• Aucun résultat trouvé

Première partie :

C. Exordes axés sur Sévère lui-même

1. Charge pastorale

La charge pastorale, précisément l’enseignement, est l’objet de soins constants de la part de Sévère. Dans son exorde de Noël 514, c’est cela qu’il met en avant :

« Deux fois déjà j’ai célébré cette fête avec vous, et j’ai paru être un homme non pas sans parole et incapable de nourrir spirituellement les fidèles, mais très riche et très généreux à ce point de vue. Car vous savez vous-mêmes par votre volonté pieuse, que vous serez abondamment nourris par des (paroles) modérées …. J’ai grande confiance que c’est avec la même ardeur que vous venez après avoir ouvert la bouche de votre esprit …, et à cause de cela il n’entre désormais en moi aucune crainte »1.

Ici, le pasteur se positionne d’emblée comme le berger qui sait nourrir convenablement ses brebis. Il exprime à la fois sa confiance en lui-même et en ses fidèles, ce qui lui permet d’exposer aussi ses difficultés, en l’occurrence de ne pas avoir « de quoi (leur) préparer un troisième repas »2. Cette difficulté est accompagnée de la crainte de voir ses paroissiens mépriser un « repas comme ceux qui reçoivent en nourriture les mets de la veille »3. Par ailleurs, le prédicateur veille à la longueur de ses homélies ainsi qu’il l’exprime vers la fin de son sermon4. Le fait de parler sur le même sujet chaque année sans avoir quelque chose de nouveau à dire est une préoccupation récurrente chez Sévère,

1 HC 63, PO 8/2, p. 286-287.

2 HC 63, PO 8/2, p. 287.

3 HC 63, PO 8/2, p. 287.

notamment lors de fêtes liturgiques comme en témoigne cet autre exorde du premier dimanche de Carême 517 :

« Et après vous avoir donné une ou deux fois la cause et la raison pour lesquelles, quand se lèvera sur nous le commencement des jours saints du jeûne, nous nous écartons et nous nous éloignons, jusqu’à la fête de la passion du Sauveur et de la résurrection, de l’entrée dans la maison (qui est) "synonyme de lumière"5 et d’auprès de la source du Jourdain qui a de beaux et de nombreux enfants, j’estimais bien superflu de parler encore en ce moment sur le même sujet, de peur que quelques-uns aussi par manque de réflexion ne portent sur moi le jugement que c’est par habitude que j’accomplis cela comme une dette parmi celles qui pressent beaucoup. En effet, il est bon, et il est d’une utilité capitale, que nous retournions dans (notre) esprit fréquemment et sans cesse ce qui a été déjà dit, que nous le méditions et que nous nous y tenions par (nos) actions. Mais j’estime qu’il n’est ni utile ni nécessaire que celui qui n’a rien de nouveau à dire parle encore sur les mêmes sujets. Il faut, en effet, qu’un chrétien agisse beaucoup et qu’il parle peu et modérément, et qu’il demande pour lui-même la réalisation de ce qui se dit ou s’entend à toute heure »6.

Le prédicateur veut éviter l’écueil de la redite et de l’habitude et, pour y remédier, invite ses auditeurs et lui-même à la méditation et à l’action. Sa préoccupation de prononcer des paroles modérées est à comprendre dans un sens quantitatif comme le montre la suite du sermon, lorsqu’il précise que c’est à lui « de décrire et de montrer le sentier de ce qu’il faut faire » et qu’il le fait « rapidement » et « en peu de paroles » 7. Il se positionne en tant que modèle pour ses fidèles en insistant sur le fait que l’enseignant est « tenu de faire ce qu’il enseigne »8. Ce souci de nourrir copieusement ses fidèles sans que ce soit toujours la même chose se retrouve notamment dans l’homélie sur la même fête liturgique l’année suivante9.

5 HC 106, PO 25/4, p. 660. La note 1 de bas de page précise que le baptistère est appelé, chez les Grecs, γωτιστήριον (maison de la lumière), c’est pourquoi Sévère l’a appelé maison, "synonyme de lumière".

6 HC 106, PO 25/4, p. 660-661.

7 HC 106, PO 25/4, p. 663.

8 HC 106, PO 25/4, p. 664.

Sévère exprime aussi sa charge pastorale en termes de redevabilité. C’est le cas, par exemple, de son homélie pascale du 7 avril 513 qu’il commence en ces termes :

« Je me suis souvenu qu’à l’égard de certains d’entre vous, je suis redevable d’une dette particulière qu’il m’a semblé devoir payer en bloc à toute l’Église. J’avais promis en effet de dire comment il faut comprendre ce qui a été dit par Jean, le théologien parmi les évangélistes : Le Verbe « est devenu » chair et il a habité

parmi nous »10.

Il s’avère que cette promesse, relative à un thème christologique, est ancrée dans la mémoire de Sévère et pensée en termes de dette. Ici, il se sent redevable envers « toute l’Église » et compte bien tenir sa promesse. Ce sentiment lui procure de la crainte, notamment à l’approche de la date de son ordination où il s’identifie à « ceux qui, débiteurs d’une somme d’argent qu’ils auraient empruntée, lorsque les intérêts ont égalé le capital et que de la sorte leur dette a doublé, redoutent le jour du remboursement »11. Par ailleurs, Sévère est conscient que ses auditeurs n’oublient pas non plus ses dettes spirituelles (l’enseignement qu’il leur doit) et s’empresse alors de « verser ce qui était dû autrefois, avant d’encourir un reproche de négligence et de retard et d’un préjudice »12. Le 1er janvier 514, son exorde révèle ce sentiment de redevabilité en ces termes :

« Cette fête glorieuse et vraiment spirituelle, j’avais décidé, non de mon propre gré, de la passer sous silence, étant préoccupé par les soucis de multiples affaires au point qu’il ne me restait même plus de souffle pour respirer. Car les affaires de l’Église, pour nous, sont pitoyables et nous apportent plus de soucis que de profits ; nous sommes accablés par une grande masse de dettes et les usuriers nous imposent une grande quantité d’intérêts » 13.

10 HC 23, PO 37/1, p. 115.

11 HC 99, PO 22/2, p. 208.

12 HC 108, PO 25/4, p. 699.

13 HC 37, PO 36/3, p. 475. La note 1a de bas de page, concernant les intérêts, stipule que « le sens exact du syriaque n’est pas clair » et que la traduction donnée « essaie de rendre ce qui en semble être le sens ».

Ici, il ne s’agit pas de dettes spirituelles mais de dettes matérielles. En effet, l’évêque « se trouve souvent lui-même gestionnaire de la principale fortune foncière … et devient, au VIe siècle, l’intermédiaire obligé entre la ville et les autorités impériales »14. L’on peut aisément imaginer les soucis qui s’ensuivent et qui ont une incidence sur son enseignement. En effet, il n’est pas rare que le patriarche d’Antioche exprime son manque de capacité pour parler et enseigner, notamment lorsqu’il se dit « obscurci par le nuage des soucis matériels » dans lesquels est liée son Église15.

Précisons encore que ce sentiment de redevabilité est fréquent dans la bouche de Sévère, non seulement à l’égard de ses fidèles, mais aussi des saints. En effet, le devoir de mémoire est particulièrement important pour l’évêque si bien qu’il lui arrive de culpabiliser, en l’occurrence lorsqu’il ne fait pas l’éloge des martyrs16. À côté de ce sentiment essentiellement lié aux devoirs pastoraux tels qu’il les conçoit, Sévère fait régulièrement état de ses émotions.