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Démarches qualité – sécurité dans les organisations dites « hautement fiables »

1 Spécificités des organisations dites « hautement fiables »

1.2 Démarches qualité

1.2.2 Vers la formalisation

1.2.2.3 Des démarches qualité vers les systèmes d’expertise

Des recherches ont été développées qui concernent la façon dont est configurée et mise en œuvre la gestion des événements indésirables et le retour d’expérience. Il s’agit des recherches récentes dans le domaine de santé (Bazet et al., 2007 ; Bazet et al., 2008 ; Jolivet, 2011) ou dans le secteur du bâtiment (Gherardi, Nicolini, 2002). Nous citons ici quelques travaux qui ont engagé notre réflexion sur un ensemble de normes et méthodes relatives au traitement des événements sécurité basé sur les notifications et les analyses des événements passés. Un processus similaire de déclaration a constitué l’objet d’étude de chercheurs de l’équipe ECORSE67

(Bazet et al., 2007 ; Bazet et al., 2008). Il s’agissait en l’occurrence d’un processus de déclaration des « événements indésirables » qui s’effectue par le fait de remplir un formulaire informatisé. Ils ont observé comment « les organisations contemporaines sont passées d’un travail d’optimisation des opérations, à un travail qui porte sur l’organisation elle-même, dans une logique d’amélioration continue » (Bazet et al., 2008, p.30). Les chercheurs abordent la question de confiance dans le « système expert » défini par Anthony Giddens en tant que « domaines techniques ou de savoir-faire professionnel concernant de vastes secteurs de notre environnement matériel et social. (…) Un système-expert délocalise de la même façon que les gages symboliques, en ‘garantissant’ nos attentes par rapport à un espace-temps lointain » (Giddens, 1994, p.36). Ils interrogent les différentes formes de mobilisation des objets communicationnels associés et « la pluralité des formes de communication et de production d’information, qui participent à l’acculturation au « système expert » qualité-risques » (Bazet et al., 2008, p.30).

Le questionnement du « système expert » dans le contexte de l’évaluation a été traité dans certaines contributions de numéro 38 de la revue Communication&Organisation (2010)68. Les auteurs de ce numéro de la revue se sont concentrés sur des pratiques d’évaluation dans différentes domaines : santé, éducation, administration publique. Ces analyses montrent que les logiques gestionnaires reposent sur divers présupposés. Dans l’introduction de cette édition, Christian Le Moënne et Sylvie Parrini-Alemanno en relèvent quelques-uns, tels que la croyance qu’il existe des méthodes « objectives » et

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Equipe ECORSE (Equipe COmmunication, Risques, Santé, Environnement) du CERTOP (Centre d’Etude et de Recherche, Travail, Organisation, Pouvoir), Université Toulouse 3.

68 Pour plus d’informations sur les contributions et les problématiques, nous dirigeons le lecteur directement vers

le numéro 38 de dossiers Communication & Organisation : « Management de l’évaluation et communication » (n°38, 2/2010).

indiscutables, des « bonnes pratiques » transférables et susceptibles d’être efficaces quels que soit le contexte et la situation. Ils soulignent que cette logique « repose enfin sur la croyance en la compétence d’experts porteurs de méthodes et de savoirs indiscutables alors que l’expertise se contente de propager des normes arbitraires et des conventions relatives, n’ayant aucun caractère de nécessité ou d’objectivité autre que le fait d’avoir été choisies car convenant à une certaine conception de l’efficacité ou de la gestion ou… de l’expertise. » (Le Moënne, Parrini-Alemanno, 2010, p.7).

Cette démarche, dans un premier temps, se limite à l’analyse des défaillances techniques, des composants des produits et à leurs conséquences. Ensuite, elle s’étend à la recherche des erreurs de logiciels et des erreurs causées par les humains pour aboutir à une diffusion des analyses effectuées auprès des personnes concernées. Selon certains spécialistes, la qualité et la sécurité dépendent particulièrement des pratiques concrètes des employées (De Bovis et al., 2011). Les experts en qualité font la distinction entre les types d’erreurs et de défaillances : techniques, humaines, organisationnelles… Une grande partie d’études sur les risques concerne leur gestion, les experts définissent les risques en fonction de leurs « sources » déterminées à l’aide des différents « facteurs » impliqués connu comme modèle de « plaques de Reason »69 (Reason, 1990) à la base duquel est fondée une approche de gestion de la sécurité. C’est sur cette approche que se focalisent les programmes de gestion et traitement des risques dans la plupart d’organisations, notamment dans le contrôle aérien.

Les experts des risques mettent en place des systèmes d’identification, de classification des événements pour pouvoir établir une liste des risques face auxquels peut être confrontée l’organisation, souvent une liste hiérarchisée suivant leur gravité et leur probabilité d’occurrence. La classification est selon les experts qualité-sécurité nécessaire pour pouvoir mener une analyse. L’analyse a pour but d’améliorer la qualité des produits et des services, ainsi que la sécurité. Cette démarche se base sur une présupposition que la qualité de travail et l’apprentissage continu sur les événements passés assure ou au moins augmente la sécurité.

D’après Karl Weick (2009), nous pouvons observer une demande de plus en plus forte de déclaration des erreurs. Ces déclarations sont censées encourager le signalement des

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« Les plaques de Reason » est un modèle organisationnel supposé permettre de lutter contre les défaillances de l’organisation proposé par James Reason, psychologue, dans son ouvrage « Human error » (Reason, 1990). Dans ce modèle chaque plaque contient des trous qui représentent des faiblesses individuelles n’ayant pas de conséquences graves pour l’organisation que dans le cas où les trous sont alignés permettant la survenue de l’accident.

erreurs et permettre d’élaborer des expériences à partir d'un « évité de justesse ». Il s’agit de maintenir la vigilance en se méfiant de l’éventuelle assurance résultant de la réussite, et ce qui peut lui être lié en termes de complaisance, de tentation de réduire les marges de sécurité, et de dérive vers un traitement automatisé des activités (Weick, 2009, p.118). Dans le cadre de notre recherche, nous nous intéressons particulièrement à la notification des événements dites « de sécurité » et leur traitement par les services qualité-sécurité.

Les caractéristiques faites par certains chercheurs s’inscrivant dans l’approche HRO montrent « un recours limité à l’apprentissage par essais et erreurs, la redondance, la décentralisation des décisions, la formation continue souvent par le biais de simulation, et des cultures fortes qui créent une large vigilance et la réactivité aux accidents potentiels »70 (Traduction propre : Weick et al., 2008, p.33). L’identification et l’analyse des erreurs, ainsi que la création des bases de données, des bases de connaissances, sont supposées aider à cet apprentissage au niveau individuel et collectif. La mise en pratique des principes de mémoire collective et de partage des connaissances est censée augmenter les capacités de détection des erreurs et d’ajustement des actions.

D’après Elihu Gerson et Susan Star (Gerson, Star, 1986), le problème des procédures et des codes réside dans la conviction qu’il existe des solutions qui marchent à chaque fois qu’on les applique, dans chaque situation. Cette tendance de tout normaliser par des procédures et des méthodes « sures », renvoie notre questionnement des logiques inscrites dans les démarches qualité-sécurité vers l’interrogation des processus de rationalisation, lesquels, il nous semble, y sont fortement présents. Nous présentons ces processus de rationalisation dans le point suivant.