• Aucun résultat trouvé

Démarche empirique : comment identifier les savoirs médicaux et les connaissances scientifiques relatifs aux HSE ?

L’introuvable définition médicale des HSE

1.1. Démarche empirique : comment identifier les savoirs médicaux et les connaissances scientifiques relatifs aux HSE ?

À première vue, les HSE ne sont codifiées par aucun savoir médical. Elles sont absentes des manuels de médecine, des programmes de formation des médecins et des enseignements universitaires qui leur sont dispensés, n’apparaissent pas dans les classifica-tions des maladies ou les référentiels de bonnes pratiques, etc. Cela ne signifie pas que les connaissances à leur sujet sont inexistantes, mais plutôt qu’elles sont en cours d’élabora-tion : des recherches scientifiques sont conduites sur les HSE, qui jusqu’à aujourd’hui n’ont pas permis d’en formuler une définition consensuelle. Il faut évidemment se demander pourquoi, et en particulier faire la part des raisons épistémiques et politiques dans cet échec des connaissances scientifiques à se transformer en savoirs médicaux, c’est-à-dire à passer du fondamental à l’appliqué3. Résulte-t-il des caractéristiques de ces connaissances, par exemple de leur incomplétude, ou de la mobilisation d’acteurs ayant intérêt à contrarier leur opérationnalisation, par exemple parce qu’elles les mettent en cause ? Cette seconde hypo-thèse est défendue avec force par les associations de personnes hypersensibles (cf. chap. 2.3.2.3.b). Elle permet d’affirmer l’existence d’une réalité commune aux HSE, dont la formulation médicale est absente car entravée. Elle autorise aussi la mise en œuvre d’une démarche réaliste, s’il apparaît que des acteurs non médicaux parviennent à identifier de

1 Nous en voulons pour preuve les réactions très favorables des chercheurs avec lesquels nous avons échangé suite à nos communications dans plusieurs conférences de biophysique et de médecine, et à la publication d’un article dans une revue de biophysique. En confrontant les résultats des recherches que nous avons conduites en préparation de ce chapitre aux données que nous avons recueillies auprès des personnes hypersensibles, nous avons identifiés quelques angles morts de la littérature scientifique et ten-té de les éclairer.

2 Nous remercions Anne Perrin pour sa relecture d’une première version de ce chapitre.

3 Nous rejetons donc – pour l’instant et par souci de clarté – la perspective radicalement constructiviste se-lon laquelle l’épistémique et le politique, le savoir et le pouvoir, se confondent.

38 | L’INTROUVABLEDÉFINITIONMÉDICALEDES HSE

manière fiable cette réalité. La première hypothèse conduit plutôt à supposer que c’est la nature même de cette réalité qui contrarie sa formulation médicale, par exemple si elle ne relève pas de phénomènes morbides, ou si elle est inconsistante. La mise en œuvre d’une approche réaliste est alors compromise. Il est enfin possible que ces deux hypothèses soient vraies, à propos de connaissances scientifiques concurrentes pour la définition médicale des HSE.

Pour le déterminer, il faut d’abord examiner les connaissances scientifiques élabo-rées à propos des HSE. Elles sont dispersées dans une littérature relativement abondante : la base MEDLINE4 référence 585 articles scientifiques évoquant la MCS dans leurs titres ou leurs résumés, et l’EMF-Portal5 en recense 126 s’intéressant à l’EHS, tous publiés entre 1987 et 2015. À ces travaux s’en ajoutent d’autres qui, sans être explicitement consacrés aux HSE, sont susceptibles d’en favoriser la compréhension (par exemple ceux qui portent sur les interactions des produits chimiques et des CEM avec le vivant, c’est-à-dire potentielle-ment toute la littérature toxicologique et biophysique…). Leur nombre est impossible à estimer et leur analyse ne s’annonce pas moins problématique que leur recensement : com-ment reconnaître le consensus y prévalant, ou les principales théories s’y affrontant, à partir d’une position initiale d’extériorité vis-à-vis de ce champ de recherche ? Certains auteurs ont développé des méthodes bibliométriques, comme l’analyse de la « structure

communau-taire » des réseaux de citation des articles scientifiques. SHWED & BEARMAN [2010] établissent de cette manière que l’hypothèse d’une absence de cancérogénicité des équipements de téléphonie mobile est devenue consensuelle en 2002. Mais de telles démarches sont lourdes à mettre en œuvre, et muettes sur la nature exacte des consensus dont elles démontrent la présence. Afin de la déterminer, les auteurs précédents s’en sont par exemple remis aux résumés des articles les plus fréquemment cités. Nous avons donc adopté une méthode plus inductive pour analyser la littérature scientifique susceptible de permettre la formula-tion d’une définiformula-tion médicale des HSE, consistant à partir de synthèses déjà publiées (dont certaines en français, afin de pouvoir observer d’éventuels tropismes nationaux) :

4 Base de données maintenue par la Bibliothèque américaine de médecine, qui indexe les articles publiés dans des journaux scientifiques de disciplines variées traitant de questions de médecine et de santé. Elle référence plus de 20 millions d’articles parus depuis 1950, ce qui en fait un outil particulièrement intéres -sant pour déceler des tendances bibliométriques.

5 Base de données maintenue par le Centre de recherche sur les interactions bio-électromagnétiques de l’École supérieure polytechnique de Rhénanie-Westphalie, indexant les publications scientifiques consa-crées aux effets des champs électriques, magnétiques et électromagnétiques sur les systèmes biologiques et la santé humaine. Elle référence environ 21 000 articles mais est plus complète que la base MEDLINE sur ce sujet.

L’INTROUVABLEDÉFINITIONMÉDICALEDES HSE | 39

Deux rapports d’expertise collective, l’un consacré à la MCS par le Department of

Health and Aging australien [DHA, 2010], l’autre aux effets sanitaires des

radiofré-quences par l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement, qui com-porte une section détaillée sur l’« hypersensibilité électromagnétique » [AFSSET, 2009, p.278-304] 6.

• Quatre articles de synthèse : DAS-MUNSHI et al. [2007] et CONSO et al. [2010] sur la MCS, CRASSON [2005] et MARC-VERGNES [2010] sur l’EHS.

Cette démarche n’offre pas une garantie parfaite d’exhaustivité et d’objectivité. Elle nous soumet aux choix opérés par les auteurs de ces rapports et articles, par exemple dans la sélection des travaux étudiés, qu’ils n’explicitent pas nécessairement et dont il est difficile de mesurer les conséquences sans être familier du sujet. Certains aspects du rapport de l’AFSSET ont ainsi été critiqués par des chercheurs ayant contribué à son élaboration. GIROUX & HOURS [2013] affirment que les experts impliqués ont présumé l’innocuité des radiofréquences et ont tendu à écarter les savoirs – en particulier profanes et militants – favorables à leur nocivité. BARTHE [2014] considère que le fonctionnement du groupe d’ex-perts a contribué à cloisonner le travail d’expertise, à contrarier la vérification collective de ses résultats, et à limiter l’expression d’éventuels désaccords. Ces auteurs soulignent aussi l’opacité des modalités de constitution du groupe d’experts, qui soulève un double pro-blème de représentativité et de légitimité. Ils n’estiment cependant pas que les conclusions du rapport s’en sont trouvées significativement altérées, sinon en revêtant un ton péremp-toire et en produisant une impression exagérée de consensus. De fait, les quelque 35 rap-ports d’expertise collective disponibles aujourd’hui sur les effets sanitaires des radiofré-quences, élaborés à l’initiative d’institutions étrangères ou internationales (l’Organisation mondiale de la santé [OMS], le Centre international de recherche sur le cancer [CIRC], la Commission européenne, etc.), sont parvenus à des conclusions similaires [VIJAYALAXMI & SCARFI, 2014]. La convergence entre les différentes synthèses que nous avons consultées incite de même à relativiser le risque qu’elles souffrent de biais et d’erreurs significatifs.

Nonobstant, nous ne nous sommes pas satisfaits d’en reprendre les conclusions. Nous sommes d’abord revenus aux méta-analyses ou revues de la littérature auxquelles elles se remettent sur des questions particulières (par exemple, les résultats de certains types d’expériences ou l’efficacité de certaines thérapies). Nous avons ensuite consulté des

6 Ce rapport a été mis à jour en 2013 mais diminué de cette section : elle doit faire l’objet d’un rapport spé-cifique dont la publication, repoussée à plusieurs reprises, est envisagée fin 2017. Nous avons utilisé la pré-version publiée en juin 2016 pour compléter notre analyse.

40 | L’INTROUVABLEDÉFINITIONMÉDICALEDES HSE

articles de recherche originaux (plusieurs dizaines) en accordant une attention particulière aux méthodes employées par leurs auteurs. Nous nous sommes ainsi attaché à comprendre comment les connaissances scientifiques relatives aux HSE sont produites, et comment elles sont jugées (c’est-à-dire pourquoi certaines apparaissent plus valides que d’autres aux auteurs des synthèses considérées). Nous avons enfin examiné les publications postérieures aux synthèses à partir desquelles nous avons travaillé, afin d’en vérifier l’actualité. Par ailleurs, nous avons complété ce travail bibliographique par quelques entretiens (non direc-tifs, en face-à-face ou par téléphone) avec des chercheurs ayant travaillé sur les HSE : six médecins, deux épidémiologistes et deux biophysiciens, dans l’objectif d’accéder à la dimension implicite de l’exploration scientifique de ces troubles. Notre analyse des connais-sances scientifiques relatives aux HSE a finalement bénéficié d’échanges d’échanges infor-mels avec les participants des colloques de biophysiques et de médecine où nous avons pré-senté nos travaux (quatre en 2014-2015), de notre expérience de la publication d’un article dans une revue de biophysique (Bioelectromagnetics), ainsi que de notre participation à deux projets présentés au programme de national de recherche « radiofréquences et santé » de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail [Anses] (projets Redhém en 2014 et ExpRegEHS en 2016).

1.2. Démarche analytique : quels savoirs et connaissances sont-ils