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Conclusion de chapitre : Premiers éléments pour fonder notre approche

Ce chapitre nous a permis de spécifier le cadre théorique que nous souhaitons mobiliser et retravailler. Dans cette brève conclusion, nous revenons rapidement sur les points essentiels des approches organisationnelles des organisations (ACO) et des approches de la communication comme constitutive des organisations (CCO). Nous mettons en avant leurs apports mutuels qui nous aident à nous inscrire dans un courant de recherches actuelles en SIC et de fonder les bases de notre étude de la communication organisationnelle.

57 « The actor is thus an agent (…) acting for a principal (the organization) that legitimates his or her action.

There must also be opposition: an unacceptable state of affairs that typically has its source and become embodied in a they, an antagonist: a rival community, for example, or an incompetent management » (Taylor, 2011, p.63).

Nous avons mis en évidence les évolutions importantes dans les recherches en communication des organisations tant en Amérique du Nord qu’en Europe. Les approches ACO apparaissent à première vue comme étant beaucoup plus variées que les CCO. Cependant, comme le souligne James Taylor (Taylor, Laborde, 2006) les approches CCO ne se réduisent pas à l’École de Montréal qui a « organisé » les bases de ces approches. Désormais, des chercheurs du monde entier s’intéressent à des questions relevant de la communication et de l’organisation et se proposent de comprendre l’organisation par la communication. Par ailleurs, des recherches plus récentes effectuées en France s’inspirent, ou font référence notamment à des approches de la communication constitutive des organisations (Bouillon, 2009 ; de La Broise, 2011 ; Fauré, 2007 ; Jolivet, 2010 ; 2011 ; Hachour, 2011 ; Mayère 2010, 2013 ; Mayère, Vasquez, Bazet, Roux, 2012).

Nous remarquons certains points du fond qui rapprochent les travaux de ces approches : il est question d’étudier les phénomènes sociaux du point de vue de la communication. La communication est retenue comme la focale d’analyse, point de départ pour la recherche. Il n’est plus question d’étudier la communication dans les organisations mais la communication comme produisant l’organisation.

Selon James Taylor et ses collègues, si nous reprenons les idées-clés exposées dans différents travaux (Taylor, 1993 ; Taylor, 2011 ; Taylor et Van Every, 2000 ; Cooren, Taylor, Van Every, 2006 ; Taylor et Van Every, 2010) la communication est constitutive des organisations. Nous ne pouvons pas penser l’organisation séparément de la communication, elle émerge de la communication. La réalité n’est pas un « étant là » extérieur aux acteurs sociaux. L’organisation n’est pas tout simplement une entité, une structure stabilisée, elle doit être saisie comme un processus, « en évolution », « en devenir ». Ces chercheurs proposent d’étudier des collectifs et non des individus, compte tenu du fait que l’individu n’est pas prédéfini mais construit socialement. Le cadre théorique proposé par l’École de Montréal permet d’étudier les organisations comme constituées par des processus communicationnels et de mieux comprendre comment elles s’organisent. Il s’agit d’analyser les actions coordonnées ou organisées qui prennent forme dans un jeu de textes et de conversations, des processus organisants.

La contribution des travaux nord-américains et l’approche constitutive de la communication prennent une place importante dans des débats actuels en SIC. Or, d’autres travaux (Ashcraft et al., 2009 ; Bouillon, 2009, Mayère, 2009 ; Huët, Jolivet, 2011) mettent en

évidence des limites de ces approches constitutives. Il est reproché aux travaux de l’École de Montréal un réductionnisme communicationnel. Certaines dimensions n’ont pas été prises en compte par les CCO. Compte tenu de la focale de notre questionnement qui porte sur les productions d’écrits et la co-construction du sens, nous sommes confrontée à certaines limites de ces approches. Nous avons pour ambition d’explorer la pluralité des approches CCO et ACO pour aborder des questions encore inexplorées et dépasser quelques limites des approches constitutives.

- Ce qui a contribué à la constitution de l’approche conversation-texte était la reconnaissance des limites de l’écriture comme mode exclusif de régulation de l’activité. Or, de l’autre côté, la focale mise uniquement sur l’analyse de la co- construction sociale située dans des interactions réduit la communication, et de même l’organisation, à la dimension des situations de communication. Cette approche ne prend pas en compte des systèmes normatifs qui décrivent le fonctionnement de l’organisation et prescrivent les formes de régulation, de pouvoir et de contrôle. Selon James Taylor, ce qui est « stabilisé » dans les textes émerge des situations des conversations locales. Dans le chapitre 5, en nous appuyant sur les travaux des chercheurs français (Bouillon, Bourdin, Loneux, 2007, 2008 ; Delcambre, 2009 ; Giroux, 2000), nous proposons de travailler la notion de texte comme porteur de normes prescrites de l’extérieur des situations locales participant pleinement dans les processus organisationnels. Sans tomber dans le piège des approches déterministes, il est question d’étudier les normes telles qu’elles sont inscrites dans des textes plus globaux en tant que « les contours de l’organisation "émergée" » (Bouillon, 2009, p.2).

- Le modèle de la communication comme constitutive des organisations souligne plus les aspects symboliques que matériels d’une organisation (Ashcraft et al., 2009). Le problème est celui de « réduction communicationnelle qui pèse sur les analyses des phénomènes organisationnels en termes communicationnels, qui, au lieu de chercher à mieux saisir les liens unissant réel et symbolique, ramèneraient le premier au second » (Bouillon, 2009, p.2). De plus, la plupart des travaux réduisent la communication et les processus organisants à des phénomènes discursifs. Or, la dimension située concerne des situations de communication qui ont lieu dans des situations de travail dans lesquelles les acteurs sont amenés à « s’organiser » dans le cadre des normes, à mettre en oeuvre les prescriptions, à faire sens de ce qu’ils doivent faire et des façons de faire.

Le travail en tant que tel a été identifié de manière peu explicite dans les contributions de l’École de Montréal. Dans le chapitre 6, nous allons rendre compte de l’importance du contexte des situations locales du travail dans le processus de co-construction de sens. Nous proposons d’introduire la notion de pratique, telle que définie par Silvia Gherardi (2006 ; 2008 ; 2009), pour approfondir la réflexion sur ce qui relève des textes tels qu’ils émergent des situations.

- La distinction entre les « écrits » et les « textes » n’est pas complètement mise au clair dans l’approche proposée par les chercheurs de l’École de Montréal. Cette distinction nous semble d’autant importante qu’elle interroge la question de la matérialité. Rappelons que selon cette approche, l’organisation se matérialise par les textes (Taylor, 1993). Selon ces auteurs (Taylor, Van Every, 2000 ; Cooren, 2009) pour pouvoir « écrire » une organisation, les textes doivent « faire objet d’une conversation, d’une négociation, d’une discussion, d’un débat » (Cooren, 2009, p.14). La notion de texte va au-delà du niveau du « document », elle s’étend à tout discours écrit ou oral. Nous remarquons qu’un nombre conséquent de travaux se concentre sur les textes oraux, tels qu’émergeant des situations de conversations. Est-ce que la matérialité de l’organisation peut-être réduite à ces textes ? Quel statut ont les écrits qui ne sont pas (ou pas encore) un texte ? Quel rôle ont-ils dans un contexte organisationnel ? Nous allons approfondir ce questionnement dans le chapitre 7. Nous nous donnons comme objectif d’interroger la question de la matérialité de l’organisation en prenant en compte des artefacts qui viennent équiper les processus communicationnels et organisants, ou les activités de travail. Nous allons étudier comment les écrits organisationnels, produits et manipulés par les acteurs, participent à ce processus de co-construction d’organisations.

- En parallèle, dans ce même chapitre, nous proposons de retravailler la notion de conversation pour montrer comment ce qui est identifié comme un processus dynamique entre la conversation et les textes peut avoir lieu dans et à travers les écrits. La notion de conversation identifiée comme étant la « surface » (Taylor, 1993) de l’organisation, du fait de son caractère actionnel, reste en partie inexploitée dans la mesure où elle est souvent réduite à ce que nous considérons comme situation de communication au sens classique des rencontres directes de type face-à-face. Or, comme l’ont démontré de nombreux auteurs (Delcambre, 1990, 1997 ; Denis, Pontille,

2010 ; 2014, Mayère, Roux, 2009) l’écriture participe directement de l’activité de la construction de sens.

En cherchant une inspiration tant dans les approches ACO que CCO, nous allons explorer plus en avant les convergences et différences conceptuelles, tout en essayant de dépasser le clivage « macro »/« micro » qui pose des limites dans les recherches en communication organisationnelle et empêche de saisir les processus organisants dans leur complexité. Pour compléter notre démarche théorique, dans le chapitre 2, nous exposons ce qui nous aidera à questionner les processus organisants dans un environnement spécifique, celui du contrôle aérien qui relève par ses spécificités de ce que certains travaux – que nous allons questionner – spécifient comme « organisations hautement fiables ». En explorant cette notion, nous allons aborder plus en avant les questions de sécurité dans ces organisations.

Chapitre 2

Démarches qualité – sécurité dans les organisations dites