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Malgré cela, plusieurs diplômés en « sciences molles » ont confié avoir éprouvé, dans leur jeunesse, un attrait pour les sciences ou pour les ordinateurs. C'est ce qui les aurait menés « naturellement » au journalisme informatique, un senti- ment qui, chez certains, remonte à leur plus tendre enfance :

Mes parents ont acheté un ordinateur en 1991, un Mac Classic à l'époque, et j'ai toujours joué avec ça, se souvient Thomas de Lorimier (R03)29. J'avais des amis qui étaient même assez cracks [...]. À l'époque, on

utilisait HyperCard pour programmer des espèces d'animations. [...] Tu pouvais programmer des interfaces. Mais c'est très de base [...] Je sais pas pourquoi, mais j'aimais beaucoup faire ça. Je m'amusais.

— C'était créatif?

— Je pense que oui. [...] C'était un défi qui était vraiment agréable à relever. C'était plaisant, parce que y'avait toujours [...] comme une énigme à résoudre et moi, je pense que c'est ça que j'aime.

29 Thomas de Lorimier est chef de division web à La Presse. Il pilote les initiatives de journalisme informatique/de données du quotidien depuis 2011.

Ma mère est programmeure-analyste, révèle Steve Proulx (R02)30. Donc c'est elle qui m'a vraiment initié à

ça. Le premier ordinateur que j'ai eu, c'était un Commodore 64 et j'ai eu toutes sortes de cochonneries avant Windows. Donc, c'était purement du code et j'ai fait ma première base de données, en code, vers l'âge de 10, 11 ans, je dirais.

— C'était quoi?


— C'était ma collection de timbres! J'avais classé par pays, par année, par prix selon le guide Scott. Tu pou- vais faire des requêtes : donc dire, telle telle requête.


— C'était en DOS? — En dBase.

J'avais une gigantesque facilité avec les ordinateurs […], relate Naël Shiab (P02). Je me souviens encore du premier ordinateur qu'on avait quand […] j'avais 8 ans. J'installais mes jeux moi-même et je trouvais que la mémoire vive était trop lente pour mes jeux. J'avais déjà cette compréhension-là de l'ordinateur.


— Quels jeux?


— Age of Empires. Il y a SimCity 2000, aussi, dont j'ai gardé le CD. […] C'étaient des jeux de stratégie, de gestion [dans lesquels] t'avais plein de données de toutes sortes. J'ai réalisé ça des années plus tard. Age of Empires, tu joues avec des données : […] de la nourriture, de l'or, tu fais des investissements.

J'en ai parlé à ma mère, raconte Valérie Ouellet (P09), et elle m'a dit : « À 12 ans, tu as créé ton premier site en HTML! » Je ne m'en souvenais vraiment pas! C'était un site de fans de Harry Potter. C'était vraiment geek! [...]

Je me souviens que l'arrière-plan était jaune et que j'avais [choisi des caractères de couleur] or. J'avais aussi voulu animer un gif de Harry Potter sur son balai. J'étais vraiment fière de moi.

Dans d'autres cas, il faut attendre l'adolescence et c'est le web qui a été pour eux la porte d'entrée du monde de l'in- formatique :

Quand j'étais plus jeune, dit Éric Larouche (P05)31 j'ai fait des sites web. [...] Je collaborais à l'époque avec

Planète Québec, un magazine en ligne! On montait des pages en code HTML. Il y avait des outils qui nous permettaient de monter des pages, mais [plusieurs] éléments étaient quand même des choses à coder. [J'avais aussi un site personnel] que je faisais moi-même et que je mettais à jour sur Geocities! Ça n'existe plus, mais c'était très populaire à l'époque!

30 Journaliste indépendant durant une bonne partie de sa carrière, mais également graphiste et auteur, Steve Proulx a fondé en 2011 la première agence de journalisme de données au Québec, 37e avenue.

31 Éric Larouche est chef de pupitre à Radio-Canada.ca, à Montréal. Il a suivi des formations en 2014 afin d'être plus à l'aise avec certains outils relatifs au journalisme informatique.

Je faisais des sites web [quand j'étais] au secondaire et au cégep, raconte Cédric Sam (P14)32. [C'est] du

HTML et des CSS, mais je ne considère pas que c'est du code. C'était plus un hobby. Je n'étais pas un de ces programmeurs précoces qui programme à l'âge de 10 ans.

Ces récits de vie ressemblent à ceux des plus célèbres informaticiens. Dès l'âge de 13 ans, en 1968, Bill Gates passait des heures dans une pièce de son école secondaire où venait tout juste d'être installé un terminal communiquant avec un ordinateur PDP-10. Il était passionné par l'appareil et s'amusait à programmer des jeux en BASIC (Wallace et Erickson, 1992 : 20-33). Un des plus célèbres pirates informatiques, arrêté en 1995 et condamné à cinq ans de prison en 1999, Kevin Mitnick raconte que c'est dès le secondaire qu'il s'est mis à bidouiller pour améliorer des systèmes : « My hacking career started when I was in high school. Back then we used the term hacker to mean a person who spent a great deal of time tinkering with hardware and software, either to develop more efficient programs or to bypass unnecessary steps and get the job done more quickly » (Mitnick, 2003 : en ligne).

Il y a peut-être un Kevin Mitnick parmi les participants à cette recherche puisque l'un d'entre eux a déjà reçu la visite de la Gendarmerie royale du Canada! Vers la fin des années 1980, Olivier Bouchard (P03) avait accès à internet chez lui. Son père était professeur et il pouvait se brancher à partir de la maison au réseau de son université par la biais d'un modem. Très peu de foyers, au Québec, pouvaient accéder à internet, à l'époque, les accès grand public ne s'étant généra - lisés qu'à partir de 1994. Mais notre participant ne se connectait pas à internet en utilisant l'accès de son père. Des amis avaient trouvé les noms d'usager et les mots de passe d'autres employés de l'université et c'est avec ces comptes piratés qu'ils naviguaient sur le net : « Tu prenais ton modem et [tu composais] un numéro [de téléphone]. Ça répondait, puis tu te connectais [à un serveur]. Je pouvais alors passer des heures sur Usenet33. J'ai appris énormément de choses [dans] les

forums sur l'informatique. » Les activités de ce participant et de ses amis engorgeaient cependant les lignes de l'université. Ce qu'ils faisaient était illégal puisqu'ils utilisaient des ordinateurs, les serveurs de l'institution, sans autorisation. Le domi - cile de ses parents (et de celui de ses amis) a donc fait l'objet d'une perquisition de la GRC, qui a saisi les ordinateurs de tout le monde. Ils en ont été quittes pour une bonne frousse puisque personne n'a finalement été accusé.

On est loin des récits biographiques de journalistes qui, enfants, imitent les journalistes qu'ils entendent à la radio ou qu'ils voient à la télévision. En ce sens, les journalistes informatiques semblent avoir une identité qui les rapproche davan - tage des informaticiens que de leurs pairs des médias… Identité geek… ou plutôt hacker… On y reviendra.