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La discrimination historique envers les hommes de minorités sexuelles et l'émergence récente des groupes communautaires de soutien et d'entraide

MIELS-Québec et la discrimination des hommes de minorités sexuelles : une perspective québécoise

5.1 La discrimination historique envers les hommes de minorités sexuelles et l'émergence récente des groupes communautaires de soutien et d'entraide

La naissance de groupes communautaires de soutien et d'entraide pour les hommes gais au Québec est fortement liée au contexte historique de discrimination envers les hommes de minorités sexuelles. Pour cette partie du mémoire, j'ai choisi de m'inspirer des travaux de l'anthropologue et cofondateur des archives gaies du Québec, Ross Higgins, et de son analyse historique de l'expérience communautaire gaie de Montréal, ainsi que des travaux de Line Chamberland, Patrice Corriveau et de Daniel Wetzer-Lang. Cette démarche m'a permis d'identifier quatre périodes historiques consécutives qui ont marqué les hommes gais au Québec. Dans cette section, il est question de la discrimination des hommes de minorités sexuelles à travers ces quatre périodes historiques qui mènent à la naissance de MIELS-Québec en 1986.

La période de clandestinité fait référence à l'époque où les relations homosexuelles étaient interdites par la loi et les répressions ponctuelles des autorités menaient à des arrestations. Ainsi, on peut retracer jusqu'en 1648 des exemples d'arrestations et de procès d'hommes ayant eu des relations homosexuelles: « Le premier cas de sodomie relaté en Nouvelle-France est celui d'un jeune tambour accusé en 1648 d'avoir commis ce crime abominable et condamné à la peine capitale par le sieur Paul de Chomeday de Maisonneuve, conformément à la législation française de l'époque (Chamberland, 1997 : 36) ». À cette époque, le droit civil français prévoyait les plus sévères châtiments pour les actes de sodomie, dont le bûcher. Heureusement, ce jeune homme verra sa peine commuée en acceptant de remplir le rôle de bourreau pour la colonie. On sait aussi que trois soldats ont été accusés du même crime en 1691 (Corriveau, 2006 : 57). Deux sont condamnés à des peines de deux à trois années d'emprisonnement. L'autre homme est banni à vie de la colonie, reconnu coupable d'avoir « tenté de débaucher plusieurs hommes ». Chamberland (1997) soutient que pendant le Régime français, on dénombre moins d'une dizaine de causes, impliquant en majorité des soldats, qui ont été portées devant les tribunaux.

Au niveau du contexte religieux, il faut savoir que depuis saint Thomas d'Aquin, l'Église catholique range les « actes de pénétration anale » sous la même rubrique que la bestialité et les considère immoraux et contre nature parce qu'ils vont à l'encontre de la création divine en ne respectant pas « la mécanique de la procréation », explique Chamberland (1997 :36). De 1694 jusqu'au Concile de Québec en 1851, la sodomie fait partie des douze fautes dont l'absolution ne peut être accordée que par l'évêque. Par la suite, on constate au XIXème siècle un déplacement de la répression de l'homosexualité. En effet, ce n'est plus seulement l'acte de sodomie qui est condamnable, mais aussi l'attrait envers le même sexe en tant que forme du désir :

Sous l'influence de la médecine des perversions, qui voit l'homosexualité comme une inversion sexuelle et en recherche les causes, vont apparaître au tournant du XXème siècle des traités de médecine pastorale qui s'intéressent à la personnalité de l'homosexuel et discutent de la responsabilité morale qui doit lui être imputée compte tenu des explications (pseudo-) scientifiques de son comportement (Chamberland, 1997 : 37).

S'intéressant au contexte européen, Wetzer-Lang, Le Talec et Tomolillo affirment :

Le développement d'une identité homosexuelle distincte n'est, pas plus que sa corollaire, l'identité hétérosexuelle, une donnée universelle. Dans la volonté de savoir, M. Foucault a situé en 1870 l'émergence d'une interprétation identitaire de l'homosexualité. C'est en effet durant la seconde partie du XIXème siècle que le discours sexologique, s'emparant des manifestations diverses et variées du désir, dresse son grand catalogue des fantasmes et pratiques sexuelles. Il donne un nom et une étiologie à l'attirance pour les personnes de sexe identique et isole peu à peu une nouvelle catégorie d'individu-e-s : les homosexuel-le-s (2000 : 30).

En parallèle, au niveau législatif, la loi canadienne de 1869, inscrite dans la tradition du droit britannique, ajoute au crime de sodomie celui de tentative de sodomie et d'attentat à la pudeur d'un autre homme, « des délits dont il est plus facile d'établir la preuve que pour la pénétration anale (Chamberland, 1997 : 37) » :

C'est dans le contexte social, où l'Église occupe une place de choix dans la colonie, que la première loi canadienne sur la sodomie est adoptée en 1841. Selon cette loi, le crime abominable de sodomie est punissable de la peine

capitale et la culpabilité s'établit par preuve de pénétration. Le Parlement modifie cette loi en 1869 pour reprendre sensiblement la loi anglaise de 1861. Comme en Angleterre, la peine d'emprisonnement à perpétuité remplace la peine de mort. Au Canada, la peine d'emprisonnement minimale s'établit à deux ans alors qu'elle est de dix ans dans le droit britannique. À l'instar du droit britannique, la législation criminelle canadienne incrimine également la tentative de commettre la sodomie et l'attentat à la pudeur d'un homme (Corriveau, 2006 : 92).

En 1890, s'ajoute à la loi l'interdiction de la « grossière indécence » passible d'une peine de cinq années d'emprisonnement et de la peine du fouet : « Cette loi découle de la loi anglaise de 1885 et restera en vigueur au Canada jusqu'à l'adoption du bill Omnibus de 1969 (Corriveau, 2006 : 94) ». Line Chamberland ajoute : « la jurisprudence et la pratique pénale attestent qu'à travers cette notion mal définie, c'est essentiellement la répression des activités homosexuelles masculines qui est visée (1997 : 37) ».

Au sujet de l'émergence des communautés gaies et lesbiennes, Wetzer-Lang, Le Talec et Tomolillo (2000: 31) écrivent: « De manière concomitante, des facteurs politiques, économiques et sociaux ont permis l'émergence de communautés gaies et lesbiennes. Ainsi, la croissance du capitalisme industriel a eu un impact important sur l'institution familiale, les rôles sexués, l'urbanisation et l'idéologie individualiste ». En Europe et aux États-Unis, il y aurait eu un développement de bases communautaires entre 1850 et 1930. Durant cette période, il y aurait eu notamment le développement d'une communauté homosexuelle masculine à San Francisco. En Europe, l'Allemand Magnus Hirshfeld a mis sur pied la première association qui milite pour les droits des hommes gais, le Comité scientifique humanitaire : « The first authentically pro-gay civil rights organization was formed in Germany in 1897. The goals of the Scientific-Humanitarian Committee were to fight for repeal of anti-gay provisions in the German penal code, to promote public education about homosexuality, and to encourage homosexuals to organize for their rights (Cain, 1993 : 1554) ». Cependant, dès 1933, une politique de répression très stricte se met en place en Allemagne et le Comité est interdit. « En 1936, Himmler décrète l'extermination des homosexuel-le-s, et la déportation vers les camps de la mort débute l'année suivante. En Union Soviétique, le régime stalinien procède de même, dès 1934 (Wetzer-Lang, Le Talec et Tomolillo 2000 : 31) ».

Au Québec, on peut trouver des preuves de l'existence d'endroits de socialisation identifiables aux gais dans le Montréal des années 1880 (Higgins 2000 : 12). Durant la période de clandestinité, il y aurait eu une expansion lente des endroits de socialisation gaie jusqu'au milieu des années 1960. Higgins (1997) explique :

Depuis les années 1920, les homosexuels ont utilisé divers espaces publics pour nouer des contacts sociaux et sexuels : rues, parcs, cinémas, installations sportives, restaurants. L'analyse des dossiers judiciaires montréalais des années 1930 révèle une multiplication des arrestations d'homosexuels, souvent à la suite de guet-apens policiers, sur le mont-Royal ainsi qu'au théâtre du Midway sur la rue Saint-Laurent.

Pour Higgins (1997), c'est la période de 1945 à 1960 qui marque la transition entre la clandestinité et l'émergence visible de la communauté gaie à Montréal. Deux pôles de socialisation gaie se forme à Montréal, l'univers de la Main, relaté par Michel Tremblay, et le centre-ville, fréquenté par des francophones et anglophones de classe moyenne « qui préféraient la discrétion et la respectabilité des bars d'hôtels comme le Piccadilly Club à l'hôtel Mont-Royal et le bar Maritime du Ritz-Carlton (Higgins, 1997 : 38) ». Pour les hommes gais, les lieux de socialisation sont devenus des espace sociaux jouant un rôle majeur dans leur processus d'acceptation de soi et d'identification aux pairs :« Au niveau collectif, les bars ont permis aux gais de développer une culture spécifique et un sentiment d'appartenance communautaire à travers le partage d'un même univers de préoccupations (techniques de survie face à la famille, au travail, à la police, connaissance des lieux de dragues) », dit Higgins (1997 : 38).

À partir des années 1960, des affrontements ont lieu entre hommes et policiers qui perquisitionnent les lieux fréquentés par les gais : « Les hommes qui ont vécu dans le milieu gai des années 1960 affirment que les descentes policières étaient empreintes de mensonge, de violence et de haine, et qu'elles visaient à atteindre des quotas d'arrestations », affirme Higgins (2000 : 31). La génération Stonewall, ou l'époque de la libération gaie, fait référence à cette période conflictuelle où émergent des regroupements citoyens et politiques gais au Canada et aux États-Unis. Le Stonewall Inn, un bar gai de New York, est devenu en 1969 l'un des symboles de l'affirmation des droits des

individus de minorités sexuelles en Amérique suite à la révolte des clients gais envers une descente policière. Cet événement a été suivi par quatre journées de manifestation qui représentent la première véritable révolte gaie envers le harcèlement policier. « C'est aussi une période de libération sexuelle et des réseaux de consommation spécialisés se popularisent rapidement dans la communauté gaie (masculine) : discos, puis backroom, saunas, etc. », affirment Wetzer-Lang, Le Talec et Tomolillo (2000 : 34).

Au Québec, cette période est marquée par une explosion du nombre de commerces gais, par une reconnaissance sociale accrue, notamment dans les médias et dans les arts et finalement par des changements juridiques importants. En effet, au Canada, c'est en 1969 que les actes sexuels entre adultes de même sexe, accomplis en privé, sont decriminalises par l'adoption du Bill Omnibus. Ce projet de loi de type omnibus, ce qui signifie qu'il comporte plusieurs sujets, s'inscrivait dans une volonté d'adapter le code criminel aux valeurs canadiennes. Le ministre Trudeau marquera ce projet de loi adopté le 14 mai d'une phrase célèbre : « l'État n'a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation ». À partir de ce moment, plusieurs associations gaies voient le jour et militent pour la défense et l'affirmation des droits des individus de minorités sexuelles. À Toronto, la University of Toronto Homophile Association (1969) est créée. À la suite, s'établit à Montréal, le Front de libération homosexuel (1971) et à Québec, le Centre humanitaire d'aide et de libération (1972).

La période suivante (1973-1980) est celle de l'essor communautaire qui marque une pause suite à la montée du mouvement de libération gaie (Higgins, 1998 : 117). Les groupes gais proposent la création de services sociaux pour les minorités sexuelles et militent pour l'obtention de droits. Dans cette foulée, l'organisme Gai Écoute est fondé en 1980 et offre des services pour les personnes homosexuelles à Montréal. Durant cette période, les lieux de fréquentation gaie continuent d'être victimes du harcèlement policier et les arrestations mènent à des manifestations majeures. Notons l'importance de la descente au bar Truxx en octobre 1977 à Montréal, où 140 hommes sont arrêtés pour s'être trouvés « dans une maison de débauche ». Le lendemain, le samedi 22 octobre 1977, deux milles personnes occupent l'intersection des rues Stanley et St-Catherine afin

de manifester contre la répression policière. On y scande : « les gais dans la rue ». Signe du temps, le Journal de Montréal titre : « Les homos et la police : c'est la.guerre ». À la suite de ces événements, le 27 octobre 1977, l'Association pour les droits des gai(e)s du Québec (ADGQ) présente un mémoire à la Commission des droits de la personne demandant de nouveau l'inclusion de l'orientation sexuelle à cette charte. Cette demande entraînera l'adoption de la loi 88 à l'Assemblée nationale le 15 décembre 1977 et fera du Québec l'un des premiers endroits au monde à offrir une protection légale aux individus issus de minorités sexuelles.

Durant la période suivante (1980-96), celle de la naissance de MIELS-Québec à Québec, l'effervescence de la libération gaie et de l'essor communautaire est freinée par l'apparition d'une maladie qui marquera fortement la communauté gaie. En effet, durant ce qu'il convient d'appeler la génération sida, l'impact de cette maladie influence alors fortement les mouvements gais et les programmes sociaux de santé visant les personnes homosexuelles. Après les gains faits au niveau de l'acceptation des hommes gais, une sorte d'hystérie et de peur s'installe envers la communauté gaie. Le sida, ou syndrome d'immunodéficience acquise, est une maladie causée par le virus du VIH. En 1981, les travaux de Michael S. Gottlieb aideront à identifier cette maladie suite à l'étude et l'observation des symptômes particuliers de certains patients homosexuels à Los Angeles. Dès le départ, l'association entre l'homosexualité et le VIH-sida contribuera à créer la croyance que le sida est une maladie exclusive aux gais. C'est en 1983 que le terme sida fait son apparition dans le vocabulaire et que l'équipe du Dr. Montagnier, à Paris, formule une première description du virus du sida. En 1985, les premiers tests de dépistage du VIH font leur apparition et des médications sont mises au point.

Au Québec, le VIH-sida fait une progression rapide entre 1983 et 1986 chez les hommes de minorités sexuelles après avoir fortement touché la communauté haïtienne. Une troisième vague touchera les usagers de drogues par injection à partir de 1985 et atteindra des niveaux alarmants vers 1990 (MSSS, 2002). Au début de la crise du VIH-sida, les malades font face à l'inefficacité du réseau de santé québécois. Ce sont les efforts de militants gais et de militants haïtiens qui permettront de mettre en place des structures

pour répondre aux besoins des personnes atteintes. À Québec, le groupe communautaire MIELS-Québec est créé en 1986 par des citoyens qui se sentent concernés par la crise. Le témoignage d'un intervenant de l'organisme et médecin résume cette période :

C'est en revenant de Montréal, le 10 mai 1986, où avait eu lieu la veille un colloque parrainé par le comité SIDA-Québec, que j'ai réalisé l'ampleur du drame qui se préparait. Bien sûr, j'avais ouï-dire d'une mystérieuse maladie qui se propageait chez les gais aux USA. Bien sûr, j'avais été confronté à cette maladie; une première mine avait déjà sauté dans ma clientèle et Yvan était déjà décédé en juin 1984. Bien sûr, j'avais décelé des signes du syndrome chez plusieurs de mes patients, déjà... Dorénavant, je devais me rendre à l'évidence : le virus s'était insidieusement infiltré parmi ma clientèle et de plus en plus fréquemment une mine sautait : un autre jeune gars de Québec devenait gravement malade et mourait en quelques mois. (Sidus, 1997)

En conclusion, l'émergence des groupes communautaires de soutien pour les hommes de minorités sexuelles est intimement liée à l'histoire des mouvements gais. À l'aide des travaux de l'anthropologue Ross Higgins, j'ai identifié quatre périodes de l'histoire gaie au Québec qui précèdent la naissance de MIELS-Québec. Il s'agit de la génération de la clandestinité, de la génération Stonewall ou de la libération gaie, de la période de l'essor communautaire et finalement de la génération sida. En fait, c'est durant cette génération sida qu'a été fondé MIELS-Québec en 1986.