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Chapitre 5- Interprétation et discussion

5.2 Discussion sur la perception des messages de promotion de la vaccination

5.2.1 Efficacité des messages narratifs et émotifs

Les résultats suggèrent que l’efficacité d’un message narratif pour influencer les perceptions du lecteur pourrait varier selon le personnage principal impliqué dans l’histoire racontée ainsi que selon son discours. Toutefois, des éléments dans le style d’écriture de l’histoire B (tels que les exagérations qui diminuaient la crédibilité du médecin) ainsi que le fait que ce message ait été modifié entre les groupes de discussion limitent la portée des conclusions qui peuvent être tirées des différences observées. Malgré tout, en comparaison avec l’histoire B, l’histoire A semblait davantage mobiliser des mécanismes déjà documentés dans la littérature pour expliquer l’effet des messages narratifs. Ces différents processus expliquent peut-être aussi le fait que l’histoire A avait plus d’impact positif sur la décision vaccinale de plusieurs participants en comparaison avec les messages factuels.

Identification avec le personnage

D’abord, le fait de s’identifier ou non avec le personnage pourrait expliquer la différence dans l’effet des histoires A et B. En effet, dans l’histoire A, plusieurs participantes semblaient s’identifier ou se reconnaître dans la mère y témoignant, tandis que les participants ne semblaient pas s’identifier au médecin dans l’histoire B. Une certaine forme d’identification ou de reconnaissance dans une mère racontant l’histoire de son enfant semblait d’ailleurs être un élément important pour que la participante défavorable à la vaccination préfère ce message. Or, dans la littérature, l’identification avec les personnages d’une histoire fait partie intégrante de différentes théories expliquant comment les messages narratifs peuvent exercer leur influence persuasive (Green, 2006; Moyer‐ Gusé, 2008). De même, dans une étude empirique, l’identification avec un personnage contractant une infection était associée avec la perception d’une plus grande vulnérabilité à cette infection (Frank et al., 2015).

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Une différence dans le processus d’identification peut également expliquer pourquoi la mère de l’histoire C était moins bien perçue que la mère de l’histoire A. Le fait que le récit de la mère dans l’histoire C ne semblait pas évoquer de réaction émotive chez les participants, contrairement à la mère de l’histoire A, pouvait contribuer à cela. En effet, rappelons que la simple existence d’une similarité avec un personnage ne mènerait pas nécessairement à un processus d’identification : entre autres, le fait de ressentir les émotions du personnage serait une composante essentielle de l’identification (Moyer‐Gusé, 2008). De plus, une revue critique de la littérature sur les attitudes vaccinales a trouvé que le fait que des proches approuvent la vaccination était une raison retrouvée fréquemment dans la littérature pour expliquer le fait qu’un individu soit en faveur de la vaccination (Yaqub et al., 2014). Or, en l’absence de rapprochement et d’identification avec la mère dans l’histoire C, celle-ci n’était probablement pas considérée comme une personne importante pour les participants. Son opinion n’affectait donc pas leur perception de la norme subjective.

Images évoquées

Ensuite, il est possible que l’histoire A était plus efficace que les autres histoires pour certains participants parce qu’elle évoquait plus d’images. En effet, l’histoire A comportait une description visuelle d’un enfant hospitalisé pour une rougeole compliquée. Ces images avaient marqué quelques participantes, dont une mère qui avait même indiqué clairement qu’elle s’imaginait un scénario dans lequel c’était sa propre fille qui était hospitalisée à la place de l’enfant de l’histoire. Or, le fait de pouvoir se faire des images mentales lors de la lecture d’une histoire fait partie du processus de transportation, soit un mécanisme à la base d’une des théories pour expliquer l’efficacité persuasive des messages narratifs (Green, 2006; Green et Brock, 2000). De plus, une étude ayant évalué un message narratif, dans lequel une femme fréquentant les salons de bronzage développe un cancer de la peau, a trouvé que les participantes exposées à ce dernier pouvaient s’imaginer plus facilement développer ce cancer et avaient une plus grande perception du risque en comparaison avec des participantes exposées à des messages non narratifs (Janssen, van Osch, de Vries et Lechner, 2013). À l’aide d’analyses de médiation, les auteurs ont également obtenu des résultats suggérant que l’influence sur la perception du risque était médiée par la facilité à s’imaginer avoir cette maladie (Janssen et al., 2013). Ainsi, ces mécanismes étaient peut-être présents dans le cadre du présent projet de recherche également.

Émotions évoquées par les messages narratifs

Un autre facteur pouvant expliquer que l’histoire A était préférée ou avait une influence positive sur la décision vaccinale de plusieurs participants contrairement aux autres histoires réside dans les émotions qu’elle suscitait. En effet, davantage de parents semblaient trouver que l’histoire A était touchante en comparaison aux autres histoires. Or, tel que déjà mentionné, selon certaines théories, l’implication émotive jouerait un rôle pour expliquer l’effet persuasif des messages narratifs (Green, 2006; Green et Brock, 2000; Moyer‐Gusé, 2008).

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Également, dans une revue systématique sur l’intégration de témoignages de personnes prenant une décision en lien avec leur santé à des outils d’aide à la décision, les auteurs ont trouvé certaines évidences que ces histoires personnelles influenceraient des aspects émotifs et/ou de motivation qui seraient associés avec le fait de porter attention à une information et de s’en souvenir (Bekker et al., 2013). Une autre revue de littérature systématique sur les interventions en santé utilisant des messages narratifs avait aussi identifié que les messages plus émotifs et décrivant l’expérience émotive du personnage seraient peut-être plus efficaces (Graaf et al., 2016). Ainsi, à la lumière de la littérature révisée, l’influence plus positive de l’histoire narrative A peut s’expliquer en partie par le fait que les participants du présent projet de recherche percevaient que l’histoire A était plus émotive et leur faisait vivre plus d’émotions par rapport aux autres.

À l’inverse, l’histoire B avait été rédigée afin d’être émotive également, mais cela ne semblait pas apprécié. Or, les résultats d’une étude ayant testé une vidéo narrative faisant la promotion du test de dépistage contre les VPH suggèrent que la relation entre les émotions et les effets des messages narratifs serait probablement complexe (Murphy et al., 2013). Dans cette dernière étude, les auteurs rapportent que des niveaux plus élevés d’émotions (positives ou négatives) vécues par leurs participants étaient associés à une moins bonne attitude envers le comportement promu (Murphy et al., 2013). Ces auteurs invitaient donc à faire preuve de prudence lors de l’utilisation de messages narratifs qui font vivre des émotions au destinataire, car certaines émotions spécifiques n’ont peut-être pas l’effet souhaité sur le comportement promu (Murphy et al., 2013). Les résultats du présent projet de recherche illustrent bien la justesse de cette mise en garde.

En effet, les résultats de ce projet suggèrent que la culpabilité serait une émotion délicate à utiliser. Ainsi, beaucoup de participants trouvaient que le médecin de l’histoire B culpabilisait les parents n’ayant pas fait vacciner leur enfant et cela rebutait des parents, peu importe leur attitude vaccinale. Cet effet de la culpabilisation des parents fait peut-être écho aux résultats d’un sondage pancanadien de 2015 réalisé sur un échantillon de parents recrutés dans un panel représentatif de la population canadienne (Greenberg et al., 2017). Dans ce sondage, une question demandait si les messages de promotion de la vaccination devraient utiliser des techniques pour amener un sentiment de honte (un sentiment semblable à la culpabilité) chez des parents afin de les persuader qu’ils ont un devoir moral de faire vacciner leurs enfants et protéger leur communauté. La majorité des participants, incluant des parents faisant vacciner leurs enfants, ont répondu qu’ils ne croyaient pas que cela serait efficace (peu probable de fonctionner : 31,5 % des réponses; pas du tout probable de fonctionner : 32,5 %) (Greenberg et al., 2017). Une étude ayant évalué l’effet de messages narratifs portant sur le don d’organe a aussi trouvé que la culpabilité était une émotion risquée à évoquer (Quick, Kam, Morgan, Montero Liberona et Smith, 2015). Dans cette étude, un message présentant les effets négatifs à ne pas s’enregistrer sur une liste de donneurs d’organes, soit à ne pas prendre l’action promue dans le message, était associé à un sentiment de culpabilité, et ce, même chez les participants déjà inscrits sur la liste de donneurs

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(Quick et al., 2015). Ce sentiment de culpabilité était associé à une perception de menace à la liberté de choix et à de la réactance psychologique (Quick et al., 2015), soit la résistance que les messages narratifs sont censés surmonter pour exercer leur effet persuasif (Moyer‐Gusé, 2008). Ce mécanisme pourrait peut-être expliquer en partie pourquoi, dans le présent projet de recherche sur la promotion du vaccin RRO, l’histoire B rebutait des participants.

Pourtant, une méta-analyse a bien établi que le regret anticipé de ne pas adopter un comportement dans le domaine de la santé est associé à l’intention d’adopter et à l’adoption elle-même de ce comportement (Brewer, DeFrank et Gilkey, 2016). Il y aurait donc possiblement un équilibre délicat à trouver dans l’utilisation de la culpabilité comme émotion évoquée dans un message narratif, en amenant les destinataires à vivre du regret anticipé, mais sans qu’ils se sentent trop culpabilisés et que cela éveille leur réactance psychologique qui peut les amener à rejeter le message.