• Aucun résultat trouvé

5 Evaluation des risques autres que sanitaires associés au travail posté incluant la nuit

5.2 Aspects socio-économiques du travail de nuit et du travail posté

5.2.2 Dimension économique

Le travail en mode continu, 24 h / 24 h : des logiques différentes 5.2.2.1

selon les secteurs

Le travail de nuit peut avoir soit un caractère obligatoire, imposé par les contraintes du service public, comme pour les services de santé et les astreintes des policiers ou autres services de surveillance, soit n’être qu’une modalité d’organisation du travail, par exemple pour une entreprise qui souhaite maximiser la rentabilité de ses équipements en faisant travailler machines et Hommes par rotations 24 h sur 24.

Dans le premier cas, par exemple dans les hôpitaux, l’obligation d’assurer le service dispense pour partie de la nécessité d’un calcul de rentabilité, même si avec la « tarification à l’activité » dans les hôpitaux, la donne s’est considérablement modifiée. Les différents modes d’organisation du travail28 peuvent donner lieu à comparaison : ainsi l’organisation en 2 x 12 h a la faveur des gestionnaires, car ce type de rotation permet de diminuer le nombre d’agents nécessaires sur les 24 h en économisant sur les temps de relèves de poste (2 relèves au lieu de 3 sur les 24 h). Cependant, la logique sous-jacente à ce type de services d'intérêt général reste prioritairement de privilégier la continuité du service public, même si cela doit se faire au détriment d'une optimisation purement gestionnaire des ressources financières et humaines.

Dans le cas de l’industrie ou des services, la logique est différente : ici le rapport coût-bénéfice est le fruit d’un calcul gestionnaire d’optimisation financière29, calcul qui prend en compte l’amortissement des équipements de production et met celui-ci en rapport avec les coûts supplémentaires occasionnés par le travail de nuit et/ou posté : chauffage et éclairage des locaux, surcoût salarial, etc. Ainsi, plus une industrie est « capital-intensive » (secteur qui mobilise un volume d’immobilisations corporelles par salarié important), plus le travail de nuit sera potentiellement rentable au plan comptable.

À titre d’illustration, il est possible de citer le cas d’une usine de production de pneumatiques fonctionnant en 3 x 8 h (3 postes qui se succèdent sur les 24 h) qui, pour éviter la fermeture, a proposé aux salariés la mise en place d’un système en 4 x 8, c’est-à-dire une organisation toujours en 3 x 8 h, mais avec quatre équipes qui se relaient sur ces postes au lieu des cinq équipes qui tournaient jusqu’alors. Cette diminution du nombre d’équipes impose un rythme de travail plus soutenu avec plus de week-end dans le roulement et moins de repos entre les postes.

28 Voir le rapport Boulin et Taddei sur l'organisation du temps de travail, toujours d'actualité (Revue_Travail-et-Emploi N° 40 - 02/1989).

29 Aykin, T. (1996) Optimal Shift Scheduling with Multiple Break Windows, Management Science, 42, 591-602.

Le concept d’externalités négatives et mécanismes compensatoires 5.2.2.2

Une analyse de l’impact économique du travail de nuit et/ou posté ne peut se limiter au strict périmètre de l’entreprise ou de l’institution. En effet, les conséquences sur la santé des salariés débordent largement ce cadre, comme on a pu le constater avec d’autres risques professionnels, comme ceux liés aux facteurs psycho-sociaux du travail. Les conséquences socio-économiques concernent en premier lieu le système de protection sociale, qui, notamment en l’absence d’une inscription du travail de nuit et/ou posté au tableau des maladies professionnelles, est amené à supporter les coûts liés à cette dégradation de la santé des salariés.

Pour mieux comprendre ce mécanisme, il faut faire appel au concept d’« externalités négatives » développé par les économistes. Ceux-ci désignent par « externalité » ou « effet externe » le fait que « l'activité de production ou de consommation d'un agent affecte le bien-être d'un autre sans qu'aucun des deux reçoive ou paye une compensation pour cet effet.

Une externalité présente ainsi deux traits caractéristiques. D'une part, elle concerne un effet secondaire, une retombée extérieure d'une activité principale de production ou de consommation. D'autre part, l'interaction entre l'émetteur et le récepteur de cet effet ne s'accompagne d'aucune contrepartie marchande 30 ». Ainsi, la pollution sous toutes ses formes est un exemple typique d'externalité négative : lorsqu'une usine rejette des déchets dans l'environnement, elle peut infliger, sans contrepartie, une nuisance aux habitants de la région.

Si l’on retient comme caractéristique du travail de nuit qu’il peut contribuer à une détérioration de la santé des salariés concernés, il faut considérer que la contrepartie monétaire proposée aux salariés ne couvre pas la totalité du coût induit pour la société, même si du point de vue du salarié, le temps de récupération ou la prime perçue directement peut « compenser » les contraintes et la pénibilité induites par le travail en horaires atypiques31. De plus, ce coût est pris en charge par le régime maladie de la sécurité sociale et non le régime des accidents du travail et maladies professionnelles. Il y a donc bien là un cas d’ « externalité négative », qui mériterait d’être chiffrée. Un tel chiffrage demeurerait de surcroît difficile en raison du « décalage temporel » entre l’exposition et une pathologie associée. L’évaluation d’un consentement à payer pour éviter un risque de survenue d’un éventuel problème de santé à long terme (résultant d’un travail de nuit/posté) face à un

« bénéfice » immédiat (celui de l’emploi) pencherait vraisemblablement en faveur du cours terme : le risque et la monétarisation de ses conséquences sanitaires sont alors minimisés par le salarié en horaires atypiques.

Le seul exemple d’une indemnisation obtenue par des salariés pour une compensation de la détérioration – liée au travail de nuit - de leur état de santé vient du Danemark, qui a accordé en 2008 des indemnités à 37 femmes atteintes d'un cancer du sein pouvant être lié au travail de nuit. Les indemnités ont été versées par la compagnie d'assurance des employeurs. Le pays scandinave envisageait même d'inscrire les effets du travail de nuit - à condition qu'il se soit déroulé au moins une fois par semaine au cours de 20 à 30 ans d'emploi - sur la liste des maladies de travail.

Depuis, la Commission des maladies professionnelles de la Direction des accidents du travail et des maladies professionnelles du Danemark32 a examiné le lien entre le travail de nuit et le cancer du sein. Elle a estimé, sur la base des études scientifiques qu’elle a

30 Dominique HENRIET, « EXTERNALITÉ, économie », Encyclopædia Universalis - http://www.universalis.fr/encyclopedie/externalite-economie/, Guerrien B., (2005). Dictionnaire d’analyse économique; Repères-La découverte 568p.

31 Michel Gollac, Christian Baudelot, « Economie et statistique » 1993 Numéro 265, pp. 65-84.

32 Danemark : révision des critères de reconnaissance du cancer du sein lié au travail de nuit www.eurogip.fr/fr/eurogip-infos-actu?id=3683.

considérées, que les connaissances médicales n'étaient pas suffisantes pour confirmer l'existence d'un lien entre travail de nuit et risque de développer un cancer du sein, lorsque l’exposition est d’une nuit par semaine durant 25 ans. En revanche, dans le cas de plusieurs nuits de travail par semaine, durant un temps inférieur à 25 ans, les dossiers sont examinés par la commission au cas par cas et peuvent donner lieu à indemnisation33.

On peut rappeler la possibilité en France de déclaration et de reconnaissance éventuelle en maladie professionnelle par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) d’une affection entrainant un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) suffisant ≥ 25 %, ce qui est le cas des cancers habituellement. Théoriquement, il est possible aujourd’hui de reconnaître une pathologie liée au travail de nuit/posté dans ce cadre (avec la nécessité néanmoins pour la victime de prouver un lien direct et essentiel entre le travail et la pathologie considérée, ce qui en pratique est très difficile).

Le coût social du travail de nuit et/ou posté dépasse le seul coût 5.2.2.3

sanitaire

Le coût social, pour la collectivité, du travail posté incluant la nuit ne se limite pas aux soins de santé prodigués aux salariés : il faudrait aussi y inclure le coût des conséquences sociales comme les répercussions sur la vie familiale (coût de garde des enfants, divorces, etc.), les coûts induits par les transports (mise en place de lignes de nuit dans les transports en commun, accidents de trajet, etc.).

La généralisation du travail posté incluant la nuit au cours de ces dernières années induit le transfert de valeur de la société civile vers les entreprises utilisant le travail en horaires atypiques, transfert de valeur qui n’est évidemment pas compensé (à l’exception du supplément salarial qui peut être estimé à 8,1 %34).

Ce coût social du travail posté incluant la nuit est très difficilement évaluable, car on ne dispose pratiquement pas de statistiques associant les conséquences médicales et sociales avec les horaires de travail. Par exemple, il apparaît que les déclarations d’accidents du travail ne mentionnent généralement pas, en France, le type d’horaire pratiqué. Ainsi, un accident du travail se produisant à midi pour un salarié ayant un horaire normal, donc avec un début de journée à 8 ou 9 h, est mis sur le même plan qu’un accident du travail se produisant à la même heure, mais pour un salarié ayant démarré sa journée à 4 heures du matin.

Chiffrer de telles externalités est très complexe, vu le caractère multidimensionnel des conséquences du travail posté incluant la nuit. Il existe bien sûr des possibilités, mais il est nécessaire de réaliser des études spécifiques35, demandant d’importantes ressources, ce qui explique sans doute que de telles études ne sont actuellement pas disponibles en France.

À titre indicatif, quelques études [(Kostiuk, 1990), (Lanfranchi et al., 2002), (Schumacher et Hirsch, 1997), (DeBeaumonte et Nsiah, 2010)], nous ont été signalées par Philippe

33 Wise J. Danish night shift workers with breast cancer awarded compensation. BMJ 2009 ; 338.

34 Selon la Dares (Dares Analyses, N°062), en 2012, le supplément salarial associé au travail habituel la nuit peut être estimé à 8,1 % et celui associé à un travail occasionnel la nuit à 3,6 % par rapport aux salariés qui ne travaillent jamais la nuit. Ce supplément salarial est établi à partir du salaire net horaire : il est calculé en rapportant le salaire mensuel net (y compris les primes mensualisées) au nombre d’heures effectuées mensuellement, tous deux déclarés à l’enquête emploi 2012 (après redressement des non réponses). Les apprentis et stagiaires sont exclus du décompte.

35 Une étude suisse étudie les effets de conditions de travail défavorables sur la santé des travailleurs et leurs conséquences économiques, [Elisabeth Conne-Perréard, Marie-José Glardon, Jean Parrat, Massimo Usel : Effets des conditions de travail défavorables sur la santé des travailleurs et leurs conséquences économiques. Conférence Romande et Tessinoise des Offices de Protection des Travailleurs, décembre 2001].

Askenazy36, chercheur en économie auditionné par le groupe de travail, mais ces études traitent le plus souvent de points très spécifiques comme la façon la plus rentable pour l’entreprise d’organiser le travail posté, des impacts du travail en horaires atypiques sur le turn-over et l’absentéisme, ou encore du rôle du bonus salarial dans le choix de travailler de nuit. Nous sommes loin d’une estimation des coûts de la dégradation de la santé des salariés, consécutifs au travail de nuit et/ou posté.

5.2.3 Répercussions de la pratique du travail de nuit et posté sur la vie sociale

Outline

Documents relatifs