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Chapitre II. Genèse de la ville et de l’habitat populaire à Brasilia

II.1. L’origine particulière de Brasilia: une fabrique urbaine de capitale pour réaliser le plan pilote d’un nouveau Brésil

2.1 Des campements provisoires à la ville satellite

En 1958, deux ans avant l'inauguration officielle de la capitale, en raison de la pression populaire, le gouvernement inaugure la première ville satellite, Taguatinga, qui naît en quelque sorte déjà peuplée avec l’arrivée en une seule fois d’un contingent de 4.000 habitants originaires principalement de la Vila Sarah Kubitschek et d’autres occupations illégales telles que Vila Dimas et Vila Matias32. Cette première action gouvernementale d’urbanisation populaire « volontaire » a été suivie par la création en 1960 de deux autres villes satellites, Sobradinho et Gama pour recueillir les habitants en provenance des campements de plusieurs entreprises de construction suite à la fermeture de leurs chantiers. Les deux autres villages préexistants, Brazlândia et Planaltina, sont incorporés au District Fédéral comme villes satellites33 et accueillent une grande quantité d’immigrants pauvres regroupés dans des établissements où les conditions environnementales34 de leur résidence sont très mauvaises.

Figure 24 : Invasão do IAPI – Nucleo Bandeirante entre 1957 et 1960

Source : Arquivo Publico do Distrito Federal Suite à cette expérience se développe une certaine jurisprudence urbaine : en cas d’invasion illégale et avec la pression populaire on n’obtient pas forcément le maintien et la stabilisation sur place mais on obtient le droit d’être réinstallé légalement ailleurs. On accède donc à un statut supérieur : celui d’occupant (propriétaire) légitime et légal d’un lot quelque part où un minimum de viabilisation a été fait (tracés des voies) : un droit d’accès à la ville sinon à la ville planifiée, à la ville populaire reconnue.

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SILVA, Ernesto. História de Brasília. Brasília: Coordenada. Brasilia, 1971.

33

Decreto nº 43, de 28/03/1961, artigo 1º, inciso III (DOU de 29/03/61).

34

GDF. Secretaria de Governo. Informativo Regional. Sinopse histórica das cidades-satélites do Distrito Federal. 1977, mímeo.

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Le recensement de 1959

L’Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica – IBGE (Institut Brésilien de Géographie et Statistique) fait publier en 1959 un recensement « Censo experimental de Brasília : população, habitação : 1959 » (Recensement Expérimental de Brasilia : Population, Logement : 1959).

Dans la première partie, le recensement donne le total de la population (64.314 habitants) et classifie la population par sexe, âge, situation conjugale 35, couleur, religion, caractéristiques éducationnels, caractéristiques migratoires (lieu de naissance, origine et temps de résidence), caractéristiques économiques (profession, poste, revenu individuels) et caractéristiques des groupes de recensement (familias censitárias). Le recensement va classifier les ménages en deux groupes : le groupe familiale et le groupe en cohabitation. La deuxième partie est dédiée au thème de l’habitation, et les caractéristiques des domiciles particuliers. Cette partie est divisée en trois points : 1. Type de construction des domiciles particuliers (nombre et personnes résidentes) par localité ; 2. Condition d’occupation et loyer mensuel des domiciles particuliers durables et rustiques (nombre et personnes résidentes) par localité ; 3. Accès aux équipements existants (eau, égout, électricité) et utilitaires (cuisinière, réfrigérateur, radio) des domiciles particuliers durables et rustiques (nombre et personnes résidentes), par localité.

Le recensement fait par l’IBGE en 1959, classifie les occupations urbaines en trois types généraux : Campements, Noyaux Provisoires, Noyaux Stables.

Ce que le recensement de 1959 présente est une situation a priori inhabituelle et très particulière où la principale forme d’habitat est le campement (acampamento), des logements collectifs pour le grand nombre d’ouvriers qui sont venus sans leurs familles. L’importance numérique des campements est évidente dans le Censo 1959, qui a classé et recensé les établissements dans le territoire – Campements (28.020 habitants), Noyaux Provisoires (17.761 habitants), Noyaux Stables (6.277 habitants) et Zone Rurale (12.256 habitants)36. Ainsi, les habitants des campements comptent pour 43,5% d’une population totale du territoire de 64.314 personnes. Il faut bien noter que le Nucleo Bandeirante (Cidade Livre), compte pour une population de 11.565 personnes, en grande majorité liées aux activités commerciales.

Il faut se rappeler encore, qu’il était prévu que les campements ainsi que les noyaux provisoires disparaissent après la construction de la ville. Il y aura des exceptions sur les deux types d’établissements.

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Il faut bien noter que ce n’est pas l’état civil mais la situation conjugale qui est recensée, car au sein des populations plus démunies il était courant de vivre une vie conjugale stable sans avoir été marié.

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Instituto Brasileiro de Geografia e Estatistica – IBGE. « Censo experimental de Brasília : população, habitação : 1959 ».p . 40.

Figure 24 : Carte publié par l’IBGE en 1959 : « Brasilia - Population résidente, 1959 »

Brasilia

Population résidente par localité 17 mai 1959 échelle 1 :100.000 Légende CAMPEMENTS 1.Central NOVACAP 1.318 2.Candangolândia 2.868 3.Praça dos Três Poderes 7.064 4.Plano Piloto-Zona Sul 11.007

NOYAUX PROVISOIRES 6.Bandeirante 11.565 NOYAUX STABLES 8.Ville de Planaltina 2.245 9.Village de Taguatinga 3.677 10.Village de Brazlândia 355 11.Zone Rurale 12.256

*Pour les localités de la zone rurale, la population de chaque localité est indiquée sur la carte.

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Figure 25 : Zoom sur la carte des occupations urbaines au DF – les principales occupations autour du Plano Piloto

SOURCE : IBGE.37

La carte montre les campements, les noyaux provisoires et les noyaux stables. Population totale : 64.314

La carte ne représente pas fidèlement / avec précision les distributions des noyaux urbains sur l’espace du territoire

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On attend donc que les campements restent dans leur fonction provisoire de campements de chantier devant être démantelés à la fin du chantier. Mais cela ne sera pas le cas de la Candangolândia38, par exemple. La Candangolândia abritait les pionniers qui travaillaient dans la construction de la ville. Ce tout premier campement a été construit en 1956 par la NOVACAP, il abrite alors le siège de la société, un coffre-fort pour effectuer le paiement des salaires des travailleurs, un centre de santé, un hôpital, un poste de police, deux restaurants - la NOVACAP et le Serviço de Alimentação Popular, SAPs (service d’alimentation populaire), une école pour les enfants de pionniers, et les résidences pour le personnel technique et administratif de la NOVACAP. Il y avait aussi un second campement qui abritait environ 1200 employés, qui étaient connus comme des candangos, c'est-à-dire des ouvriers venus pour travailler dans la construction de Brasilia. Les noyaux provisoires montrés par la carte ci-dessus, sont des établissements acceptés par l’administration (NOVACAP) mais comme des établissements éphémères (avec une date d‘expiration posée au départ de l’installation). Dans le cas du noyau provisoire Bananal, (nom de la rivière au bord de laquelle il se localise) on s’attend même à ce qu’il soit recouvert par les eaux du lac artificiel qui sera créé. Et le noyau provisoire du Nucleo Bandeirante ou Cidade Livre qui apparaît dans cette carte sous le nom Bandeirante avec tous ses commerces et services, est aussi conçu pour disparaître après l’inauguration de la ville. Nous verrons que cela ne se passera pas comme attendu.

Ce recensement de 1959 est très intéressant car il restitue plusieurs caractéristiques du DF avec une place importante donnée à l’étude du logement, en rapport avec sa place importante dans le paysage et le développement du District Federal.

Le tableau ci-dessous donne la répartition du logement individuel des particuliers en 3 types de constructionn durable, rustique et autres (les campements avec les logements collectifs des ouvriers sur les campements sont traités par ailleurs).

Les constructions durables sont définies comme celles dont les murs sont faits de briques, pierres, adobe ou bois usiné, la toiture en tuile (terre cuite, amiante, zinc etc.) ou dalle de béton ; le sol revêtu de bois, carrelage, ciment ou mosaïque. Les constructions rustiques sont celles dont les murs sont de terre, chaume, paille, bois non-traité, matériaux de récupération et sol en terre battue. Et finalement les autres constructions sont celles dont les matériaux ne sont pas inclus dans les deux autres catégories (bâtiments en construction, véhicules, tentes, baraques et abris de fortune sous les ponts et galeries). Les domiciles sont encore classifiés selon la condition d’occupation, propre, loué et autre. Propre, quand l’individu ou la famille sont les propriétaires du domicile, loué, quand le ménage paye un loyer et autres quand il y a une occupation sans titre de propriété.

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Le terme candango est d'origine africaine, il signifie «ordinaire», «mauvais» est venu avec les Africains amenés au Brésil comme esclaves et a servi à désigner les Portugais qui les maltraitaient. (Sorce Dictionnaire de Portugais Aurelio). Au fil du temps, le sens a changé, devenant utilisé pour nommer les travailleurs qui sont venus d'autres régions pour la construction de Brasilia, qui a rassemblé des travailleurs d'autres endroits, venus des Etats du nord-est la plupart du temps. Pour son important rôle dans la création de Brasilia, aujourd'hui, le nom de "candango" est également accordé aux brasilienses, les personnes nées dans le District fédéral, une façon d'honorer les pionniers.

En 1989, la Candangolândia est devenue une ville. Le 27 Janvier 1994, elle a été designée par la loi no 658 comme

Région administrative XIX. (Source: Gouvernement du Distrct Federal : www.df.gov.br site de la ville de

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Tableau 3 : Censo 1959 : Distribution en pourcentage des domiciles particuliers par type de construction selon les localités

LOCALITES Type de Construction

Durables Rustiques Autres

BRASILIA 46 44,5 9 ,5

CAMPEMENTS

Central NOVACAP 64,6 30,8 4,6

Candangolândia 22,1 55,0 22,9

Praça dos Três Poderes 32,4 64,1 3,5

Plano Piloto-Zona Sul 92,2 6,1 1,7

Autres 63,3 22,0 14,7 NOYAUX PROVISOIRES Bandeirante 68,2 21,4 10,4 Bananal 9,8 81,8 8,4 NOYAUX STABLES Ville de Planaltina 77,6 22,1 0,3 Village de Taguatinga 35,5 59,9 4,6 Village de Brazlândia 62,1 33,3 4,3 Zone Rurale 28,1 58,3 13,6

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Tableau 4 : Censo 1959 Logement :

Type de construction des domiciles particuliers (nombre et personnes résidentes) selon les localités (traduction du tableau original)

LOCALITES DOMICILES PARTICULIERS

TOTAL TYPE DE CONSTRUCTION

DURABLES RUSTIQUES AUTRES

NOMBRE PERSONNES NOMBRE PERSONNES NOMBRE PERSONNES NOMBRE PERSONNES

BRASILIA 9.032 43.740 4.153 20.359 4.019 19.662 860 3.719 CAMPEMENTS Central da NOVACAP 130 680 84 467 40 203 6 19 Candangolândia 393 2.329 87 452 216 1.340 90 537 Praça dos Três Poderes 482 2.097 186 655 309 1.307 17 45 Plano Piloto – Zona Sul 759 3.372 699 3.185 46 155 13 32 Outros 651 3.230 414 2.065 144 720 96 445 NOYAUX PROVISOIRES Bandeirante 2.084 9.378 X 422 6.646 446 1.901 216 831 Bananal 1.317 6.141 132 535 1.102 5.156 113 450 NOYAUX STABLES Ville de Planaltina 376 2.109 292 1.074 83 429 1 6 Village de Taguatinga 755 3.621 268 1.258 432 2.2010 35 153 Village de Brazlândia 66 348 41 234 22 101 3 13 ZONE RURALE 1.987 10.425 558 3.158 1.159 6.080 270 1.188

Tableau original :

La caractérisation de ces occupations urbaines (campements, noyaux provisoires, noyaux stables) ainsi que la définition des types de logements (durables, rustiques et autres) est importante car elle témoigne déjà de la non acceptation de ces implantations et de leurs habitants comme faisant partie de la ville.

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