• Aucun résultat trouvé

Contributions des Approches communicationnelles des organisations (ACO) et des approches de la Communication

3 Communication comme processus organisant

3.2 Rôle des textes dans la co-construction d’une réalité de l’organisation

3.2.3 Communauté de pratiques

Nous avons vu que les textes peuvent aider un groupe à interpréter ses actions et leurs significations (Taylor, 1993), qu’ils autorisent les activités et les projets de certaines personnes et communautés (Taylor, 2011). Ce sont les différents groupes de travail, les diverses communautés qui composent les organisations. Il ne s’agit pas ici de structures prédéfinies mais des communautés qui se constituent par les engagements dans les pratiques spécifiques. Ces communautés de pratique ont été largement définies dans les travaux d’Etienne Wenger (2005) dans le contexte d’apprentissage, de négociation de sens et d’identité. Selon lui, les communautés de pratiques sont omniprésentes, elles créent les habitudes, rituels, artefacts, symboles, règles, récits et histoires (Wenger, 2005). James Taylor les définit comme « légitimées et habilitées par leur rôle d'agents organisationnels - mais également en tant qu’elles-mêmes, collectivement, les entités organisationnelles dans leur

50 « A story is an account of an experience (an already lived-through set of events) but, because it is a transaction

involving an author and a reader or listener, it is not just a retrospective account: It is, in and of itself, an experience that will also have to be accounted for. It is at once communicational and metacommunicational (Robichaud, Giroux, Taylor, 2004): directed outward from the conversation to describe a world and inward to interpret what is happening within the conversation. It is thus not just a description of organization; it is a constituted of organization » (Taylor, Saludadez, 2006, p.43).

51

« (…) textual surfaces constructed at conversational sites where people make sense of prior actions in ways that constrain subsequent actions » (Weick, 2009, p.5).

propre droit. » 52 (Traduction propre : Taylor, 2011, p.1278). Elles échappent aux descriptions formelles puisqu’elles développent leurs propres pratiques de travail dans un contexte social et historique (Wenger, 2005). Chaque communauté développe ses propres relations internes et avec le temps sa propre organisation (Taylor, 2006).

James Taylor postule que les textes organisent la communication et ainsi les communautés : « Je crois que la constitution de l'organisation est un processus auto- organisant, fondé sur des activités pratiques qui ont des résultats définissables (et souvent tout à fait concrets) et qui sont médiatisés par le langage. Le langage assure de nombreuses fonctions dans la vie sociale, dont l’une d’entre elles, comme observe Wittgenstein, est de permettre aux gens de travailler ensemble pour accomplir des choses pratiques. Une des composantes de cette auto-organisation consiste en une négociation interpersonnelle des rôles et des responsabilités. Traiter simultanément un monde d'objets et de relations avec les autres dans l'acte de faire sont donc, de mon point de vue, intrinsèques à l'idée même de la communication organisationnelle. »53 (Traduction propre : Taylor, 2009, pp.154-155).

Mais pour un « bon » fonctionnement de l’organisation, les communautés sont censées collaborer. Les activités de différentes communautés devraient être soutenues par leurs résultats et s’appuyer sur les attentes des autres (Taylor, 2006). Dans une organisation « chaque partie de la rencontre est liée à l'autre parce que leurs rôles sont explicitement complémentaires ; chacune est distincte de l'autre parce que le fondement de l'autorité, le fait de parler au nom de l'organisation, a différentes bases. Les deux représentent l'organisation, expriment ses raisons, et ainsi rendent les présents dans leur conversation. Chacun est autorisé par ce qu'il fait, mais ce n'est pas la même tiercéité à laquelle ils font référence »54 (Traduction propre : Taylor, 2011, p.57).

52 « (…) legitimated and empowered by their role as organizational agents – but equally as themselves, col-

lectively, organizational entities in their own right. » (Taylor, 2011, p.1278).

53 « I believe that the constitution of organization is a self-organizing process, grounded in practical activities that

have definable (and often quite concrete) outcomes and that are mediated by language. Language plays many functions in social life but one of them, as Wittgenstein observed, is to empower people to work together to accomplish practical things. One of the components of this self-organizing is an interpersonal negotiation of roles and responsibilities. Dealing simultaneously with a world of objects and relating to others in the act of doing so are thus, from my perspective, intrinsic to the very idea of organizational communication. » (Taylor, 2009, pp.154-155).

54

« Each party to the encounter is bound to the other because their roles are explicitly complementary ; each is distinct from the other because their basis of authority, speaking for the organization, has different groundings.

Comment se dessinent les frontières entre les communautés ? Etienne Wenger (2005) parle de trois types de frontières selon l’engagement des membres de communautés dans les mêmes pratiques : « pratiques frontières » (les pratiques communes dans les organisations mais très floues, ambigües, constamment renégociées), « chevauchements » (la pratique découle directement et est soutenue par deux communautés/deux pratiques) et « périphéries » (la pratique est occasionnellement commune). Ce qui nous intéresse, ce sont spécifiquement les pratiques autour de la production des écrits qui font que différentes communautés sont censées collaborer dans leurs activités. Nous rejoignons la réflexion de James Taylor (Taylor, 2011) dans laquelle il énonce que : « Le texte est, en d'autres mots, un « objet frontière » (Star & Griesemer, 1989). Il est l’agent liant qui cimente ensemble les parties de l'organisation, précisément parce qu'il peut devenir un constituant dans les nombreuses communautés - une partie de leur conversation, lu à leur façon - même s’ils le considèrent sous un angle très différent »55 (Traduction propre : Taylor, 2011, p.119).

Dans la troisième partie de cette thèse, nous allons voir comment les écrits et les textes jouent un rôle dans le positionnement de certaines communautés par rapport aux autres. Selon James Taylor, c’est le moment d’une transaction, dont l’objet peut être un écrit, qui permet une confrontation de différents agents et communautés. « La communauté de pratique, ou le groupe de travail, prendra une identité si et quand, et seulement si et quand, en tant qu'une entité, elle entre dans une transaction avec d'autres qui ne font pas partie du groupe, mais à l'extérieur, qu'ils soient individuels ou collectifs »56 (Traduction propre : Taylor, 2011, p.1279). Cette négociation d’identité est toujours un processus dynamique, historique, contextuel et ouvert à d’éventuelles nouvelles expérimentations dans lesquelles les acteurs s’engagent. « L'acteur est donc un agent (...) agissant pour le principal (l'organisation) qui légitime son action. Il doit aussi y avoir une opposition: une situation inacceptable qui a généralement sa source et s'incarne dans un ils, un antagoniste: une communauté rivale, par

Both represent the organization, voice its rationale, and thereby make it present in their talk. Each is authorized because they do, yet it is not the same thirdness that they call on » (Taylor, 2011, p.57).

55

« The text is, in the other words, a « boundary object » (Star&Griesemer, 1989). It is the binding agent that cements the parts of the organization together, precisely because it can become a constituent within the many communities – part of their conversation, read in their way – even though the “spin” they give it is so different » (Taylor, 2011, p.119).

56 « The community of practice, or working group, will assume an identity if and when, and only if and when, as

an entity, it enters into transactions with others who are not part of the group, but outside it, be they individual or collective » (Taylor, 2011, p.1279).

exemple, ou une gestion incompétente »57 (Traduction propre : Taylor, 2011, p.63). Dans ces situations dans lesquelles a lieu une confrontation de l’agent avec une communauté, remarque James Taylor, il y a non seulement l’opposition entre « je » et « eux » - une communauté, mais ainsi un simple « je » se transforme en « nous »/« on ». Cette transformation de pronoms utilisés par les acteurs prouve que la rencontre avec un « autre » aide à se positionner par rapport non seulement à l’appartenance à un groupe et à la pratique, mais aussi à certains textes et surtout aux « absents (mais présents) tiers ». L’agent qui utilise le pronom « nous » parle au nom de sa communauté.

Grâce à cette présentation des processus de communication appréhendés comme processus organisant, nous pouvons observer que, tout au long du processus, les textes jouent un rôle important. Tout d’abord, les textes matérialisent et rendent présents les organisations. Ils stabilisent certains processus (à un moment ou à un autre pour qu’ensuite ils reprennent leur cours dynamique) ce qui permet aux chercheurs de saisir des différents éléments d’une organisation. Les textes définissent également le cadre des activités des acteurs, ils guident les membres d’une organisation dans leurs pratiques. Mais nous avons souligné ainsi que certains textes peuvent devenir agents. Ils ont une capacité d’agir dans des situations spécifiques. Et enfin, les textes jouent un rôle dans la négociation d’identités des communautés. Grâce aux textes, les acteurs peuvent se positionner au sein d’une organisation, par rapport aux autres agents et communautés.

Conclusion de chapitre : Premiers éléments pour fonder notre