d’agences humanitaires (Médecins sans frontières, Médecins du monde, Croix rouge, Echo et agences onusiennes) mettant en œuvre des programmes d’urgence, s’ajoutant aux nombreuses organisations internationales finançant déjà la santé et le VIH/sida (Pepfar, coopération chinoise, japonaise, coréenne, Union européenne, Unitaid, Onuci, Fonds mondial, Banque mondiale). Un programme présidentiel d’urgence (PPU) de 11 milliards de FCFA a également été initié par le président Ouattara. Cependant, le pré-ciblage des fonds, le système de conditionnalités et de garanties additionnelles font obstacle, dans la pratique, à la bonne utilisation des ces fonds. La crise a plus que jamais placé la Côte d’Ivoire dans une grande situation de dépendance vis-à-vis des bailleurs étrangers

En contre-point, à propos du VIH/sida, certains partenaires ont arrêté ou gelé leurs financements : la Banque Mondiale a suspendu son plan d’urgence multisectoriel de lutte contre le VIH/sida (PUMLS) et fermé ses bureaux à Abidjan pendant les événements ; le Fonds mondial a également gelé le déboursement de ses fonds, tandis que le Pepfar a arrêté 3 subventions, suspendu 21 subventions, et ordonné le départ du personnel américain pendant la crise.

Cette diminution des financements a confronté les structures de santé, ONG et associations, à de graves difficultés : licenciements de personnel médical et technique, chômage technique, diminution du soutien aux activités de prévention et de formation, rachat de matériel etc.

Si des ruptures de stocks en ARV étaient fortement craintes au moment des événements112 , et notamment à l’intérieur du pays, (la Côte d’Ivoire n’avait pas connu de pénurie d’ARV depuis 2005), l’approvisionnement a globalement été maintenu. Des mesures d’urgence ont été mises en œuvre (approvisionnement via le centre régional de distribution d‘Accra, rationalisation des activités sur les services essentiels, flexibilité dans le renouvellement des ordonnances, relais via des réseaux sociaux, etc.) Au final, une évaluation effectuée en juillet 2011 concluait à un « impact minimal sur les services VIH/sida prévus », malgré une réduction budgétaire de 12,5% pour l’exercice de l’année 2011113.

))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))))

110 Cet encadré se base essentiellement sur des entretiens avec le programme national de prise en charge

(PNPEC), le rapport du PNPEC « Plan d'urgence post-crise de la prise en charge médicale des PVVIH » (PNPEC 2011), sur une présentation de l’ancienne Ministre de la santé, me Thérèse N’Dri ; lors du Colloque International « Politique étrangère et de la diplomatie de la santé mondiale », Chaire Savoirs contre pauvreté, les 17 et 18 juin 2013 ; ainsi que sur la littérature grise du Pepfar.

111

Une enquête effectuée après la crise par le PNPEC (MLS) estimait que dans la région du Moyen-Cavally, une région à l’ouest à la frontière libérienne et guinéenne, couvrant les villes de Guiglo et de Duékoué, ayant connu de violents combats et massacres (ndlr : le massacre de Duekoué, par les forces pro-Ouattara a touché entre 150 et 1000 morts selon les sources), 50% des sites de prise en charge et 100% des sites de PTME n’étaient plus fonctionnels en mai 2011(PNPEC 2011).

112

http://www.irinnews.org/fr/ReportFrench.aspx?ReportID=91867

113

Documents relatifs