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2 « Risque » et « sécurité » – des notions à interroger

2.1 Recherches sur les risques

2.1.3.3 Apprentissage comme partie prenante de l’organizing

Une des principales préoccupations des recherches de Silvia Gherardi est l’étude des pratiques organisationnelles et de l’apprentissage organisationnel dans des domaines dans lesquels le taux d’accidents est très élevé (comme par exemple la construction industrielle). Elle essaie de répondre à la question de savoir comment le « safety knowledge »76 est constitué, institutionnalisé, redéfini et renégocié à travers le processus d’organizing (Weick, 1979) par interactions entre l’action et la réflexivité. D’après Silvia Gherardi, la connaissance n'est pas quelque chose de présent dans la tête des gens, mais un processus construit par la pratique dans un contexte d'interactions entre les acteurs humains et non-humains (Gherardi, 2006). Selon cette chercheuse, l’apprentissage consiste à réfléchir, agir, penser, se demander quoi et pourquoi on fait quelque chose et parler de cela avec les autres. Les gens créent le « knowledge »77 par la négociation des significations de mots, d’actions, de situations et d’artefacts dans le monde qui est structuré par la société et par la culture78

(Ibid., 2006). Nous remarquons que les connaissances dont il est question ici ne se résument pas à des données ou à des méthodes. Elles renvoient « à des capacités partagées permettant à des individus ou à un groupe de mobiliser collectivement des connaissances, c'est-à-dire de travailler ensemble : il s'agit de parvenir à une situation de résonance cognitive (Bougnoux, 1995). En termes plus concrets, ces connaissances portent sur l'organisation elle-même, sur les interlocuteurs à contacter en cas de besoins, sur les compétences possédées par les uns et les autres, sur l'histoire partagée dans un collectif autour d'un projet, dans laquelle se sont construites les expériences, les compétences. Ces connaissances d'ordre relationnel fournissent à la fois des informations, mais aussi des clés d'interprétation : par exemple, les

76 La traduction des termes « knowledge » ou « safety knowledge » en langue française exigerait en effet de faire

une distinction entre la « connaissance » et le « savoir » et ouvre le débat sur la double traduction de ce terme, ce qui n’est pas le but dans le cadre de notre recherche et qui ne correspond pas aux contributions de Silvia Gherardi. Pour le besoin de notre thèse, nous retenons la traduction de ce terme anglais « knowledge » en tant que « connaissances ».

77 Ibid.

78

Selon Silvia Gherardi (Gherardi, 2002, p.216), il existe plusieurs cultures de « safety », qui opèrent simultanément avec l’organisation et parmi des communautés de pratiques. Chacune de culture a son propre mode de comprendre, donner du sens, parler et manipuler les thèmes avec le lieu de travail, et c’est sur cette base que les comportements appropriés et les justifications admis sont définit, comme les règles, pour les appliquer, et les actions qui doivent être faites.

raisons et les modalités précises de choix d'une solution technique effectuée antérieurement, ou de son abandon lors d'un projet précédent » (Bouillon, 2003, p. 6).

L’idée d’organizing est ici fort présente. Les acteurs essaient d’ordonner les éléments dans un ensemble cohérent pour une meilleure perception de la situation dans laquelle ils se trouvent. Ils cherchent à comprendre le sens de ce qu’ils font et de ce qui se passe autour d’eux. La production de sens organisationnel concerne les questions telles que, “comment quelque chose devient un événement pour les membres de l’organisation ?, “que signifie un événement ?”, “quelle est l’histoire ici ?”79

(Weick, 2005, p.410). Ces questions font exister un événement. De plus, elles aident à amener le sens à l’existence de cet événement en le liant à l’expérience du passé et l’agir de la question rajoutée - “maintenant, que dois-je faire ?”80

. L’analyse de ce processus de sensemaking dans l’organisation permet de se focaliser sur l’interprétation des erreurs comme occasions d'apprentissage plutôt que comme menaces à l'efficacité. Cette idée développée par Karl Weick nous aide à saisir le processus de traitement des événements indésirables comme processus de construction de sens et son rôle dans l’apprentissage.

L’apprentissage est une production inscrite dans la durée qui contribue à la transformation des collectifs et des individus qui les composent, au développement de nouvelles identités basées sur la participation au « système des pratiques » (Gherardi, Nicolini, 2002). Cette participation à une pratique est un moyen d'acquérir, de changer et de perpétuer les connaissances. C’est un processus continu qui peut se stabiliser à un moment ou un autre mais qui évolue par la suite. Dès lors le « safety knowledge », comme l’organisation (Taylor, 1993) et le sens (Weick, 1979), ne sont ni prédéfinis ni stockés quelque part, mais produits dans un processus social lié à d’autres activités et résulte de l’expérience (Gherardi, 2006).

Rappelons que le « sensemaking » ne concerne pas la transmission ou le partage de sens, mais plutôt la construction de sens nouveaux à partir des points de vue exposés par les interlocuteurs, de leurs interprétations concernant un même événement, fondés sur d’autres événements et expériences. « En effet, stocker des informations ne signifie pas systématiquement qu'il sera possible de retrouver leur sens, de les adapter, de les mettre en

79 “how does something come to be an event for organizational members?”, “what does an event mean?”,

“what’s the story here?”79

(Weick, 2005, p.410).

œuvre dans le cadre d'une situation de travail collective rapprochant des personnes appartenant éventuellement à plusieurs organisations différentes. Les savoirs et le savoir-faire ne sont pas des ressources comme les autres : ils ne peuvent être complètement codifiés, et conservent une dimension irréductiblement tacite. Même dans le cas où ils sont très largement transcrits, les conditions (techniques, sociales, organisationnelles...) de leur mise en œuvre varient en permanence, à chaque fois qu'ils sont mobilisés, surtout dans les nouvelles organisations productives marquées par l'incertitude. Ceci implique des ajustements, des adaptations, débouchant d'ailleurs sur la production de nouvelles connaissances en situation. » (Bouillon, 2003, p. 5).

Conclusion de chapitre : Saisir les démarches qualité – sécurité