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Le fait que la présente recherche soit basée essentiellement sur des données déclaratives constitue également une des limites de ce travail, bien que ce constat soit une donnée en soi. En effet, rares sont les entreprises qui produisent des rapports, révélant une faible formalisation de leurs programmes. Certaines entreprises ont également refusé de communiquer des données, invoquant la protection de la confidentialité. Dans un système faiblement contrôlé par des acteurs extérieurs (acteurs étatiques ou audits externes), la fiabilité des données transmises ne peut donc être assurée. Afin de contourner ce biais, deux types de stratégies ont été mises en place : d’un côté, l’application de la méthode de la triangulation au sein même des entreprises et, notamment, par des échanges auprès d’acteurs

de l’entreprise moins impliqués dans les programmes (employés, personnel soignant), ainsi que d’acteurs extérieurs ou privilégiés (experts, associations), ou par le recoupement des informations en comparant les déclarations des entreprises elles-mêmes. D’un autre côté, ma longue immersion en Côte d’Ivoire m’a donné l’opportunité de développer des relations amicales et informelles avec un ensemble d’acteurs (et informateurs) impliqués sur cette problématique. Cependant, dans la mesure où l’objectif est davantage de comprendre les normes, pratiques et représentations liées au VIH/sida, plutôt que d’évaluer l’efficacité des programmes des entreprises, ce biais, bien qu’il doive être attentivement pris en compte, n’est pas un obstacle majeur à la solidité des données recueillies.

1.5. Le VIH/sida : entre « confort » et « inconfort »

ethnographique

Au cours des années 1990, les enquêtes portant sur le VIH/sida suscitaient un certain « inconfort ethnographique » de la part des chercheurs, lié à leur contact prolongé avec la souffrance, l’inéluctabilité de la mort dans un contexte d’absence de traitements, à leur impuissance et à leurs dilemmes éthiques face à des non dits du personnel médical (Gruénais 1995). Cet inconfort s’est notamment manifesté pour Laurent Aventin, dans le cadre de ses recherches portant sur les pratiques discriminatoires des entreprises privées. Or, au cours de mes enquêtes, j’ai été confrontée à un certain retour du « confort ethnographique », dont parlait initialement Jean-Pierre Dozon pour désigner le confort (et le risque) de l’ethnologue lorsqu’il enquête sur des objets de recherche « classiques » tels que le culte et la représentation de la maladie (Dozon 1997). Les discours des acteurs ont pu apparaître comme formatés par l’usage des « bonnes pratiques ». Ce revirement témoigne d’une relative « normalisation » et d’une conformation discursive (David 2013) du VIH/sida au Sud (Rosenbrock et al. 2000). Cet objet de recherche deviendrait un objet « classique » des sciences sociales et dont les discours relèvent d’une standardisation transnationalisée.

Afin d’aller au-delà de cette maîtrise discursive, j’ai décidé d’approfondir une question qui a émergé au fil de mes entretiens et dont les propos me semblaient moins rodés : à savoir, celle de la prévention et de la prise en charge de l’hépatite virale B. Ma participation au projet DOD-CI (Demande et offre du dépistage et des hépatites virales en Côte d’Ivoire), en collaboration avec l’équipe de PAC-CI, a ainsi favorisé ma capacité à aborder cet enjeu auprès des entreprises. L’enquête exploratoire de l’anthropologue Catherine Enel, portant sur

cette question totalement méconnue des scientifiques et des acteurs de terrain, a coïncidé avec mes enquêtes de terrain et appuyé cette démarche (Enel 2013).

1.6. Les institutions, acteurs et activités extérieures

J’ai complété ces enquêtes auprès des entreprises privées par des entretiens auprès d’acteurs impliqués dans cette problématique (organisations gouvernementales, organisations internationales bi et multilatérales, ONG, associations, coalitions d’entreprises, syndicats, structures de santé publiques et privées, experts nationaux et internationaux) (cf. Tableau 2), par l’observation de campagnes de dépistage organisées par le Centre intégré de recherches biocliniques d’Abidjan (CIRBA) et par la participation à des journées scientifiques, forums, ateliers et réunions.

Tableau'2'Liste'des'institutions'extérieures'enquêtées'en'Côte'd’Ivoire'

ORGANISATIONS GOUVERNEMENTALES

Programme national de prise en charge du VIH/sida (PNPEC/MSLS77

)

Direction du secteur privé et de la société civile (DSPSC/MSLS)

Direction de la planification, du suivi et de l’évaluation (DPSE/MSLS)

Programme national de lutte contre les hépatites virales (PNLHV)

Direction de la santé et sécurité au travail (DSST) Institut national de l’hygiène public (INHP)

ORGANISATIONS DE COOPERATION INTERNATIONALE

Bureau international du travail (BIT) Onusida

Esther (coopération française) Banque mondiale

Country coopération mechanism (CCM) du Fonds mondial Unicef

ONG

Aconda – VS

Elizabeth Glaser Pediatric AIDS Foundation (EGPAF/Ariel) Family Health International (FHI)

Alliance – CI

ASSOCIATIONS

Réseau ivoirien des personnes vivant avec le VIH (RIP+) Ruban rouge Amepouh Lumière et action COALITIONS D'ENTREPRISES - SYNDICATS

Coalition des entreprises de Côte d’Ivoire contre le VIH/sida (CECI)

Fédération ivoirienne des petites et moyennes entreprises (FI- PME)

Pan-African Business Coalition on HIV/AIDS (PABC)

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77

Union générale des travailleurs de Côte d’Ivoire (UGTCI) Sida entreprises

STRUCTURES DE SANTE

Service des maladies infectieuses de Treichville (SMIT) Centre intégré de recherches biocliniques d’Abidjan (Cirba) Centre médical interentreprises (CMI)

Centre national de transfusion sanguine (CNTS) Centre de prise en charge de recherche et de formation (Cepref)

Département de médecine du travail du CHU de Yopougon Clinique des Manguiers

AUTRES

Fonds de développement de la formation professionnelle (FDFP)

Compagnie d’assurances Gras Savoye Laboratoire pharmaceutique Roche Côte d’Ivoire normalisation (Codinorm)

Société ivoirienne en médecine du travail (SIMT)

Enfin, j’ai conduit des entretiens auprès d’employés (ou ex-employés) infectés par le VIH/sida (23 au total) que j’ai recruté via des structures de santé (le SMIT et le Cepref) ou par l’intermédiaire de certains médecins d’entreprises (cf. Tableau 3).

Tableau'3'Employés'vivant'avec'le'VIH/sida'interrogés' Structure intermédiaire de recrutement H/F STATUT SMIT H Actif H Actif F Licenciée H Retraité H Actif H Retraité H Licencié H Retraité H Actif H Licencié H Actif H Actif CEPREF H Retraité H Actif H Actif H Licencié H Licencié ENTREPRISE 6 H Actif F Conjointe d’employé F Conjointe d’employé ENTREPRISE 4 H Actif H Actif H Actif

2. Une comparaison asymétrique avec le

Cameroun

2.1. Vers une approche comparative

Ma recherche sur la Côte d’Ivoire a évolué vers une approche comparative avec le Cameroun. Si des raisons circonstancielles ont d’abord influencé ce choix, des considérations scientifiques l’ont ensuite conforté et appuyé. En effet, mon contrat d’allocation pré-doctorale de l’ANRS a débuté le 1er avril 2011, soit, au lendemain du début de la « bataille d’Abidjan », c’est-à-dire du jour où les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sont entrées dans Abidjan, amorçant une intense période de combats armés et menant à l’arrestation de Laurent Gbagbo dix jours plus tard. Alors que mon projet de recherche avait été élaboré à partir du contexte ivoirien, ces circonstances m’ont conduite à réorienter mes enquêtes vers un pays analogue. Mon choix se porta relativement naturellement vers le Cameroun, qui partageait avec la Côte d’Ivoire une épidémie généralisée et relativement élevée pour l’Afrique francophone, une position de leader économique dans la sous-région de l’Afrique centrale, et des initiatives d’entreprises privées pionnières en matières de VIH/sida (Alucam, AES-Sonel). Une première mission exploratoire a ainsi été effectuée en mai et juin 2011. Avec le retour au calme en Côte d’Ivoire, j’ai finalement décidé de ré-orienter mes recherches vers ce pays, et ce pour différentes raisons : l’intégration de ma thèse au projet sur les « freins au dépistage » (ANRS 12245), la rareté des recherches sur le sida en sciences sociales depuis la crise de 2002, et ma familiarité avec ce terrain78. Après les différentes missions effectuées en Côte d’Ivoire, nous avons finalement décidé, de concert avec mes encadrants, Annabel Desgrées du Loû et Fred Eboko, d’approfondir la voie de l’approche comparative, via une mission de un mois au Cameroun (septembre 2013). L’approche comparative est apparue comme une valeur ajoutée évidente à ma recherche. Le double canal de mon insertion au sein d’un programme de recherche dirigé par Fred Eboko sur le thème « Gouvernance et sida en Afrique (Sénégal, Côte d’Ivoire, Cameroun) d’une part et de la dynamique de « l’Axe santé » du Programme pilote régional (PPR de l’IRD) « Politiques publiques, sociétés et mondialisation en Afrique

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78

Un stage de 6 mois au Centre de Recherche et d’Action pour la Paix (CERAP) avait été effectué en 2009 dans le cadre d’une maîtrise en Science Politique à l’Université de Montréal.

subsaharienne – Polmaf79) d’autre part, a également facilité les missions d’appoint au Cameroun et en Côte d’Ivoire.

2.2. Apports et défis de l’approche comparée

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