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Les enfants face aux contraintes temporelles de leurs parents

5 Evaluation des risques autres que sanitaires associés au travail posté incluant la nuit

5.2 Aspects socio-économiques du travail de nuit et du travail posté

5.2.3 Répercussions de la pratique du travail de nuit et posté sur la vie sociale et familiale

5.2.3.1.2 Les enfants face aux contraintes temporelles de leurs parents

Les relations parentales à l’épreuve des rythmes atypiques

Les travaux, encore peu nombreux, qui se sont attachés à analyser les répercussions des horaires postés sur les relations entre les salariés et leurs enfants font apparaitre une diminution des interactions familiales en raison des contraintes inhérentes à ce type d’horaires. Ils montrent que deux facteurs modulent ces effets : l'âge des enfants et les caractéristiques spécifiques du système d'horaire.

L'étude de Nachreiner et al. (1984) s’applique à effectuer une comparaison de l’implication des travailleurs postés dans la vie de leurs enfants pour 3 types d'horaires différents et pour des enfants de 3 âges distincts. Le degré d'implication du père varie selon le système d'horaire et un même système d'horaire se traduit par des effets contrastés selon l'âge des enfants. Ainsi, Lenzing et Nachreiner (2000) comparent deux groupes d’enfants dont les pères travaillent dans la police allemande soit en horaires postés soit en horaires de jour. Ils montrent que la vie sociale des enfants n’est pas identique : ceux dont les pères exercent leur fonction en horaires postés ont, avant 12 ans, une vie sociale plus limitée. Ils ont moins d’amis, effectuent des activités plus solitaires et participent peu à des activités à caractère périodique. Ils partagent plus de temps et d’activités avec leur père à l’exception de celles qui s’effectuent obligatoirement à des horaires fixes et déterminés. Après 12 ans, le temps partagé avec le père en horaires postés est restreint et essentiellement situé en soirée. Mais au-delà du temps passé ensemble, c’est la qualité de la relation qui semble modifiée : avant

12 ans, les enfants des policiers postés se confient plus souvent à leur père qu’à leur mère, alors que passé cet âge c’est vers leur mère qu’ils se retournent.

Gordon et al., (1981) montrent également une diminution d’activités socialement programmées chez les travailleurs postés de différents secteurs professionnels et leurs enfants en regard de ceux en horaires réguliers : 11 % des travailleurs en poste de nuit fixe et 28 % de ceux en horaires alternants participent à « des réunions, des activités de scoutisme, des jeux de ballons et au suivi scolaire de leurs enfants » contre 64 % des travailleurs en horaires diurnes et réguliers. Or, la pratique d’activités n’exigeant pas de programmation préalable (comme passer du temps et se détendre avec ses enfants, regarder la télévision ou faire des projets d'avenir) est aussi fréquente chez les uns et les autres.

L’étude de Sizane et al. (2011) montre également que la pratique du travail de nuit affecte les liens parent/enfant : les relations entre les mères et leurs enfants adolescents sont analysées selon que les mères sont en horaires de jour ou de nuit. Deux groupes de 35 mères et leurs adolescents ont rempli un questionnaire. Les résultats montrent que les adolescents de mères qui travaillent de jour perçoivent la communication et la résolution de problèmes comme plus efficace que les adolescents de celles qui travaillent la nuit. Les auteurs estiment que le travail de nuit diminue la qualité perçue de la parentalité.

Des effets à long terme

La réduction de la fréquence et la durée des interactions entre le travailleur posté et ses enfants pourraient, in fine, détériorer la nature et la qualité des fonctions parentales (Meurs et Charpentier, 1987 ; Hervet et Vallery (2005). C’est ce que suggère en tout cas une étude (Koller et al., 1990) sur des ouvriers d'une raffinerie de pétrole autrichienne qui révèle une dégradation, sur une période de cinq ans, du sentiment d’autorité du travailleur posté auprès de leurs enfants alors que ce phénomène ne se manifeste pas dans le groupe contrôle d’ouvriers de jour. Aussi, parmi les travailleurs postés de deux usines hollandaises, près de 70 % estiment que leur épouse assume une plus grande part de l’éducation de leurs enfants (Thierry et Jansen, 1982). Mais l'impact réel de ces répercussions reste particulièrement difficile à appréhender, ce qui peut aussi expliquer le peu de travaux qui se consacrent à étayer la connaissance des effets à long terme du travail posté sur la relation parent-enfant.

Une étude (Han et al. , 2010) examine les effets des horaires de travail des parents sur les comportements à risque des adolescents de 13 ou 14 ans. Elle repose sur l’exploitation de l’enquête National Longitudinal Survey of Youth-Child Supplement. Elle montre que les mères qui travaillent souvent de nuit passent beaucoup moins de temps avec leurs enfants et connaissent des environnements domestiques moins favorables, ces deux facteurs étant alors significativement liés à des comportements à risque chez les adolescents.

Quelques études se sont attachées à mesurer ces répercussions sous l’angle de la performance scolaire, du bien-être psychologique, de l’équilibre affectif et du développement de la personnalité.

La performance scolaire

Diekmann et al. (1981) constatent, chez les enfants d’employés des services publics allemands en travail posté, une moindre chance de réussite scolaire et de poursuite d’études longues, et ce, quel que soit le niveau de qualification du père et de la mère. C’est ce que suggère également une étude allemande (Jugel et al., 1978) qui fait apparaitre une moindre performance scolaire chez les enfants de travailleurs postés par rapport à ceux dont les pères travaillent exclusivement en horaires diurnes et réguliers. Cette étude montre aussi que les parents en horaires postés, en raison de leurs horaires, sont moins présents dans les rencontres parents-professeurs et dans les conseils de classe. Des résultats similaires sont obtenus par Maasen (1979) en Belgique : les enfants des travailleurs postés sont moins nombreux à poursuivre leurs études au-delà de l’âge obligatoire, ce qui les amène à s’insérer plus tôt et avec une moindre qualification dans la vie active. Cependant, ces deux

dernières études, à l’inverse de celle de Diekmann (1981), ne contrôlent pas un facteur important susceptible d’impacter les résultats : le niveau d’éducation des parents dans les deux groupes de travailleurs (postés et non postés). Il faut donc prendre ces deux dernières études avec précaution, car il ne peut pas être exclu que les résultats scolaires de ces enfants soient plus liés au niveau d’éducation de leurs parents qu’à leurs horaires de nuit ou postés.

Une étude plus récente à partir des données fournies par la National Longitudinal Survey of Youth sur la base d’interviews avec des femmes, examine la relation entre les horaires atypiques des parents et les trajectoires cognitives des enfants de 5 à 14 ans. Les scores aux épreuves de mathématiques sont plus bas lorsque le père ou la mère travaille en horaires de soir ou de nuit. Les scores en lecture sont faibles lorsque la mère travaille de nuit (Han et Fox, 2011).

À l’inverse des travaux précédents, une enquête longitudinale anglaise réalisée en 1976 sur 16 000 enfants ne constate pas d’effets sur la performance scolaire, ni sur l’équilibre émotionnel des enfants (Lambert et Hart, 1976).

L’arrivée d’un enfant… un frein à la pratique du travail posté ?

L’arrivée d’enfants dans un couple constitue un bouleversement qui exige de repenser les modalités d’organisation de la vie quotidienne. Cela semble s’imposer d’autant plus lorsque l’un des deux membres du couple travaille en horaires postés. L’organisation de la vie quotidienne se heurte aux exigences temporelles imposées par la sphère professionnelle : la complexité qui en résulte peut alors être un motif d’abandon du travail posté.

Une étude réalisée en 2005 met en évidence le caractère déterminant des horaires et des rythmes de travail dans la perception de difficultés de conciliation vie au travail / vie hors travail et montre que le travail de nuit est souvent identifié comme le plus problématique quant à l’organisation de la vie : 62 % des actifs (72 % des femmes avec enfants et 68 % des hommes avec enfants) travaillant la nuit une fois au moins par semaine déclarent la conciliation vie professionnelle / vie personnelle très difficile ou un peu difficile, contre 56 % de ceux travaillant de nuit moins d’une fois par semaine (Garner et al., 2005). Même en l’absence de jeunes enfants, ces modalités temporelles sont perçues, pour plus de la moitié des hommes et des femmes, comme peu compatibles avec leur vie familiale. Or, la présence de jeunes enfants (de moins de 11 ans) dans le foyer accroît la difficulté de la conciliation entre vie de famille et travail.

Seibt et al. (1990) constatent ainsi que, sur 4 000 ouvrières de l'industrie textile de l'ex RDA, seulement 7,5 % de celles en 3 x 8 ont des enfants de moins de 11 ans et que parmi les motifs d’abandon du travail posté, ce sont les problèmes liés à l'éducation des enfants qui arrivent en tête. De même, une enquête menée sur 10 hôpitaux révèle que parmi les femmes pratiquant un horaire alternant avec plus de quatre nuits par mois, 20 % seulement ont des enfants et que, pour 11 % d'entre elles, ces enfants ont moins de trois ans (Logeay, 1986).

De tels résultats, bien que ne pouvant être généralisés à l'ensemble des situations de travail posté, permettent de pointer la possibilité de répercussions sérieuses et à long terme qui dépasse le salarié lui-même pour affecter les membres de sa famille.

L’arrivée d’enfants dans le couple, et leur avancée en âge, qui s’accompagne de nouvelles contraintes temporelles (rythmes scolaires, question de gardes, …), peut amener les salariés à renoncer aux horaires alternants.

Ces constats incitent à considérer, dans le cadre d’études, ces répercussions sur le long terme car ni immédiates, ni facilement détectables ainsi qu’à ne pas se limiter à étudier exclusivement les effets sur les travailleurs eux-mêmes mais à élargir le cadre d’analyse à l’ensemble de la cellule familiale.

5.2.3.1.3 Des effets différents selon les caractéristiques des horaires

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