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Un diagnostic made in America confiné hors du monde médical

Disputes autour des HSE

2. La MCS : la réussite mitigée de l’importation d’un diagnostic

2.2. L’importation d’un diagnostic en France

2.2.2. Un diagnostic made in America confiné hors du monde médical

a. Un acteur essentiel contribuant à l’existence du MCS en France : l’association SOSMCS

En France, la première personne ayant évoqué publiquement la MCS est sans doute Georges Méar. Pilote de ligne breton, il s’installe à la fin des années 1980 dans la maison qu’il a faite construire avec sa femme. Ils développent bientôt de multiples problèmes de santé : irritations nasales, puis migraines, absences, insomnies, fatigue, etc. Faute d’explica-tion médicale satisfaisante, et constatant l’atténuad’explica-tion de ces problèmes lorsqu’ils quittent

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leur domicile, ils finissent par le mettre en cause. Méar engage une procédure judiciaire, qui le conduit à mener des recherches approfondies pour étayer ses dires. Il découvre ainsi une maladie nommée MCS, à laquelle il identifie son affection et qu’il attribue au formaldéhyde relargué par les bois agglomérés et contreplaqués. Il diffuse alors les résultats de ses recherches, d’abord sur un site Internet42, puis dans un ouvrage de synthèse paru en 2003 43 : la MCS y est présentée en quelques pages à partir des travaux de Miller. Il com -mence à être contacté régulièrement par des personnes reconnaissant à leur tour hypersen-sibles aux produits chimiques.

La même année, une association est fondée par quelques personnes hypersensibles habitant la région lyonnaise. Elles aussi souffrent de problèmes de santé qu’elles ont fini par attribuer à leurs maisons, et ont entrepris des recherches (mais sur les « allergies aux

odeurs » plutôt que sur la pollution de l’air intérieur) aboutissant à la découverte de la MCS –

l’une avait même séjourné dans une clinique canadienne de médecine environnementale. C’est le constat de sa méconnaissance en France qui les a déterminées à fonder une associa-tion, qu’elles nomment SOSMCS. Celle-ci est toujours active aujourd’hui. Ses effectifs ont progressé continûment jusqu’à atteindre plusieurs centaines d’adhérents, essentiellement des personnes hypersensibles. Ils sont cependant peu nombreux à s’impliquer, ce qui limite les capacités d’action de l’association. Ses responsables accomplissent un substantiel travail d’information et d’accompagnement auprès des personnes qui les sollicitent, à travers la vitrine que constitue leur site Internet44. Il s’agit essentiellement de malades, plus rarement de journalistes. Les informations échangées concernent les symptômes, les produits capables de les déclencher, les moyens de s’en protéger, les traitements aptes à les soulager, etc. Elles sont continuellement enrichies par les retours des adhérents. Ce réseau au fonc -tionnement centralisé a par exemple autorisé la constitution d’un répertoire de profession-nels de santé reconnaissant la MCS et proposant des soins parfois efficaces à ses victimes. L’association SOSMCS est ainsi devenue un point de passage obligé dans les trajectoires des personnes se diagnostiquant hypersensibles aux produits chimiques (cf. chap. 5.3).

Elle est aussi essentielle à la visibilité de la MCS en France. Ses principaux objectifs sont sa reconnaissance par les institutions médico-sociales et le développement de prises en charges médicales adaptées (notamment avec la création de cliniques environnementales). Pour atteindre le premier, les responsables de SOSMCS essayent de capter l’attention des

42 http://la.maison.empoisonnee.pagesperso-orange.fr/ [consulté le 6 décembre 2016] 43 Georges Méar, Nos maisons nous empoisonnent, Mens, Terre Vivante Éditions, 2003, 192 p. 44 http://www.sosmcs.org/ [consulté le 6 décembre 2016]

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pouvoirs publics. Ils ont par exemple sollicité le ministère de la Santé en 2011, et les dépu-tés européens l’année suivante, afin d’obtenir l’intégration de la MCS dans la CIM. Ils se sont rapprochés d’autres associations de malades de l’environnement, de manière à peser davantage. Pour atteindre leur second objectif, ils cherchent des relais au sein de la commu-nauté médicale, qui puissent y porter leurs revendications en s’appuyant sur leur légitimité professionnelle. Ils tentent aussi d’asseoir la légitimité scientifique de la MCS en traduisant et en diffusant certains travaux, notamment ceux de Pall.

b. Des relais peu nombreux

Seule l’association SOSMCS est spécifiquement mobilisée en faveur de la recon-naissance de la MCS. Elle est cependant soutenue par quelques acteurs, essentiellement des médecins aux tendances hétérodoxes et des associations intervenant sur le thème de la santé environnementale. Concernant d’abord les médecins, trois se distinguent.

Le premier est Philippe Tournesac. Médecin généraliste exerçant à Paris et à Aix-en-Provence, il s’est d’abord intéressé à la spasmophilie45, puis aux troubles cliniquement proches : le SFC en particulier, mais aussi la FM, l’EHS et la MCS. Il les considère comme différentes formes de « décompensation » de l’hypersensibilité, celle-ci constituant leur substrat partagé et pouvant résulter de phénomènes variés (parmi ses patients, il observe surtout des déficits nutritionnels). C’est de leur traitement qu’il se préoccupe essentiellement. Il reven-dique une pratique « intégrative », empruntant à la fois à la médecine conventionnelle et aux médecines alternatives (acupuncture et ostéopathie notamment) : sa démarche est d’identi-fier la combinaison thérapeutique la plus efficace pour chaque patient. Il ne fait pas de recherche au sens strict du terme, mais partage ses réflexions avec les professionnels de santé lors de colloques, par l’intermédiaire de la revue Santé Intégrative (qu’il anime depuis 2008 avec d’autres médecins et thérapeutes), et par le biais du diplôme universitaire en « pathologies neuro-fonctionnelles » (destiné à la formation continue) qu’il dirige à l’Université de Bourgogne. S’il répond aux sollicitations des associations et des journalistes, il n’essaye pas de communiquer directement au grand public.

Le second médecin contribuant à la reconnaissance de la MCS est Laurent

Che-vallier, nutritionniste exerçant dans le service de médecine interne du centre hospitalier universitaire de Montpellier. Il s’est d’abord intéressé aux rapports entre santé et alimenta-tion, puis entre santé et environnement, à propos desquels il a publié plusieurs ouvrages à

45 Cette entité nosographique, dont l’usage est spécifique à la France, désigne peu ou prou les mêmes troubles neurasthéniques que le SFC [CATHÉBRAS, 1994].

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destination du grand public46, avant de finalement découvrir les HSE. Il a alors fondé (en 2012) une unité « nutrition, médecine environnementale » dans une clinique des environs de Montpellier, afin de pouvoir étudier et traiter des patients hypersensibles. Il s’attache à dépister méthodiquement les maladies reconnues susceptibles d’expliquer leurs symptômes, affirmant détecter un nombre significatif de migraineux et de psychotiques parmi les patients se présentant comme EHS, et diagnostiquer régulièrement des maladies chro-niques manquées ou des asthmes masqués chez ceux se présentant comme MCS. Son approche thérapeutique consiste à traiter ces maladies, et à soulager la « souffrance cérébrale » résiduelle à l’aide de traitements médicamenteux ou phytothérapiques. Il ne fait pas de recherche, mais conçoit sa démarche comme résolument scientifique. Il tente par ailleurs de faire connaître les HSE au grand public en les évoquant lors de ses interventions dans les médias et dans ses ouvrages.

Le troisième médecin contribuant à la reconnaissance de la MCS est Dominique

Belpomme. Oncologue exerçant à Paris, il a également investi le thème de la santé envi-ronnementale, d’abord pour dénoncer l’origine écologique de l’immense majorité des can-cers, puis les effets sanitaires des CEM. Il a reçu en consultation de nombreuses personnes EHS : constatant une prévalence élevée de la MCS parmi elles, il a récemment élargi son intérêt à celle-ci. Mais ses activités demeurent focalisées sur l’EHS : nous les présenterons donc plus loin.

Concernant maintenant les associations engagées en faveur de conceptions écolo-giques de la santé, deux apparaissent susceptibles, à l’échelle nationale, de contribuer à la reconnaissance de la MCS. La première est le Réseau environnement-santé [RES]. Fondé en 2009 pour fédérer une dizaine d’associations partageant ces conceptions, dont SOSMCS, il est piloté par André Cicolella : pionnier des « lanceurs d’alertes » en France, celui-ci a commencé par dénoncer les effets sanitaires des éthers de glycol, au début des années 1990, puis la responsabilité de facteurs environnementaux dans différents problèmes de santé, dernièrement les maladies chroniques47. Laurent Chevallier y participe également : il en préside la commission alimentaire. Outre l’alimentation et les maladies chroniques et émergentes, le RES intervient aujourd’hui sur différents sujets : le bisphénol A, les pertur-bateurs endocriniens, les particules fines, etc. Il procède à un important travail de lobbying, dont les institutions politiques françaises et européennes constituent la cible privilégiée. La

46 Laurent Chevallier, Le livre anti toxique : Alimentation, cosmétiques, maison… Le guide complet pour en finir avec les

poisons, Paris, Fayard, 2013, 308 p.

47 André Cicolella, Toxique Planète : le scandale invisible des maladies chroniques, Paris, Éditions du Seuil, 2013, 320 p.

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reconnaissance de la MCS n’apparaît cependant pas comme une revendication explicite du RES. Si l’existence de personnes hypersensibles aux produits chimiques est parfois évoquée dans sa communication, c’est surtout comme un exemple parmi d’autres des effets délé-tères possibles de l’environnement sur la santé humaine. Les seules actions consacrées par le RES à la MCS, à notre connaissance, sont deux colloques : le premier intitulé « Maladies

de l’hypersensibilité, quelles causes environnementales ? Du déni à l’action » à la Mutualité Française en

avril 2010 (avec la participation de Pall, Belpomme et Chevallier) ; le second intitulé « Crise

sanitaire des maladies chroniques : les maladies environnementales émergentes nous alertent » à

l’Assem-blée Nationale en septembre 2014 (avec la participation de Tournesac, Pall et Chevallier). Tous deux traitent aussi de l’EHS et de la fibromyalgie. Ils ont été organisés en collabora-tion avec SOSMCS et des groupes de personnes EHS (issus des Robins des Toits, de PRIARTéM et du CEF, cf. infra). Ainsi, le RES contribue essentiellement à faire connaître la MCS.

Il en va de même avec une autre association que nous pourrions qualifier d’«

écolo-sanitaire » : l’Association santé-environnement France [ASEF]. Fondée en 2008 et

prési-dée par le cardiologue Pierre Souvet, elle revendique aujourd’hui l’adhésion de plus de 2500 professionnels de santé. Elle se préoccupe des polluants présents dans l’environnement quotidien : dans l’alimentation, l’air ambiant, les produits d’usage courant, etc., ainsi que des CEM. Elle dénonce la méconnaissance de leurs effets sanitaires, en particulier ceux résul-tant d’expositions chroniques et simultanées, et se réclame d’une démarche de prévention fondée sur l’éducation des consommateurs. L’ASEF promeut les produits jugés sains à l’aide de guides pratiques (par exemple, sur les produits ménagers ou de jardinage), réalise des enquêtes à des fins de sensibilisation (par exemple, sur la qualité de l’air intérieur dans les crèches), et diffuse des informations par l’intermédiaire de conférences publiques et de son site Internet48. La MCS y est présentée dans la rubrique « problématiques émergentes » par une synthèse publiée en 2012, qui résume la théorie de Pall et indique les coordonnées de SOSMCS.

Conclusion

La mobilisation en faveur de la reconnaissance de la MCS s’avère extrêmement limitée. Il n’est guère surprenant que ses résultats le soient autant. La MCS est peut-être davantage connue aujourd’hui que lors de son importation en France, grâce à la visibilité dont elle bénéficie désormais sur Internet, aux quelques médecins et associations qui

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l’évoquent parfois publiquement, à l’attention épisodique que lui accordent les médias grand public, ainsi qu’à la poignée d’ouvrages généralistes qui la décrivent (cf. annexe A). Pour les personnes intolérantes aux produits chimiques, il est clair qu’elle est plus facile à découvrir aujourd’hui qu’au début des années 2000. Pour autant, sa reconnaissance n’a pas progressé. Elle n’apparaît pas dans les nosographies officielles, n’est pas diagnostiquée de façon routinière par les médecins conventionnels, et ne permet pas d’être pris en charge ou indemnisé en tant que malade. Les personnes hypersensibles le désirant n’ont d’autre recours que juridique. À notre connaissance, seules quelques procédures relatives à la MCS ont été initiées, concernant toutes d’anciens salariés d’une coopérative agricole bretonne. D’abord victimes d’une intoxication par un pesticide, après avoir manipulé sans protection des céréales récemment traitées à des doses massives, ils ont ensuite développé une intolé-rance aux produits chimiques qui a conduit à leur licenciement pour inaptitude. En 2016, deux d’entre eux ont obtenu la reconnaissance de leur MCS comme une maladie profes-sionnelle par le tribunal des affaires sociales. D’autres procédures suivront peut-être, abou-tissant à une reconnaissance « par le bas » de la MCS : il est trop tôt pour le savoir. Voyons maintenant si la situation est différente pour l’EHS.