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Des effets différents selon le type d’horaire

5 Evaluation des risques autres que sanitaires associés au travail posté incluant la nuit

5.2 Aspects socio-économiques du travail de nuit et du travail posté

5.2.3 Répercussions de la pratique du travail de nuit et posté sur la vie sociale et familiale

5.2.3.2.5 Des effets différents selon le type d’horaire

On voit ainsi que le type d’horaires postés est un paramètre essentiel et s’accompagne d’effets bien différents sur la vie sociale. Il en va de même pour le rythme d’alternance (lent ou rapide) des postes.

Wedderburn (1967) est un des premiers à s’interroger sur le rôle spécifique du rythme d’alternance des vacations sur la vie hors travail. Il réalise une étude sur des ouvriers de la sidérurgie adhérents à un syndicat et qui pratiquent un système d’horaires postés à rotation rapide. Un tiers d’entre eux estime que leurs horaires ont un effet négatif sur leur participation aux activités syndicales (résultats convergeant sur ce point avec ceux de Thierry et al., 1983). Ils sont pourtant 90 % à porter un avis favorable sur leurs horaires de travail en raison du caractère rapide de l’enchainement des vacations qui offre la possibilité d’avoir accès, sur une semaine, à des plages de temps libre positionnées sur différentes

Cette revue de la littérature fait apparaitre le faible nombre de travaux consacrés aux effets du travail posté et de nuit sur la vie hors travail et l’hétérogénéité des résultats acquis. Cela tient vraisemblablement à la multiplicité des facteurs qui déterminent l'adoption d'un comportement de loisirs comme celui d'un mode de vie. La diversité des situations de travail posté, des spécificités organisationnelles, la variété des contextes sociaux, le poids des caractéristiques individuelles, constituent autant de facteurs déterminants qui doivent conditionner les modalités de la vie extra professionnelle. Il convient aussi de rappeler que le contenu du travail effectué peut jouer sur l’appétence sociale : un travail répétitif et monotone peut s‘accompagner, par exemple, d’une sorte d’inertie sociale. Aussi, la structuration de la vie sociale des salariés en horaires postés reflète la force de contraintes liées à la structuration atypique du temps de travail, qui peuvent « tenir à distance » de la vie sociale.

En outre, le problème n’est pas exclusivement de nature quantitative : l’état de santé (physique et psychologique) et la fatigue ressentie par le travailleur posté lors de son temps

libre vont aussi conditionner ses possibilités d’action et d’interaction sociale.

Cela signifie qu’au-delà de la « mobilisation effective » du salarié par ses horaires de travail, il est nécessaire de considérer ce qui se passe pour lui avant et après, à savoir la nécessité d’une « mobilisation anticipative » qui consiste à se mettre dans les conditions favorables pour assumer le poste à venir par une sieste, un temps de repos, et une « mobilisation consécutive » qui consiste à se reposer, à essayer de récupérer du poste qui vient de s’achever (Prunier-Poulmaire, 1997). Ainsi ces mobilisations « par le travail », qui se poursuivent « en dehors du travail » pour récupérer ou s’y préparer, tiennent aussi à distance le travailleur posté de la sphère socio-familiale. Il est aussi possible de penser que la réduction des activités de loisirs et l’appauvrissement de la vie sociale puissent être, par-delà l’effet propre de l’horaire, le fruit de la fatigue ou encore de la détérioration de l’état de santé associé à la pratique du travail posté (Ramaciotti et al., 1990). Disposer de temps signifie être en mesure de se l’approprier, de l’utiliser tel qu’on le souhaiterait. L’étude de Kundi et al. (1995) auprès d’infirmières travaillant en 3 x 8 h et 2 x 12 h montre que ces systèmes d’horaires complexifient la conciliation de la vie au travail et hors travail mais aussi que le besoin de récupération qu’imposent les postes de 12 heures réduit le temps consacré à la vie personnelle et le réduit au même niveau que celui des infirmières qui travaillent en 3 x 8 h. Toujours est-il que ces facteurs pourraient se conjuguer et se potentialiser dans le temps.

Au total, on peut être surpris du faible nombre de travaux se préoccupant des effets des horaires de travail de nuit ou posté sur la vie sociale et de la progressive désertion de ce thème de recherche. Cela est d’autant plus étonnant que ces modalités temporelles se multiplient et que les questions d’équilibre entre la vie au et hors travail font partie des thématiques centrales et prisées. L’évolution des rythmes généraux de la société peut sûrement, en partie, expliquer ce phénomène : l’augmentation de l’amplitude d’ouverture des commerces et des services, des salles de sports ouvertes tard en soirée, des banques ouvertes le samedi, parfois même le dimanche matin, des magasins le week-end, l’ouverture de crèches tôt le matin et très tard le soir, la possibilité de voir de nombreux programmes, ou films à la demande, etc. Cet accès facilité aux services, quelle que soit l’heure, apparaît comme une conséquence de l’augmentation du nombre de salariés en horaires atypiques mais aussi et par voie de fait participe à en accroître le nombre. Aussi peut-on imaginer que ces conditions réduisent progressivement les inégalités entre travailleurs postés et travailleurs de jour devant la vie sociale et diminuent le poids des difficultés associées à ce type d’organisation.

Par contre, la question de l’équilibre de la vie familiale reste entière. À l’heure où les formes d’horaires atypiques se multiplient et où parallèlement les familles monoparentales augmentent, où les salariés français disent accorder une importance cruciale et de plus en plus forte à l’équilibre de leur vie et aux frontières qui délimitent la sphère de leur vie professionnelle et personnelle, on ne peut qu’inciter la recherche à investiguer davantage ce champ scientifique.

De nombreux travaux récents attestent des effets du déséquilibre de la vie au et hors travail sur la santé. Geurts et al. (1999) font apparaître qu’un conflit entre les sphères personnelle et professionnelle prédit des troubles psychosomatiques, des troubles du sommeil ainsi que deux des trois dimensions de l’épuisement professionnel : l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation. Ils montrent que la perception de l’interface vie au travail et vie hors travail agit comme une variable médiatrice dans la relation entre la charge de travail et la santé perçue. La méta-analyse de Allen et al. (2000) confirme que les conflits entre vie personnelle et vie au travail affectent considérablement l’individu : anxiété, dépression, stress perçu, troubles psychosomatiques. Quick et al. (1997) tout comme Lourel et Guéguen 2007) trouvent que le conflit « vie privée / vie au travail » augmente le niveau de stress perçu par les salariés. L’émergence des risques psychosociaux en entreprise ces dernières

années nous incite à élargir nos approches en considérant l’Homme au travers de ses différentes sphères de vie et d’action.

Ce faisant, ce sont les perspectives d’actions qui s’en trouvent élargies : cet état de bien-être et de qualité de vie au travail, objectif assumé du troisième plan de santé au travail, puise sa source à l’intérieur même du bureau ou de l’usine, mais pas seulement. On voit à quel point le rythme professionnel conditionne la vie toute entière jusque dans ses composantes intimes. Il devient donc urgent d’abolir les frontières scientifiques disciplinaires (ce rapport en est une illustration) comme celles qui cloisonnent la vie au travail et hors travail. C’est vraisemblablement dans cette voie que les questions relatives au travail, y compris de nuit et/ou posté, trouveront des solutions pérennes.

6 Evaluation des risques sanitaires associés au

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