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Contributions des Approches communicationnelles des organisations (ACO) et des approches de la Communication

2 Approches de la communication constitutive des organisations et Ecole de Montréal

2.2 Création du contexte d’une organisation

Après avoir exposé les fondements épistémologiques des approches de la communication constitutive des organisations et les principales idées qui ont inspiré les chercheurs de cette approche, nous souhaitons montrer en quoi ces idées ont influencé des travaux actuels et comment nous les mobilisons pour notre recherche.

2.2.1 Communication comme constitutive des organisations

Il nous semble important de souligner l’idée principale inscrite dans le nom de ce mouvement de recherche. Elle proclame que la communication est constitutive des

organisations, que c’est un processus central. Le postulat principal pose que toute organisation est médiatisée par la communication, et que sans la communication, l’organisation n’existerait pas (Taylor, 1993). Toute communication a ainsi une force constitutive (Putnam, Nicotera, 2009). C’est la présence de la communication qui produit l’organisation.

Selon ce courant qui se développe, l’organisation est traitée comme un phénomène social constitué par les interactions mobilisant le langage, la production de sens et le processus symboliques. La communication et l’action sociale construisent la structure d’une organisation et son changement. Pour considérer que l’organisation est constituée par la communication, il faut traiter la « communication » et l’« organisation » comme des équivalents (Putnam, Nicotera, 2009). Les différents auteurs essaient de répondre à cette question en définissant l’organisation comme conversation et textes (Cooren, Taylor et Van Every, 2006), comme sensemaking (Weick, 1995), comme construction discursive (Fairhurst et Putnam, 2004) ou comme processus émergeant (Taylor et Van Every, 2000).

2.2.2 Une « réalité » co-construite dans la communication

Le postulat que posait déjà Gabriel Tarde en 1895 (Tarde, 1895) que rien n’est prédéfini, rien n’existe a priori, est à la base des travaux qui s’inscrivent dans les approches CCO (Weick, 1979 ; 1993 ; Taylor, 1993 ; Taylor, Van Every, 2000). Selon les paradigmes positivistes ou néopositivistes, nous pourrions avoir une vision objective du monde qui nous entoure et de ce qui le constitue. Cette vision mobilise l’idée de « sens partagé » qui prétend pouvoir créer une vision fidèle de la « réalité », une vision qui deviendrait commune et partagée par les individus grâce à la communication. La communication est alors conçue comme faite de transmission de messages et de leur sens. A contrario les approches constructivistes démontrent que le processus de communication est plus complexe qu’une transmission des différents points de vue et de significations. Le constructivisme présente les connaissances humaines comme des constructions et non comme le reflet fidèle d’une « réalité » (envisagée comme extérieure par le positivisme).

Dans ce paragraphe, nous partons de l’idée que la réalité n’est pas un étant là extérieur mais qu’elle est constituée au travers de co-constructions sociales (Taylor, Van Every, 2000). Le monde est donc le « produit » des interactions sociales, il émerge d’efforts pour créer de l’ordre, organiser (Weick, 1993).

En s’appuyant sur l’idée d’« organizing » (Weick, 1979), James Taylor refuse de traiter une organisation comme un acquis, comme une entité qui existerait à priori et dont les structures définiraient la façon dont elle s’organise. « C’est cette réalité inéluctablement virtuelle qui est l’organisation, créée et soutenue par la communication – un organizing parce qu’elle ne peut jamais être totalement réalisée, encore moins concrétisée (même si elle génère régulièrement des artefacts matériels par ses productions) » (Taylor, 1993, p.51). James Taylor propose une autre façon d’aborder le phénomène d’organisation en partant d’analyses des petites actions organisationnelles pour expliquer les grandes structures organisationnelles, pour montrer que c’est dans le micro que nous pouvons découvrir les effets organisants qui structurent le macro. Il s’intéresse aux processus qui engendrent et maintiennent un ensemble organisé dans le temps. Ce sont des événements, des séquences, des trajectoires et leur agencement qui constituent le processus organisant (Weick, 1979).

Au départ toute organisation est « hyperréelle » (Taylor, 1993) :

« Une organisation prise dans sa manifestation de la conversation, est un système d’interaction par le biais duquel des transactions sont réalisées. Mais à ce niveau l’organisation n’est pas réelle, elle est plutôt hyperréelle20

. Par hyperréelle nous voulons dire que l’organisation est une superposition de toutes les réalités de ces membres, pas nécessairement cohérentes les unes avec les autres, et même parfois en forte contradiction. Aucune ne jouit du statut de la21 réalité. Chacune est aussi valide que les autres. Pour qu’une seule organisation puisse naître il faut que cette construction intersubjective reçoive le statut d’objet. » (Taylor, 1993, p.77). 2.2.3 Notion du collectif et de l’individu dans les approches constitutives

Dans la perspective fonctionnaliste, l’organisation est une entité qui existe a priori. Chaque membre d’une organisation a sa place dans la hiérarchie et un rôle à remplir. Ce rôle repose toujours sur une fonction précise et prédéterminée, conformément aux principes de la division du travail. S’agissant de la communication, elle est comprise dans une acception objective et rationnelle. Elle apparait comme distincte de l’organisation ; par contre elle devient un outil qui soutient le fonctionnement de l’organisation, et plus précisément un outil de gestion. Dans le processus de communication, les acteurs sont envisagés dans leurs rôles d’émetteurs et de récepteurs, ils sont responsables du codage et du décodage de messages

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Nous avons gardé la mise en italique par l’auteur (Taylor, 1993).

(Grosjean, Bonneville, 2011). Le collectif est donc une structure qui repose sur des relations formelles. Il est pensé comme une somme d’individus qui effectuent les activités leur appropriées pour un but final, et a priori commun, à savoir l’augmentation de la performance de l’organisation, tant niveau de la productivité que du maintien de l’ensemble de l’organisation. De plus, ces individus sont envisagés comme étant déjà constitués. Ils entrent dans une organisation en tant que tels. Les chercheurs de ce courant fonctionnaliste prennent appui sur le paradigme de l’individualisme méthodologique qui prétend pouvoir comprendre les phénomènes collectifs à partir de description et explication des propriétés et des actions des individus.

Cette courte caractéristique de l’approche fonctionnaliste nous aide à mieux faire ressortir a contrario ce en quoi les CCO s’inscrivent dans l’approche performative des collectifs. Le collectif, ce n’est pas seulement une somme d’individus, et encore moins une structure que nous pouvons décrire par des relations formelles inscrites dans un « projet » de l’organisation. Par contre, un collectif est constitué d’individus mis en relation par la communication, qui co-construisent une organisation. Un collectif est une co-construction mais une co-construction qui évolue, inscrite dans un processus de changement continu. Il est mis en acte ou réalisé par les acteurs qui le composent. Nous ne pouvons pas réduire des co-constructions (Taylor, Van Every, 2000), des configurations (Cooren, 2009) produites dans des situations de communication à un acteur, puisque ce sont des productions du collectif. Les individus ne sont pas constitués au préalable mais ils sont produits et produisent l’organisation (Grosjean, 2007). Les acteurs, comme les objets, sont construits à travers/par les interactions (Gherardi, 2000).

Les chercheurs de cette approche constitutive prennent en compte le micro et le macro pour analyser la communication comme constitutive de l’organisation (Putnam, Nicotera, 2009). Comme nous l’avons déjà souligné, ils tentent de comprendre comment le local et le global se rencontrent. C’est là que James Taylor et chercheurs de l’École de Montréal mobilisent la notion d’organizing en ce qu’elle permet de saisir le lien entre ces deux dimensions. L’organizing n’est pas simplement fait de micro-interactions entre les individus, mais aussi des interactions entre les agents d’entreprise qui agissent. Nous allons voir dans les paragraphes suivants comment le processus d’organizing est incorporé dans les documents, protocoles, règles et procédures et comment il perdure dans le temps et l’espace.

Au cœur de l’approche de la communication constitutive des organisations se trouve l’analyse des collectifs, des organisations, des organizing. Ce postulat porte notre attention vers l’étude des collectifs, des relations entre les acteurs, des configurations qu’ils produisent dans un contexte organisationnel équipé des artefacts et non sur « un individu ».

2.2.4 Organisation comme « processus organisant » qui s’actualise dans la communication

Si nous acceptons ce postulat que la réalité du monde n’est ni prédéfinie ni « objective », nous pouvons en déduire que la « réalité d’une organisation », une « organisation », ne l’est pas non plus. Cela ne veut pas dire que l’organisation n’existe pas mais qu’elle n’est pas une « chose » objective (Taylor, 1996).

Selon Karl Weick (1979), l’organisation est un processus omniprésent, ce n’est pas un acquis, une entité qui existerait à priori et dont les structures définiraient son mode d’organisation. Il propose une autre façon d’aborder le phénomène d’organisation, en partant des analyses des actions organisationnelles pour expliquer les structures organisationnelles (il part du « micro » vers le « macro »). Il s’intéresse aux processus qui engendrent et maintiennent un ensemble organisé dans le temps. Ce sont des événements, des séquences, des trajectoires et leur agencement qui constituent le processus organisant (Weick, 1979).

Suivant ces raisonnements proposés par Karl Weick et retravaillés par James Taylor (Taylor, 1993), nous ne pouvons pas prendre pour acquis les phénomènes organisés, mais nous devons les problématiser en les considérant comme un ensemble d’activités de communication. Quand on communique, on organise, alors toute organisation est médiatisée par la communication. Si on cherche une organisation, on ne trouvera « que des échanges entre les individus qui tentent plus au moins adroitement de coordonner leurs activités afin de produire une action collective cohérente » (Cooren, Robichaud, 2011, p.149). Cela signifie que s’il n’y a pas de communication, l’organisation n’existe pas (Taylor, 1993). L’organisation créée et soutenue par la communication ne peut jamais être totalement réalisée ni concrétisée, elle est étendue dans le temps et l’espace (Taylor, 1993). Dans la théorie de l’organizing, l’organisation est traitée comme un assemblage de processus organisants (« getting organized »). C’est un processus en soi, une action, une organisation en devenir.

La communication peut aussi désorganiser. « Les théoriciens CCO seraient d'accord que la communication peut se déconnecter ainsi que de se connecter et peut désassembler ainsi

que monter. (...) En effet, les points de vue des CCO traiteraient l'organisation et organisés comme des constructions différentes, deux d'entre eux ouvrent une enquête »22 (Traduction propre : Putnam, Nicotera, 2010, p.160). Les approches CCO vont considérer l’organizing et ce qui est organisé comme différents construits, les uns et les autres ouverts à l’investigation.