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Durée de vie et dynamique des populations

Les glossines sont des stratèges « k » typiques, avec des caractéristiques associées à une vie dans des conditions de densité proches de la capacité de soutien du milieu ; ce sont de vigoureuses compétitrices, occupant des niches surpeuplées et qui investissent dans un petit nombre de descendants ayant chacun une forte probabilité de survie jusqu’à l’âge adulte. La plupart des autres insectes produisent un grand nombre d’œufs, ont un taux de croissance élevé et exploitent des niches écologiques moins peuplées ; on les qualifie de stratèges « r » (16). En raison des soins maternels que la glossine femelle prodigue à chacune de ses larves, le taux de survie est élevé.

La durée de vie des tsé-tsé a été étudiée par des méthodes de capture-marquage et recapture, détermination de l’âge physiologique des femelles par dissection des ovaires, observation de l’abrasion du bord de fuite des ailes (méthode de l’usure alaire) et détermination de la teneur des yeux en ptéridines (17), car cette substance fluorescente s’accumule dans la tête de la mouche à mesure que celle-ci avance en âge. Il faut connaître la distribution par âge de la population de glossines avant d’entreprendre des opérations de lutte antivectorielle et en faire le suivi afin d’évaluer l’impact de ces opérations.

En général, les femelles vivent plus longtemps que les mâles. On a enregistré des survies de 12 mois au laboratoire, mais dans le milieu naturel, les mouches vivent rarement plus de 5 à 7 mois. La longévité varie en fonction de la saison : elle est optimale pendant la saison des pluies (4 à 5 mois), elle diminue lorsque le froid vient (3 à 4 mois) et elle est particulièrement brève en période de forte chaleur (1 à 2 mois). Les jeunes mouches sont plus sensibles que les adultes aux effets nocifs de la rudesse des conditions climatiques et malgré un sex ratio proche de 1 à la naissance, les femelles sont généralement plus nombreuses dans les populations en raison de leur plus grande longévité. La densité apparente des populations de tsé-tsé dépend de facteurs environnementaux biotiques et abiotiques ; elle varie beaucoup d’un lieu à l’autre et elle est principalement liée au taux d’éclosion des pupes et à la longévité des imagos, facteurs qui dépendent eux-mêmes des conditions climatiques et de la disponibilité des hôtes.

Dans les régions où les saisons sont marquées, comme en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, la densité apparente des espèces riveraines augmente assez rapidement au début de la saison des pluies et recule sensiblement à la

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saison en raison de l’effet destructeur des inondations sur les lieux où se trouvent les pupes et probablement aussi par suite de la présence de prédateurs et de parasites plus nombreux, l’importance de ces derniers étant très dépendante de la densité (18). Un deuxième pic de population se produit vers la fin de la saison des pluies, suivi d’un recul à l’arrivée de la saison sèche qui est dû au vieillissement des imagos et à la dispersion des hôtes. Le recul se poursuit au cours de la saison sèche et de la saison froide (en raison de l’allongement de la durée de la pupaison, d’un accroissement de la mortalité des pupes et de l’émergence de jeunes imagos dépourvus de réserves de graisse). La saison chaude provoque une diminution sensible de la densité des glossines due à l’apparition de températures élevées et à la réduction de l’humidité et de la couverture végétale qui entraînent une mortalité élevée chez les adultes et les pupes. La population recommence à croître à l’arrivée des premières pluies, la modération des températures améliorant la survie. En forêt et dans les zones pré-forestières, où la saison sèche est brève et pas trop prononcée, les variations sont moindres. La densité des espèces de savane augmente fortement avec les premières pluies et elle atteint son maximum au cours et surtout vers la fin de la saison des pluies ; elle diminue sensiblement pendant la saison sèche et la saison chaude. Les courbes de densité varient en fonction de la durée de la saison sèche.

4.5 Alimentation

Un mâle prend en moyenne un repas de sang tous les 3 jours, à intervalles variables. La femelle prend généralement trois repas de sang importants pendant la gestation : un premier repas immédiatement avant la mue intra-utérine entre le deuxième et le troisième stade larvaire, un deuxième à un moment variable au cours de la gestation et un troisième immédiatement après la larviposition. Quel que soit son sexe, une mouche qui vient juste d’éclore prend son premier repas 12 à 24 h plus tard. Ce premier repas est toujours moins copieux que les suivants.

La prise du repas est l’un des moments les plus dangereux pour la mouche tsé-tsé car elle peut être tuée par les mouvements de défense de l’hôte. De plus, en raison de leur faible taux de reproduction, toute mortalité supplémentaire parmi les adultes fait peser une menace sur la population. Il n’est donc pas surprenant que les glossines aient tendance à piquer leurs hôtes en des endroits où elles ont moins de chances d’être atteintes par les mouvements de défense, par exemple sur la partie inférieure des pattes antérieures ou sur l’abdomen des bovins. Du fait de ce comportement, il a été proposé de limiter l’application d’insecticide à ces régions du corps des bovins, dans un souci d’améliorer le rapport coût-efficacité (19, 20).

Une fois que la mouche s’est posée sur son hôte (humain ou animal), elle abaisse sa trompe et l’insère dans le tissu cutané, les palpes maxillaires restant à l’horizontale. La peau est percée par de rapides mouvements alternatifs des

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rie de rapports techniques de l’OMS N°984, 2013

dents labellaires, ce qui provoque une blessure intra-tissulaire et la formation de micro-hématomes dans lesquels la salive est injectée depuis l’extrémité de l’hypopharynx. La salive évite la coagulation du sang, elle a un effet vasodilatateur et contient des trypanosomes infectieux si la mouche est porteuse d’une infection mature ; lorsqu’une glossine est porteuse d’une infection mature à T.brucei, les trypanosomes se trouvent dans ses glandes salivaires. Dans ce cas, un chancre d’inoculation peut apparaître à l’endroit de la piqûre. Le repas de sang est de durée variable, mais prend en général de 20 à 30 secondes. La quantité de sang ingérée dépend de l’espèce, du sexe et du stade nutritionnel de la mouche (en particulier de ses réserves de graisse). Plus la mouche est affamée et déshydratée, plus elle va pomper de sang. Juste après le repas, elle élimine l’excès d’eau par voie anale sous la forme d’une grosse goutte claire qui contient des trypanosomes si la mouche est infectée. Lorsque la mouche est à jeun, son abdomen est aplati et le jabot ne contient qu’une petite bulle d’air. Pendant le repas de sang, l’abdomen gonfle lorsque le jabot se remplit et il devient rouge vif par transparence. Le jabot commence à se vider dans les 5 à 10 minutes qui suivent la fin du repas. De vigoureuses pulsations poussent le sang vers le proventricule qui le dirige vers l’intestin où a lieu la digestion. Le sang progresse à travers l’espace endopéritrophique et prend une coloration noire sous l’action des enzymes protéolytiques sécrétées par l’épithélium intestinal. L’eau est absorbée par les cellules intestinales en moins de 3h et le reste du repas de sang chemine par les segments médian et postérieur de l’intestin moyen où il devient visqueux et semi-solide. La digestion prend donc 24 à 72h pour arriver à son terme. Les déchets digestifs sont évacués par l’anus sous la forme d’une pâte semi-liquide de couleur brun foncé. La durée du cycle trophique (intervalle entre deux repas consécutifs) dépend des conditions climatiques locales, de la présence d’hôtes disponibles, du stade physiologique (en particulier chez la femelle) et de l’activité de la mouche. Le taux de survie est minimal pendant la saison chaude (faibles réserves de graisse, conditions climatiques défavorables) et maximal pendant la saison des pluies (importantes réserves de graisse, bonnes conditions climatiques). Le cycle trophique est de 2 à 4 jours et dépend de l’espèce et du sexe, mais il peut passer à 8–10 jours lorsque les conditions environnementales sont favorables. Les femelles adultes qui ont subi un stress nutritionnel dû à un seul repas par semaine produisent des pupes dont le poids est sensiblement plus faible et leurs descendants ont une teneur en graisse et une moindre expression de base des gènes codant pour des immunopeptides antimicrobiens. En outre, lors d’infections expérimentales, on a constaté que les mouches ténérales émergentes étaient nettement plus sensibles à une infection par T. congolense ou T. b. brucei que celles qui descendaient de femelles adultes non affamées (21).

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