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Parmi les participants, seulement deux ont confié avoir suivi un cours de journalisme assisté par ordinateur durant leur formation au début de la décennie 2000. Dans un cas, celui de Pierre-André Normandin (P16)34, le cours a notam-

32 Journaliste informatique avec Bloomberg News, Cédric Sam travaillait au South China Morning Post, à Hong Kong, au moment de mon entretien avec lui. Il est inclus dans mon échantillon parce qu'il été intégrateur web à Radio-Canada, à la fin de la décennie 2000, puis a participé aux premiers projet de journalisme informatique de La Presse, à partir de 2011.

33 Usenet est un système de discussions et d'échanges intégré au réseau internet à partir de 1979. Il n'est plus très usité au XXIe

siècle, les forums de discussion sur le web ayant pris la relève.

34 Le journaliste Pierre-André Normandin est présenté par plusieurs de ses collègues comme le geek d'Excel dans la salle de nouvelles où il travaille, celle de La Presse, à Montréal.

ment consisté à apprendre Photoshop, ce qui ne correspond pas tout à fait aux compétences relatives au journalisme infor- matique. Dans l'autre, celui de Thomas de Lorimier (R03), il s'agissait notamment « de voir comment l'informatique pou- vait aider les journalistes ». Les étudiants apprenaient la structure d'une page web et certains logiciels spécialisés. Il se sou - vient entre autres d'un travail : « Dans un des devoirs, le prof nous donnait une base de données : " Il y a une histoire là- dedans. Trouvez-la. " C'était seulement ça. C'est le seul journalisme de données dont je me rappelle. »

Comme peu de participants ont étudié en informatique, celles et ceux qui ont les compétences les plus avancées ont indiqué les avoir apprises « sur le tas » : « J'ai beaucoup d'expérience technique, mais aucune formation », résume Olivier Bouchard (P03).

Quand j'étais étudiant, se souvient Éric-Pierre Champagne (P12), un organisme communautaire […] cher- chait quelqu'un [pour faire de la mise en pages avec] PageMaker. […] Ils m'ont demandé si je le connaissais et j'ai dit : " Oui oui oui! " [rire] […] Après ça, je suis retourné à la maison et j'ai contacté mes amis gra- phistes : " Là, je m'en vais te voir pis tu me donnes un un crash course sur PageMaker! ". […] Mes patrons n'y ont vu que du feu! […] Ça ne me rebute pas. […] Un logiciel, je n'ai pas peur de l'essayer, de faire des erreurs et d'apprendre. Je ne me considère pas comme un crack, mais il y a plusieurs choses que j'ai apprises comme cela, en essayant.

« Je gosse. J'apprends toute seule », dit de son côté Marie-Ève Tremblay (P08)35. Quand on lui demande comment elle

s'y prend pour « gosser », elle répond : « Ah! Sur Google! » C'est en faisant simplement des recherches dans Google que plusieurs participants admettent avoir fait l'essentiel de leur apprentissage des différents logiciels, langages ou systèmes dont ils se servent dans leur pratique au quotidien : « If it wasn't for Google, I wouldn't be able to do 80 percent of the stuff I can do today. I'd say it's my main tool », confie Roberto Rocha (P10)36.

Pour te donner un exemple concret, raconte de son côté Thomas de Lorimier (R03), on devait monter une page web […]. Je me rappelle très bien d'être allé voir un site de nouvelles que je ne nommerai pas, dont j'aimais la mise en pages. J'ai copié le code [HTML], je l'ai collé dans DreamWeaver, je pense. J'ai retiré des morceaux, j'en ai ajouté. Je suis allé voir sur Google pour savoir comment faire telle chose. Et finalement, en expérimentant comme ça, ça m'a permis d'apprendre en déconstruisant, pis en reconstruisant, comme des blocs Lego.

Les participants indiquent que lorsqu'ils font des recherches, Google leur présente régulièrement des pages se trou- vant dans des forums de discussion en ligne spécialisés en informatique :

Parfois je tape : « tutoriel, tel truc », ou « problem, tel machin », explique Naël Shiab (P02), [et] souvent ça m'amène sur Stack Overflow37. Parce que c'est sûr que quelqu'un a [déjà] vécu le même problème que toi à

un moment donné et qu'il y a quelqu'un qui a proposé une solution. C'est le monde merveilleux des geeks, où tout le monde s'aime!

35 Marie-Ève Tremblay est journaliste à Radio-Canada, à Montréal. On le verra un peu plus bas, elle a elle aussi, un peu comme Pasquale Harrison-Julien, le mandat d'expérimenter sur le plan numérique.

36 Journaliste indépendant, surnuméraire à Radio-Canada.ca depuis que je l'ai rencontré, Roberto Rocha a longtemps été reporter pour le quotidien de langue anglaise The Gazette. Il a également cofondé le chapitre montréalais du groupe Hacks / Hackers en 2011.

37 L'expression Stack Overflow, qu'on peut traduire en français par « débordement de pile », désigne un problème informatique qui survient quand un programme plante parce qu'il utilise plus de mémoire qu'il n'en a prévu. Le site Stack Overflow, consacré à la programmation, n'est qu'un des dizaines de forums du réseau Stack Exchange, dont plusieurs traitent de sujets qui ne sont pas nécessairement reliés à l'informatique.

« Stack Overflow est une ressource incontournable », dit Olivier Bouchard (P03). « Quand t'es un autodidacte, [tu apprends] par des études de cas [et en posant] des questions. [Pour] tout ce que tu peux imaginer faire en Python, [par exemple], il y a, sur Stack Overflow, quarante réponses très détaillées [et] beaucoup de cas. » Cette façon de faire n'est « [peut-être] pas du journalisme », reconnaît Florent Daudens (P06), « mais c'est de l'acquisition de connaissances qui va me servir en journalisme ».

L'apprentissage sur des moteurs de recherche ou des forums de discussion peut cependant avoir ses limites et d'autres journalistes indiquent avoir voulu approfondir leurs connaissances en suivant carrément des cours en ligne. Des partici - pants ont mentionné le site Codecademy38 comme un bon moyen d'avoir une introduction rapide, gratuite et ludique à

différents outils ou langages. D'autres ont indiqué avoir suivi ou avoir songé à suivre des cours plus complets sur le site de l'éditeur de livres informatiques O'Reilly, ou encore sur les plateformes d'apprentissage Coursera39 ou Udemy. Les for-

mations y sont plus approfondies, mais également beaucoup plus coûteuses : les prix peuvent dépasser 500 $ canadiens. Cela n'a pas empêché certains praticiens de payer de leur poche pour aller chercher une formation spécialisée. Deux d'entre eux (Naël Shiab [P02] et Valérie Ouellet [P09]) ont complété une maîtrise en journalisme d'enquête et de données mise sur pied en 2014 par les universités Dalhousie et King's College, à Halifax. D'une durée de 10 mois, les étudiants y apprennent, notamment, la programmation informatique : « You will learn cutting-edge techniques, such as how to acquire, analyze, and map large data sets, how to write computer scripts to mine data from the web and how to visualize your results » (University of King's College, 2014). Bahador Zabihiyan (P15)40 a même suivi un cours de programmation très poussé, dans le langage C, à

l'Université de Montréal.

D'autres ont dit avoir participé à des formations offertes par leur employeur, leur fédération professionnelle, sinon lors de congrès. Mais Éric Larouche (P05) indique que cette formation n'a pas répondu à ses attentes : « Non, parce qu'il y a tellement de connaissances qui entrent en ligne de compte quand tu fais du journalisme de données. » La pratique est trop complexe pour être résumée à une seule séance de formation d'une durée de trois heures, dit celui qui a finalement approfondi lui-même ses compétences avec l'aide de confrères et consœurs de travail : « Quand j'avais des problèmes, je posais des questions à mes collègues. […] C'est vraiment un apprentissage de projet en projet. »

Cet « apprentissage par projets » a été souligné par d'autres comme la meilleure façon d'apprendre. Un cours théo- rique ne suffit pas. À la limite, c'est inutile s'il n'est rattaché à rien de concret. Par exemple, Julien Brault (P01)41 a organisé

en 2013 une conférence qu'il a intitulée HackJournalisme, à Montréal, dans le but de faire connaître les différentes tech- niques associées au journalisme informatique. Il dit que les formations offertes au cours de sa conférence lui ont notam-

38 Accessible à l'URL suivant : https://www.codecademy.com/

39 La version française de ce service est accessible à cet URL : https://fr.coursera.org/

40 Bahador Zabihiyan est journaliste à Radio-Canada.ca. Son patron, Christian Thivierge (R04), dit qu'« environ 60% de son temps est consacré au journalisme de données ».

41 Au moment de l'entrevue, Julien Brault était journaliste à l'hebdomadaire économique Les Affaires. Il se spécialisait dans la couverture des petites entreprises en démarrage du secteur des technologies. Il a depuis quitté le journalisme.

ment permis d'apprendre que « Excel, c'est important »… Mais il a confié que dans les mois qui ont suivi, il ne s'était plus souvent servi d'Excel. Résultat : deux ans plus tard, « j'ai dû [le] réapprendre », dit-il.

Il faut avoir un objectif précis à atteindre, insiste Cédric Sam (P14), un projet concret à réaliser ou à compléter, pour que les apprentissages demeurent : « N'apprends pas un langage [juste] pour apprendre. Apprends pour un projet », conseille-t-il. « When you have a very specific goal in mind, that's when you learn the best », dit Roberto Rocha (P10).

Maintenant, qu'est-ce que les journalistes informatiques apprennent, au juste, qui les démarque des autres journalistes? Que contient cette « grosse grosse grosse boîte à outils » dont parle Pasquale Harrison-Julien (P07)? En entrevue, j'ai demandé aux participants de me décrire leurs outils de travail. Voici les principaux.