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La discrimination des hommes de minorités sexuelles au Québec (1986-1996)

MIELS-Québec et la discrimination des hommes de minorités sexuelles : une perspective québécoise

5.2 La discrimination des hommes de minorités sexuelles au Québec (1986-1996)

Durant les années 1980 à 1996, les gains qui avaient été faits au niveau des droits des individus de minorités sexuelles et de l'acceptation sociale de l'homosexualité au Québec sont suivis d'une période de crise au sein de la communauté gaie. En effet, durant les années 1980, c'est la crise du VIH-sida qui retient toute l'attention et les efforts de la communauté gaie qui se mobilise pour lutter contre ce mal. Dans cette section, il est question de tracer un portrait de la discrimination des hommes de minorités sexuelles entre 1986 et 1996, en mettant l'accent sur le cas des hommes atteints du VIH-sida. Ces derniers ont vécu des situations discriminatoires graves au sein du réseau de la santé, de

leur famille et/ou de leurs proches, dans leur milieu de travail et dans de multiples autres sphères de la société. Mais surtout, ces hommes ont dû faire face à cette discrimination en combattant une maladie mortelle. La crise du VIH-sida, c'est avant tout une tragédie humaine.

Les recherches dans les archives de l'organisme et les entrevues menées avec les anciens intervenants de MIELS-Québec ont permis de mettre en évidence l'ampleur du drame humain et de l'hystérie collective créés par cette crise du sida. Selon les témoignages disponibles dans les archives de MIELS-Québec, au début de cette période, des hommes de minorités sexuelles se voyaient refuser l'accès aux soins médicaux et ultimement mouraient en peu de temps. À Québec, même la Maison Michel-Sarrazin, une maison de soins pour les personnes en fin de vie, ne voulait pas accueillir les sidéens. Un intervenant et médecin rappelle sa consternation envers le refus des soins, envers la discrimination vécue par ses patients au sein du réseau de la santé québécois :

Je ne m'étais jamais senti si seul, si désespérément impuissant et dérouté; je n'avais jamais eu aussi peur de l'avenir. En plein désarroi, j'étais confronté à la panique qui régnait dans les hôpitaux à l'admission d'un PVVIH, à l'aversion de nombreux médecins pour mes patients et amis malades. Je faisais face au syndrome «pas dans ma cour». Refuser des soins à un malade, je trouvais cela criminel. Jamais, auparavant, je n'avais eu honte de faire

partie du corps médical. (Sidus, 1997)

En plus du rejet au sein du réseau de la santé, les hommes de minorités atteints du VIH- sida devaient faire face aux conséquences sociales de leur diagnostic. Ainsi, en mauvaise condition physique, ces hommes devaient apprendre à leurs proches ce terrible diagnostic et révéler pour certains leur orientation sexuelle. Un intervenant de l'époque rappelle que dans de nombreux cas, des jeunes hommes gais avaient quitté leur petit village d'origine sans aborder le sujet de leur homosexualité avec leur famille. Le diagnostic du VIH-sida mettait la réalité en face des parents : « leur fils va mourir et il est homosexuel ». Certaines familles en venaient à détester l'homosexualité en général et parfois les familles allaient jusqu'à évincer complètement le conjoint de leur fils. Heureusement, la majorité des familles restaient aux côtés des malades et les archives de MIELS-Québec

possèdent de nombreux témoignages touchants de l'amour des proches pour les hommes qui sont morts du VIH-sida à cette époque. Le témoignage d'un intervenant résume les bouleversements pour les familles : « Que dire de leurs amis et membres de leur famille qui ont parfois fait de grand pas en peu de temps : accepter cette maladie mortelle, l'orientation sexuelle mise à jour, le temps à donner à cet être cher en voie de quitter notre monde et, surtout apprendre à cheminer respectueusement avec lui. »

En plus du rejet possible des proches et du système de santé, les hommes de minorités sexuelles atteints du VIH-sida devaient faire face au rejet de leur milieu de travail. Plusieurs cas de discrimination ont été observés à l'époque dans les milieux de travail. En effet, certains hommes auraient perdu leur emploi pour des prétextes ridicules après avoir révélé leur diagnostic médical. Les conséquences de la perte de condition physique, de la perte de l'emploi, de la perte des revenus et du statut social entraînaient ces hommes dans des situations horribles. Rapidement, nombreux sont ceux qui sont devenus pauvres, isolés et déprimés. Le témoignage d'un intervenant nous rappelle le rejet initial qu'il a vécu au sein même de l'organisme :

Le 24 septembre 1986 naît officiellement Miels-Québec. Le 24 septembre 1986, j'apprends officiellement que naît en moi le VIH. Double naissance d'un paradoxe. Le VIH pour mer l'autre, Miels-Québec pour le combattre. L'un temporel, l'autre intemporel. Étant trésorier de l'organisme, une personne me demande de me retirer. Première victoire de l'intemporel. Puis après quelques mois, je suis invité à réintégrer l'organisme. [...] Perte de condition physique, perte d'emploi, perte de revenus, perte de statut social, perte d'amis. Le vide, c'est le trou noir qui appelle à l'implosion. (Sidus,

1997)

Ce type de récit rappelle le climat de peur irraisonnable en 1986, car même au sein de l'organisme cet intervenant est invité à quitter ses fonctions, pour être réinvité par la suite. L'accompagnement offert à l'époque par MIELS-Québec était donc fait en fonction de la réalité de la maladie entre 1986 et 1996. Ainsi, l'organisme ajoute des services pour répondre aux besoins de ces hommes gais qui voient leur vie transformée par cette maladie. Pour répondre aux besoins financiers et médicaux, l'organisme met en place des

mécanismes de supports matériels et surtout met sur pied le centre d'hébergement pour les sidéens.

En ce qui a trait au rejet des hommes de minorités sexuelles atteints par le VIH-sida dans les autres sphères de la vie en société, les recherches menées auprès des intervenants et archives de l'organisme révèlent l'ampleur de l'hystérie collective envers ces hommes. Pour mieux expliquer cette crise sociale et les origines du rejet et de la discrimination vécue par ces hommes, il convient de rappeler à quoi faisait face la communauté gaie. Premièrement, il faut dire que les témoignages relatifs à cette période sont parfois difficiles à lire ou entendre puisque la souffrance, la mort et le deuil y sont omniprésents. Avant tout, la crise du VIH-sida, c'est un drame humain. La mort, c'est bien ce qui a marqué le plus les témoins et intervenants des premières années de MIELS-Québec et la communauté gaie:

Qu'est-ce qu'on peut pour cet autre ami de militance, un batailleur de fond, un défenseur des arts, un avocat populaire qui voit soudain fondre sur lui le vautour d'une mort implacable? Pourtant tous les trois sont jeunes et promis à l'avenir, ces amis disparus, triés sur le volet par une maladie qui nous menace tous, et d'autant plus insidieuse qu'elle s'immisce dans une relation d'amour. (Sidus, 1997)

Avec le recul des années, il est frappant de constater l'évolution de la maladie et de revivre cette période de crise au sein de la communauté gaie. Ce type de témoignage revient fréquemment dans les archives de MIELS-Québec qui conservent le souvenir cette tragédie humaine. Un intervenant de l'époque écrit : « De 1990 à 1993, je dénombre une quarantaine de décès de personnes que je connais. Mon âme me dit qu'il n'y a qu'un seul deuil à faire. La mort. Ma peur... la vie est encore présente ».

Cette mortalité élevée au sein de la communauté gaie, la médiatisation de ces morts, de leur orientation sexuelle et de fausses croyances sur la maladie contribueront à créer un climat de peur et de rejet irrationnel envers les hommes gais. Pire, l'idée d'une « peste gaie » circule au début de la crise en raison des plaques qui apparaissent sur la peau de certains malades (plaques de Kaposi). Rapidement, les hommes de minorités sexuelles

atteints se sentent isolés et font face au rejet de la société. En combattant les préjugés et la discrimination envers les hommes gais atteints, en démystifiant la maladie, MIELS- Québec a contribué à l'affirmation des droits des hommes de minorités sexuelles et des personnes vivant avec le VIH.

Un autre exemple du rejet vécu par les hommes atteints du VIH-sida s'est produit lors de la recherche d'un emplacement pour le transit Marc-Simon par MIELS-Québec. En effet, on peut lire dans un article de la presse canadienne publié à cette époque les raisons évoquées par le président du groupe d'opposition des citoyens du quartier Sainte-Pie X, à Limoilou, où était situé le projet initial de la maison d'hébergement. Le président du groupe d'opposition M. Bourgeois soutenait que la population n'était pas intéressée à se porter volontaire pour vérifier si le voisinage de sidatique constitue ou non une menace d'infection et il invitait les promoteurs du projet de maison pour les sidéens et les intervenants médicaux et psycho-sociaux à accueillir eux-mêmes cette ressource dans leur propre voisinage.

En 1993, la publication de l'étude « Entre hommes : Sexualité et environnement social face au sida » révèle quelques informations sur la discrimination envers les hommes gais. En ce qui a trait à l'orientation sexuelle, 75% des participants à l'étude parlaient de leur homosexualité à leur entourage : « les autres ont déclaré que l'entourage était au courant, mais qu'ils n'en parlaient pas ou disaient que leur entourage n'était pas au courant. Par contre 31% des bisexuels ont déclaré que leur entourage n'était pas au courant de leur orientation sexuelle (COCQ-SIDA, 1993 : 14 ) ». Fait intéressant, le nombre d'hommes ayant déclaré que leur entourage n'était pas au courant de leur orientation sexuelle était plus élevé chez ceux vivant en région comparativement à ceux habitant Montréal ou Québec. « Les jeunes quittent leur village pour venir en ville, c'est difficile d'être gai dans un p'tit village où tout le monde se connaît », m'a confié un intervenant de MIELS. On apprend de l'étude « Entre hommes » que c'est principalement avec les amis intimes que choisissent les hommes de parler de leur sexualité. 67% des répondants ont indiqué n'avoir pas fait l'objet de réactions négatives de la part de leur entourage en raison de leur orientation sexuelle (au cours de l'année qui précédait l'enquête) : « Par contre, 22%

ont affirmé que leurs droits avaient été lésés en raison de leur orientation sexuelle (COCQ-SIDA, 1993 : 17) ». Les personnes ayant brimé les droits des individus sont majoritairement les employeurs et les policiers. On retrouve aussi des travailleurs de restaurants et bars, des représentants de compagnies d'assurances, des propriétaires de logements, des fonctionnaires, des travailleurs d'institutions financières (COCQ-SIDA,

1993 : 21).

En ce qui a trait à l'homophobie et la discrimination des hommes de minorités sexuelles qui n'étaient pas atteints du VIH-sida, les archives de MIELS-Québec ne possèdent pas de nombreux témoignages ou informations pour cette période historique de 1986-96. Ceci est possiblement explicable par la nature des activités de l'organisme, de même que par l'importance et la gravité de la crise du VIH-sida au sein de la communauté gaie. De plus, il semble que le discours et les études sur l'homophobie étaient plus rares durant cette période que durant la période 1997-2009. Ceci dit, les hommes gais qui n'étaient pas atteints par le VIH-sida pouvaient être victimes du rejet lié à l'association entre le VIH- sida et hommes gais. De plus, le rejet de l'homosexualité dans les différentes sphères de la vie sociale entre 1986-96 n'a pas soudainement disparu avec la crise du VIH-sida. Quelques témoignages des intervenants de MIELS-Québec ont permis de mettre à jour des situations de discrimination en milieux de travail, au sein des familles, envers les familles homoparentales, du rejet et du commérage envers les jeunes homosexuels dans les régions et petites municipalités. En ce qui a trait à la discrimination des services policiers, il faut toutefois noter une certaine évolution depuis les arrestations des années

1970. Le harcèlement policier envers les hommes gais devient plus rare.

En résumé, entre 1986 et 1996, c'est la crise du sida qui retient l'attention et les efforts de la communauté gaie. Bien que la discrimination historique envers les hommes gais ait évoluée, cette crise provoquera de nouvelles formes de rejet envers les hommes de minorités sexuelles qui se verront fortement associés à cette maladie. Pour les hommes gais atteints du VIH-sida, la discrimination prendra des formes extrêmes comme le refus de soin médicaux, le rejet de la famille et des proches et parfois la perte d'emploi. Mais

avant tout, les archives de MIELS-Québec et les témoignages des intervenants mettent l'emphase sur l'ampleur du drame humain qui frappe la communauté gaie.