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Deuxième partie :

B. Théologiens antérieurs en lien avec le débat christologique

2. Grégoire de Nazianze

2.3. Dans une homélie catéchétique

Les homélies catéchétiques, prononcées par Sévère le mercredi saint, sont « deux fois plus longues que celles du dimanche, quarante à cinquante pages, au lieu de vingt. Le plan est toujours le même : un long exorde, l’explication du Credo, c’est-à-dire, surtout

77 F. Alpi, La route royale, p. 284.

78 M. Fédou, La voie du Christ, II. p. 434.

79 Ce Pierre, qui dirigea l’école théologique d’Alexandrie, est l’auteur De la divinité cité par Sévère dans

Le Philalèthe, p. 108-109. Ce martyr ne figure pas au sanctoral des panégyriques sévériens et n’était donc

pas fêté par Sévère. Cf. F. Alpi, La route royale, p. 194.

80 Un extrait de la Lettre à Épictète est aussi cité par Sévère dans Le Philalèthe, p. 109.

81 Un extrait de la Lettre festale de Théophile est également cité par Sévère dans Le Philalèthe, p. 109.

82 Sévère tire aussi un extrait de la troisième Lettre de Cyrille à Nestorius dans Le Philalèthe, p. 110-111.

des mystères de la Trinité et de l’Incarnation, avec la réfutation de telle ou telle hérésie et une profession monophysite ; enfin, brièvement, la description des gestes du baptême et quelques mots d’exhortation »84. Il est difficile de savoir précisément combien de personnes participaient à cet enseignement annuel mais, pour cette homélie du mercredi 30 mars 516, il est spécifié dans le titre « qu’ils étaient réunis en très grand nombre »85 . L’évêque « grossit encore cette assemblée en évoquant les armées des anges »86 ce qui l’amène à souligner leur ministère en faveur de ceux qui doivent recevoir l’héritage du

salut87. C’est d’ailleurs autour du salut que le patriarche axe son message lorsqu’il s’adresse à ses auditeurs en ces termes :

« En ce moment le salut le plus important de tous […], je veux parler du salut de ceux qui doivent obtenir le divin baptême, […] et du salut que vous possédez, fidèles, vous qui vous approchez des mystères en même temps que ceux qui sont initiés »88.

Ces paroles nous renseignent sur le public de Sévère composé, ici, de futurs baptisés et de croyants plus anciens désireux d’entendre l’enseignement de leur maître. Sévère associe les anges au public et les prend pour témoins en affirmant qu’ils mettent « par écrit les paroles des engagements que ceux [qui s’approchent du bain divin] contractent envers le Christ »89. C’est lorsqu’il aborde le thème de l’incarnation que Sévère évoque Grégoire le Théologien90. Il interpelle son auditoire en ces termes :

« Si c’est d’une manière indivisible que l’Emmanuel est apparu un (au sortir) de la Vierge, comment après une union de ce genre le couperions-nous en disant deux natures ? Car c’est une coupure grossière et une destruction de l’union. Que si

84 F. Graffin, « La catéchèse de Sévère d’Antioche », L’Orient Syrien, 17/5, 1960, p. 49-50.

85 HC 90, PO 23/1, p. 120.

86 F. Graffin, « La catéchèse de Sévère d’Antioche », p. 51.

87 Hébreux 1, 14 cité dans l’HC 90, PO 23/1, p. 121.

88 HC 90, PO 23/1, p. 121.

89 HC 90, PO 23/1, p. 123.

90 Dans cette HC 90, PO 23/1, p. 142-143, Sévère rapporte une citation d’un autre Grégoire. Il ne s’agit pas de Grégoire de Nazianze mais de Grégoire le Thaumaturge comme le stipule Gribomont : « Nous lisons, en PO 7, 643, éditée par E.W. Brooks en 1911, une hymne de Sévère sur Grégoire le Thaumaturge ; Sévère y utilise la Vie écrite par Grégoire de Nysse, dans laquelle figure le symbole du Thaumaturge, et il fait allusion à ce symbole » J. Gribomont, « La catéchèse de Sévère d’Antioche et le Credo », Parole de

comme Nestorius tu formes d’avance l’enfant dans la Vierge et que de la sorte tu introduises et fasses habiter Dieu en lui ainsi que dans les prophètes91 par une adhésion d’affection et d’amour volontaire, après une telle union fausse et trompeuse tu confesseras nécessairement qu’il y a les deux natures. En effet, tu ne dis pas comme Paul : C’est de la même manière que nous que le Verbe a participé

au sang et à la chair92, et tu entres en lutte ouverte avec les paroles des docteurs de l’Église, lesquelles rejettent ton adhésion qui (entraîne) la division. Est-ce que tu n’entends pas Grégoire le Théologien qui écrit à Clédonius : "Si quelqu’un dit que l’homme a été formé, et qu’ensuite Dieu est entré en se glissant, il sera coupable ; car ce n’est pas là la naissance de Dieu, mais c’est la fuite de la naissance"93. J’ai cité ces (paroles) pressé par la nécessité, afin que les âmes de ceux qui sont instruits ou de ceux qui sont au contraire nouveaux et instables dans la foi soient trouvées inattaquables et vigilantes par ceux qui flattent la table impure de Nestorius et qui, refusant également d’entendre les dogmes orthodoxes, se trouvent en ce moment en train de se glisser quelque part et de se cacher dans les troupeaux. Il y aurait avantage à ce que, une fois qu’ils apparaissent, fût-ce même en secret, nous les frappions de nos flèches meurtrières dans un combat en règle »94.

L’enseignement catéchétique de Sévère comporte une dimension préventive. En effet, précédemment, le pasteur avait qualifié l’homélie catéchétique de « témoignage » et de « commandement qui avertit d’avance […] ceux qui s’approchent du bain divin de ne plus retourner en arrière »95. En se disant « pressé par la nécessité », le berger est conscient du danger qui menace tant les chrétiens de longue date que ceux qui s’apprêtent à être baptisés. En effet, les thèses nestoriennes (autrement dit chalcédoniennes) représentent un risque susceptible d’entraîner les catéchumènes vers l’hérésie. Aussi, fort habilement, l’évêque reproche à ceux qui sont tentés par cette

91 Allusion à la Lettre 101 à Clédonius, cf. Grégoire de Nazianze, Lettres théologiques, p. 46-47.

92 Hébreux 2, 14.

93 Grégoire de Nazianze, Lettres théologiques, p. 42-45. Dans sa réfutation du florilège cyrillien et notamment à propos de la formule des deux natures, Sévère cite les mêmes extraits de la lettre à Clédonius dans le Philalèthe. Même citation dans l’HC 58, PO 8/2, p. 223-224. Cf. II. B. 2.2. Lors d’une visite pastorale, p. 128.

94 HC 90, PO 23/1, p. 150-152.

doctrine de s’opposer ouvertement à l’apôtre Paul et d’entrer « en lutte ouverte » avec les docteurs de l’Église, ce qui est une manière détournée de leur dire qu’ils s’attaquent à plus grand qu’eux. Sévère les prévient donc, leur explique la raison de la citation tirée de Grégoire, à savoir fortifier leur foi, les rendre vigilants, les former en leur donnant des arguments qui les rendent « inattaquables » et prêts pour le combat « spirituel » face aux hérétiques qui pourraient les surprendre.

Pour réfuter cette hérésie, Sévère se fonde d’abord sur l’Écriture et, comme dans d’autres circonstances96, cite Hébreux 2, 14 pour souligner la participation du Christ à notre humanité. Il s’appuie ensuite sur une parole de Grégoire97 qu’il cite bien à propos pour insister sur la virginité de la Vierge et réfuter les thèses nestoriennes. Ainsi, dans sa manière d’enseigner, l’évêque fait toujours passer l’Écriture en premier, c’est seulement après qu’il se réfère à Grégoire et le présente, ici, comme un modèle des docteurs de l’Église.