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Deuxième partie :

B. Théologiens antérieurs en lien avec le débat christologique

3. Basile de Césarée

Hormis les sermons du 1er janvier consacrés aux Pères cappadociens et la prédication exégétique évoquée plus haut98, Basile de Césarée est mentionné dans une homélie catéchétique prononcée le mercredi 22 mars 517. Dans son exorde, Sévère met l’accent sur la charge pastorale des prédicateurs ainsi que sur leur redevabilité envers Dieu. Il fait alors le rapprochement avec Moïse qui, conscient de la grandeur de Dieu, disait : Qui suis-je pour aller vers Pharaon, roi d’Égypte ?99 Il semble que l’humilité du patriarche soit réelle et que ce n’est pas simplement un effet de rhétorique lorsque, s’identifiant à Moïse, il s’écrie : « je pèse ma faiblesse en comparaison de la grandeur des paroles que j’ai l’ordre de dire, et je suis bien épouvanté »100. Pressentant que ses auditeurs puissent l’interroger sur son appel101, Sévère fait le parallèle entre sa vocation

96 Par ex. Hébreux 2, 14 est débattu dans l’HC 58 à propos de l’incarnation.

97 Cf. Grégoire de Nazianze, Lettres théologiques, p. 42-45.

98 Cf. II. B. 1. Grégoire de Nazianze, Basile de Césarée et Ignace d’Antioche, p. 118-120. En dehors des sermons du 1er janvier, Basile de Césarée (329-379) est nommé dans trois HC : 18, 104 et 109.

99 Exode 3, 10.

100 HC 109, PO 25/4, p. 733.

et l’appel de Moïse au buisson ardent102. C’est à partir de ce texte d’Exode 3 que l’évêque développe sa théologie trinitaire et « met en garde contre le danger de confondre les hypostases, aussi grand que celui d’introduire entre elles une différence d’honneur ou d’essence »103.

C’est encore à partir du buisson ardent qu’il enseigne sa christologie. Pour lui, « le Fils était celui qui est apparu dans le buisson, l’image du Père vivante et ne présentant aucune différence, celui qui montre en lui-même et fait connaître exactement celui qui l’a engendré, à la façon d’une image véritable, et en tant qu’il est le Verbe élevé, l’intelligence qui est au-dessus de tout »104. Le pasteur se sert alors de l’image du bois et du feu et s’écrie :

« En effet, comment le bois en vient-il ensemble avec le feu à la même chose ? Comment supporte-t-il l’assaut de la flamme ? Comment étaient-ils une seule chose, ce bois et ce feu qui par nature sont en désaccord entre eux ? Et en effet il n’a pas dit que le (feu) éclairait, ou qu’il brillait autour du (buisson), ou qu’il semblait que le feu apparaissait au-dessus du buisson, mais que le buisson était embrasé et ne se consumait pas. […] Il y avait un feu qui s’était introduit et s’était glissé. Et le (buisson) était devenu du charbon ardent, et il était tout entier en feu, et (il était) le feu lui-même […]. C’est donc d’une manière semblable à ce prodige que le Verbe de Dieu, lui aussi, s’est uni à notre chair »105.

Par cet enchainement de questions oratoires sur le thème du feu, Sévère cherche à attirer l’attention de ses auditeurs et à les entrainer dans sa logique afin de les convaincre. Ce dialogue fictif avec des questions auxquelles on répond soi-même, permet « d’éviter la sécheresse d’un monologue et d’établir une certaine connivence avec le public »106. Ce buisson embrasé qui ne se consume pas107 habite l’évêque d’Antioche qui

102 Exode 3, 13-15.

103 J. Gribomont, « La catéchèse de Sévère d’Antioche et le Credo », p. 138.

104 HC 109, PO 25/4, p. 751.

105 HC 109, PO 25/4, p. 752-753.

106 J.-J. Robrieux, Les figures de style et de rhétorique, Paris, Dunod (Les Topos), 1998, p. 94.

se dit « possédé par (cette) image »108. Le fait qu’on ne peut séparer la flamme qui brûle dans le bois lui permet d’expliquer comment Dieu s’est uni à la chair.

Dans la bouche de Sévère, le buisson enflammé devient du « charbon ardent » et l’on peut aisément retrouver, dans son argumentaire, les propos de Cyrille d’Alexandrie qui « avait déjà interprété cette image pour l’appliquer à l’incarnation »109. À propos du charbon qui a touché les lèvres du prophète Isaïe110, Cyrille avait déclaré que « le charbon

constitue pour nous le symbole et l’image du Verbe qui s’est fait homme »111 et avait souligné, dans son commentaire, l’unité dans le Christ. Le patriarche d’Antioche connaît bien cette métaphore notamment par les rédacteurs du florilège cyrillien qui l’ont reprise « comme une preuve de la doctrine des deux natures »112. Cependant le patriarche ne cite pas Cyrille et préfère, pour renforcer son argumentation sur l’unité d’opération dans le Christ, prendre « comme témoin Basile sage dans les (questions) divines »113. Il l’introduit ainsi :

« Il est très bon que nous entendions également en propres termes la parole du docteur, laquelle est ainsi : "Si le Fils est une œuvre, et non pas une progéniture, il n’est pas celui qui a opéré, ni non plus ce qui a été opéré ; autre chose, en effet, est l’opération en dehors d’eux, mais elle est également inexistante ; car aucune opération n’est existante. Que s’il est ce qui a été opéré, il est le troisième à partir du Père, et non pas celui qui est au milieu. En effet, celui qui a opéré (est) le premier, ensuite c’est l’opération, et ainsi ce qui a été opéré"114. Impies donc sont ceux qui au sujet du Christ enseignent deux natures qui opèrent ; car il est

108 HC 109, PO 25/4, p. 754.

109 A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrétienne, II/2, p. 120.

110 Isaïe 6, 6-7.

111 Sévère d’Antioche, Le Philalèthe, p. 266.

112 A. Grillmeier, Le Christ dans la tradition chrétienne, II/2, p. 120.

113 HC 109, PO 25/4, p. 757.

114 Basile (Pseudo), Adversus Eunomium IV-V, Einleitung, Übersetzung und Kommentar von F.X. Risch, Leiden, New-York & Cologne, Brill (Vigiliae Christianae, Suppléments 16), 1992, p. 63. Provenant du livre IV, cette citation ne peut être reconnue avec certitude comme étant l’œuvre de Basile de Césarée mais d’un Pseudo-Basile. Sachant que Sévère était rigoureux et soucieux de l’exactitude de ses propos, il est fort probable que s’il avait eu un doute concernant l’auteur de cette citation, il ne l’aurait pas utilisée, du moins pas de cette manière.

nécessaire que chaque nature ait son opération propre et distincte, c’est-à-dire (son) mouvement opérant »115 .

Cette citation que Sévère attribue à Basile de Césarée est tirée d’un écrit à Eunome qui remet en cause la nature divine du Christ. En effet, pour Eunome, le Fils est engendré par le Père, il ne peut donc pas être de nature divine. On ne sait pas qui, à l’époque de Sévère, est visé directement par ces propos si ce n’est « ceux qui au sujet du Christ enseignent deux natures qui opèrent »116.