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3- Discussion des résultats

3.4 Des outils peu efficients méritants d’être améliorés

a- Le portfolio

« Le portfolio est une collection organisée et cumulative de travaux et de réflexions

cours d’une période plus ou moins longue d’apprentissage. Le portfolio peut être utilisé

comme soutien systématique du processus d’apprentissage et comme source d’information

dans le cadre de la démarche évaluative » (49).

Ce dernier doit permettre à l’interne comme à ses évaluateurs de donner un aperçu de

son niveau en fin d’internat, de mettre en avant ses points forts ou ses points faibles dans

chacune des compétences de la médecine générale, montrer sa progression tout au long du

cursus, les ressources qu’il a mobilisé pour progresser et celles qu’il devra mobiliser

ultérieurement pour combler ses lacunes persistantes (50). Son but est d’objectiver le

développement professionnel de l’étudiant (51). Il est donc un outil d’auto-évaluation pour

l’étudiant et le principal mode d’évaluation pour les enseignants (52).

Les résultats des études évaluant la vision des internes concernant le portfolio dans les

autres facultés de médecine sont assez concordants avec les nôtres. Souvent, le concept de cet

outil est flou, et les internes demandent une clarification du contenu du portfolio et des

explications sur les traces d’apprentissage que ce dernier doit contenir. Du fait de cette

incompréhension, la réalisation du portfolio est souvent vécue comme contraignante (26,53–

55).

Ainsi à Angers en 2012, était déjà mis en avant le côté scolaire du portfolio et le

manque de motivation des internes pour le réaliser (56). A Tours en 2015, les internes étaient

“perdus” et ne “comprenaient pas ce qu’on attendait d”eux”. Ils ne voyaient pas l’intérêt des

RSCA pour leur apprentissage. Ils trouvaient ce travail “fastidieux”, avaient l’impression de

devoir rendre des comptes ; produire le portfolio était une “paperasse pour valider le DES”, et

ils ne se sentaient ni encadrés ni motivés (57). De même sur l’étude de la perception des

RSCA par les internes en 2017 à Toulouse pour qui ces derniers étaient “sans intérêt pour la

pratique future” (58). Les internes interrogés se sentaient contrariés et forcés de faire des

recherches bibliographiques. Le RSCA était perçu comme un travail “scolaire et

infantilisant”.

A Grenoble, nous n’avons pas à proprement parler de RSCA mais nos traces

d’apprentissage ressemblent de très près à ce que produisent les internes dans les autres villes.

Il s’agit de décrypter sous différents angles une situation qui nous a posé problème, en

analysant ses carences personnelles de compétences dans cette situation (qu’elles soient

psychologiques, médicales, techniques ou plus complexes), afin d’établir une réflexion

interne, propre à chacun, permettant à l’étudiant de développer ultérieurement les ressources

requises pour se confronter au même genre de situation. C’est un apprentissage réflexif,

permanent, qui demande une remise en question de l’interne.

La plupart des études sus-citées proposaient de renforcer l’encadrement facultaire,

avec par exemple des séminaires expliquant le concept du portfolio afin d’éclaircir les attentes

des enseignants, souhaitaient avoir des sujets de réflexions plus libres et pouvoir produire des

RCSA (ou TA pour Grenoble) lors des GEP. D’autres voulaient diminuer le nombre de TA ou

RSCA dans le portfolio voire les supprimer, ou avoir la possibilité de valider comme TA des

recherches scientifiques personnelles. En 2014 a été rédigé par des internes un “Guide de

l’apprentissage par compétence”, mis en ligne sur le site de l’ISNAR, qu’il serait pertinent de

délivrer aux internes pour les réconcilier avec le portfolio (59). Une des personnes interrogées

lors de nos entretiens proposait que les enseignants rencontrent les internes une fois par an

pour mieux les connaître et discuter autour de leurs projets de vie, plutôt qu’une fois en fin

d’internat. Certaines de ces propositions ont été mises en place à Grenoble avec la réforme : il

existe désormais des séminaires d’aide à la rédaction des TA ainsi qu’un entretien annuel pour

faire le point sur les apprentissages des internes.

La clarification de l’intérêt du portfolio pour l’interne doit théoriquement se faire via

son tuteur. Or, le tutorat manque de moyens humains, et les rencontres entre tuteurs et tutorés

sont rares (voir infra). Les tuteurs, tout comme les enseignants des séminaires, doivent au

mieux s’approprier les concepts du paradigme d’apprentissage afin d’être en mesure de les

expliquer de façon simple et claire aux internes pour que ces derniers puissent à leur tour

s’approprier ces concepts (60), et comprendre l’idée qu’ils sont responsables de leur parcours

et de leur formation. Responsabiliser l’interne dans son apprentissage devient alors le vrai défi

pour les DMG.

Il semblerait que l’homogénéisation des pratiques sur le plan national, déjà bien

avancée grâce au CNGE, puisse aider à l’appropriation des différents outils par les différents

acteurs de l’enseignement que sont les différents DMG et les internes en médecine générale.

Peu à peu, les études de terrain mêlées aux enquêtes de pratique nationales vont permettre de

faire émerger des solutions concrètes, en vue d’atteindre cet objectif fixé, chacune d’entres

elles se complétant et s’enrichissant (61).

b- Le Tutorat

Dans le cadre pédagogique de l’apprentissage par compétence, le tutorat a été instauré

dans le but de suivre l’interne durant son parcours et de l’accompagner dans la construction de

son portfolio, miroir de son évolution professionnelle. Le tuteur de l’interne est en général son

référent pour l’évaluation de ses compétences (62). Son rôle est de stimuler la réflexivité de

l’interne au fil de son internat, tout en veillant à la rédaction de traces d’apprentissage, dans

une démarche d’auto-formation guidée (29).

Comme nous l’avons vu précédemment, le tutorat à Grenoble pourrait mieux

fonctionner : il y a trop peu de rencontres entre tuteurs et tutorés, le rôle d’accompagnant au

sens compagnonnage du terme n’est pas rempli, et trop peu d’internes des promotions 2013 à

2015 ont senti un apport réel du tutorat. Les internes ayant ressenti un rôle positif du tutorat

était plutôt ceux sorti en 2017 et 2018 qu’en 2016, laissant supposer une amélioration sensible

du tutorat entre les différentes promotions.

Cette difficulté à mettre en place un tutorat efficient n’est pas une difficulté propre à

Grenoble. Différentes études mettent en évidence le même problème de faibles moyens

humains, avec des tuteurs surchargés du fait de leur multiples casquettes (parfois membres du

DMG, parfois maîtres de stage, toujours médecins généralistes installés), et des internes mal

accompagnés. Ainsi à Lille en 2008, trois ans après l’installation du tutorat, le constat était

celui d’un échec en lien avec des problématiques soulevées identiques aux nôtres : relations

inégales entre tuteurs et tutorés, problème de l’éloignement géographique, difficultés pour

nouer une relation une fois par an, définition imprécise de leur rôle… (63) Comme dans notre

étude, les internes appréciaient la mise en place d’un tel système, qui pouvait s’avérer très

utile lorsque fonctionnel, mais constataient avec regret les obstacles à son applicabilité. Les

améliorations soulevées étaient également identiques à celles des anciens internes grenoblois :

associer des internes dans le tutorat, donner la possibilité de pouvoir choisir son tuteur, rendre

des informations plus claires sur le portfolio… A Lyon, le tutorat semble également présenter

quelques dysfonctionnements puisqu’il apparaît comme étant déprécié par les internes (53).

A Tours, en 2010, le DMG a fait le choix d’un tutorat en groupe, comme d’autres

villes en France. Ce choix a été fait suite au même constat réalisé dans plusieurs facultés et

décrit précédemment : la rareté des contacts entre internes et tuteurs. Ainsi, chaque semestre,

un tuteur rencontre 4 à 5 tutorés de façon obligatoire. A cette occasion, les internes précisent

l’évolution de leur parcours, évoquent les difficultés rencontrées, posent des questions et

présentent leurs traces d’apprentissage. En sus de ce système groupé, les internes ont la

possibilité de revoir les tuteurs de façon individuelle. Une étude de 2013 évaluant ce nouveau

système mettait en avant l’amélioration de la qualité des relations et l’augmentation du

nombre de contacts pour les personnes suivies en groupe par rapport au tutorat individuel

(64). L’année suivante, une seconde étude tourangelle venait confirmer cette relation

privilégiée au sein des groupes tutorés : la production des RSCA était améliorée, le tuteur était

vu comme une personne agréable et dynamique, les internes avaient plus le sentiment d’être à

jour dans leur portfolio que ceux suivis en tutorat individuel (65). Pouvoir partager ses récits

de TA en groupe permettait également de mieux cerner les objectifs demandés.

En 2014, 23 DMG sur 33 en France avaient un système de tutorat en place. Dans

certaines villes (Strasbourg, Lille, Nancy), le tutorat a été arrêté du fait d’un nombre croissant

d’étudiants et du faible renouvellement des DMG (62). Le ratio tutorés / tuteurs étant devenu

trop important dans ces villes, il était humainement difficile de maintenir un tutorat de qualité

qui soit utile aux internes. Il apparaissait à cette époque que les villes ayant le moins

d’étudiants par ETP (équivalent temps plein des différents enseignants) pratiquaient toutes le

tutorat, a contrario, celles avec un ratio inverse le pratiquaient moins ou l’avaient abandonné.

Cette façon de suivre plusieurs internes à la fois pourrait être une solution pour pallier

la carence de tuteurs, comme à Nice où le tutorat individuel a ainsi été remplacé par un tutorat

en groupe à cause de la lourdeur du suivi individuel. Actuellement à Grenoble, les tuteurs ont

entre 2 et 9 tutorés, mais le suivi reste individuel. Le temps que le tuteur doit se dégager pour

la somme de chacun de ses tutorés est conséquent. Peut-être que réunir toutes ces personnes

de façon formelle et obligatoire une fois par semestre faciliterait les rencontres et améliorerait

les relations entre tuteurs et tutorés. Cela pourrait être associé à un tutorat individuel comme

à Tours, et n’empêcherait pas un suivi individuel des tutorés en groupe pour ceux qui le

désirent. Cependant, cette modalité pourrait poser un problème de distance entre les internes

et leur tuteur ainsi qu’une difficulté à trouver une date compatible avec tout le monde.

Deux autres hypothèses peuvent être avancées pour expliquer le manque

d’investissement des tuteurs. La plupart des tuteurs actuels étant d’anciens médecins

généralistes, ces derniers n’ont eux-mêmes pas eu de tutorat à leur époque et encore moins de

portfolio à remplir avec les traces d’apprentissage. Le concept peut être flou pour eux, et on

peut supposer que l’absence de parrainage lors de leur internat ou l’absence même d’internat

pour certains puisse expliquer ce manque de soutien actif envers les internes. Enfin, un

manque de formation des tuteurs peut renforcer le sentiment d’inutilité éprouvé par les

internes à l’encontre de ce système, si les acteurs de cette formation ne se sentent pas

concernés et n’ont eux-mêmes pas acquis l’utilité du tutorat, des traces d’apprentissage et du

portfolio qu’ils sont censés encadrer.

Ce manque de formation des tuteurs a pu être noté dans différentes facultés. Les

anciens internes interrogés se posaient la question du contenu de la formation délivrée aux

tuteurs, et soulevaient pour améliorer le tutorat la nécessité de former ces derniers afin

d’homogénéiser les pratiques et le contenu des discours délivrés aux internes. Ce besoin de

former les tuteurs avait également été pointé par le DMG de Tours lors de l’étude de 2014

(65). A Paris-Est Créteil, cette carence a amené le DMG à créer une “cellule tutorat” aidant à

la fois les tuteurs dans leur accompagnement et les tutorés, dans l’idée d’harmoniser la qualité

des portfolios (66).

Pour résumer l’efficience du tutorat dans plusieurs villes de France : “les relations

mêmes souvent débordés ou pas complètement en phase avec les élaborations pédagogiques

des DMG, laissent souvent à désirer” (29).