1.4 Comprendre les effets
1.4.2 Efficacité : 1 – Équité : 0
Quels sont les résultats du match entre l’efficacité et l’équité ou pour reprendre le titre d’un article d’un économiste africain, du dilemme efficacité/équité (Tchicaya 1994) ? L’objet de cette section est de montrer que notre analyse, à l’aune des données préalablement présentées, est partagée par de nombreux observateurs des politiques de santé dans les pays du Sud, et notamment de l’IB.
Eu égard des études disponibles, nous croyons que ce sont les questions d’administration et de gestion qui ont pris le pas sur les préoccupations d’accès aux soins. Dit autrement, l’aspect équitable de l’IB que nous avons précédemment évoqué a été négligé et les préoccupations premières des acteurs ont été concentrées sur l’efficacité de l’organisation à mettre en place. Des analyses des réformes sanitaires des récentes décennies par des experts en la matière aboutissent à la même conclusion (Gilson 2000; Standing 2002; Zwi et Yach 2002)24. En Afrique, d’autres ont constaté qu’effectivement l’équité est devenue un but
secondaire laissant la priorité à la viabilité financière, l’efficacité et l’efficience (Leighton 1996). Les experts de l’OMS Afrique et de l’UNICEF, membres du récent « Bamako Initiative Working Group » aboutissent aux mêmes considérations : « s’occuper de la
question de l’équité d’accès géographique et financier aux soins de santé demeure un défi » (p. 28) et ils veulent donc que « la problématique de l’équité et la manière d’atteindre ceux qui ne le sont pas deviennent une priorité dans le futur » (OMS/AFRO
1999, p.14). Notre analyse concernant la mise en œuvre de quelques composantes de l’IB et des SSP au Burkina Faso fournit les mêmes constats (Nitièma, Ridde et al. 2003). Drabo (2002), dans son étude, financée par l’OMS, sur la mise en œuvre des SSP au Faso écrit :
24 Ce dilemme entre efficacité et équité aurait même, selon certains et au-delà du contexte africain, été
complètement ignoré dans le débat de société (Sassi, Le Grand et al. 2001). Ces auteurs notent qu’ils avaient mis en évidence, dans une recension systématique des écrits entre 1987 et 1997, le fait que les évaluations économiques dans le domaine de la santé n’avaient quasiment jamais pris en compte des indicateurs d’équité. La critique de l’utilisation des DALYs (Disability Adjusted Life Years) par la Banque Mondiale puis l’OMS
« on peut affirmer que l’IB a permis un renforcement général du système de santé de
district avec cependant une focalisation sur les aspects financiers de la gestion de l’offre de soins » (p. 19). Des enquêtes socio-anthropologiques menées dans cinq capitales ouest-
africaines (Bamako, Niamey, Dakar, Conakry et Abidjan) portant sur l’accès aux soins et l’organisation des services de santé ont, à la grande surprise des auteurs, abouti à la même conclusion : le dysfonctionnement (Jaffré, Olivier de Sardan et al. 2002). Voilà pourquoi certaines voix s’élèvent maintenant pour réclamer, non pas des « réformes du secteur de la
santé orientées vers le marché » (Whitehead, Dahlgren et al. 2001, p.833) mais « une nouvelle vague de réformes intenses orientées vers l’équité » (Gwatkin 2001, p.720) pour
que les systèmes de santé soient plus équitables (Gwatkin, Bhuiya et al. 2004). L’étude des résultats présentés dans cette partie soutient cette affirmation puisque nous avons trouvé que c’est essentiellement le critère d’efficacité qui a une tendance à être poursuivi et rencontré. Les prestataires de soins semblent être plus motivés par la maximisation de leur revenu (Tizio et Flori 1997) que par la redistribution de ce dernier en vue de l’amélioration de l’accès aux soins. L’ensemble des États africains et leurs partenaires au développement ont récemment reconnu cet état de fait lors de la revue de l’IB en mars 1999. Les délégués de plus d’une quarantaine de pays se sont rencontrés à Bamako et ont ensemble affirmé que malgré certaines expériences réussies, l’agenda reste inachevé puisque les plus démunis demeurent exclus des services de santé. Ces délégués sont revenus aux principes des SSP et de l’IB en demandant aux gouvernements de « garantir l’équité de l’accès aux soins » (OMS 1999b, p.3). Lors d’une rencontre en Belgique en 200125, un cadre de l’OMS Afrique
confirme de nouveau ces résultats tronqués de l’IB dans une communication dont le titre est évocateur : « D’Alma-Ata à Bamako : un travail inaccompli » (El Abassi 2001), ce qu’il confirme avec d’autres ailleurs (Knippenberg, Traore Nafo et al. 2003). « La stratégie des
Soins de Santé Primaires est toujours aussi pertinente aujourd’hui qu’il y a vingt ans ; cependant l’équité doit maintenant passer d’un statut largement implicite à une
25 Il s’agissait d’une réunion d’un groupe de travail ministériel qui a donné lieu à une déclaration « Health
Care for All », voir le numéro spécial de la revue International Journal of Health Planning and Management 2003, 18, S1.
composante explicite de la stratégie », soulignent Braveman et Tarimo (2002, p. 1621)
dans une large revue des inégalités sociales de santé concernant les pays du Sud.
Ainsi que le décryptait Bernard Hours (1992), la mise en œuvre de l’IB a été vue sous l’angle néolibéral et la santé est devenue un produit comme un autre soumis à la loi de l’offre et de la demande qui régule le marché. Effectivement, la promotion de la privatisation par les économistes tend à reléguer au second plan la question de l’équité (Turshen 1999). Alors que la politique des SSP se fondait sur une vision égalitariste, il semble que celle de l’IB ait été interprétée selon une visée essentiellement libérale. Ainsi que le souligne Flori et Tizio :
même si, dans la lettre, le principe de « santé pour tous » n’est pas oublié par les pays qui mettent en œuvre la stratégie sanitaire de l’initiative de Bamako, c’est explicitement le volet efficacité, à la fois au plan organisationnel et financier, qui est promu au rang de priorité dans les interventions de santé (Flori et Tizio 2000, p.469).
Ces auteurs pensent que cette transition de l’équité des SSP à l’efficacité de l’IB est principalement due au déclin du rôle des États africains. Nous ne pouvons évidemment nous empêcher de lier cette affirmation aux préoccupations initiales lors du lancement de l’IB en 87. Certains, avaient en quelque sorte devancé l’appel, en attirant notre attention sur le fait que le rôle des gouvernements par cette nouvelle politique n’était pas explicitement présenté et que le flou entourant la question de la responsabilité allait très certainement susciter l’enthousiasme des États (Chabot 1988). Nous devons ajouter à cela le fait que le transfert de la responsabilité aux communautés a pu, dans certains cas, renforcer l’accroissement des inégalités d’accès aux soins, non seulement à l’intérieur de ces mêmes communautés mais également entre les différentes régions. Le rôle de l’État demeure crucial dans la garantie d’un accès universel aux soins.