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Deuxième partie :

B. Théologiens antérieurs en lien avec le débat christologique

2. Grégoire de Nazianze

2.1. Un cas d’anathème

Une homélie de 513, dont le titre indique clairement les intentions de Sévère en cas d’anathème, s’ouvre avec une invective à l’égard des hérétiques34. L’exorde vise

31 HC 104, PO 25/4, p. 641-642. Nous n’avons pas séparé ici les citations de Grégoire et de Basile, celles-ci étant liées étroitement.

32 HC 104, PO 25/4, p. 643. L’éditeur renvoie ici au Discours 8 de Grégoire mais on n’y trouve pas exactement ce que dit Sévère. Cf. Grégoire de Nazianze, Discours 6-12, introd., texte crit., trad. et notes par M.-A Calvet-Sebasti, Paris, Éd. du Cerf (Sources Chrétiennes 405), 1995, p. 247-255.

33 En dehors des sermons de commémoration du 1er janvier, Grégoire de Nazianze (330-390) est nommé dans sept HC : 29, 45, 58, 72, 90, 104 et 119.

« ceux qui sont descendus dans cette boue immonde de Nestorius » et qui disent qu’il faut anathématiser les « évêques qui ont quitté le monde, qui ont défini que le Christ unique est connu en deux natures35. La préoccupation de Sévère n’est pas tant de se préoccuper des morts. En effet, à la fin de son homélie il dira, en parlant d’Arius, d’Eunome, d’Apollinaire, de Mani et de leurs suppôts, qu’« il faut avoir pitié d’eux, car eux aussi sont morts »36.

Ce qui intéresse l’évêque d’Antioche c’est d’ôter l’anathème présent parmi les fidèles et, dans sa ligne de mire, se trouve un impie qu’il ne nomme pas, et qui est difficilement identifiable. Sévère souligne que cet impie est connu de ses auditeurs, et qu’il aurait rempli « la ville de révoltes et de troubles, au point même d’avoir fait brûler le portique et des quartiers importants de la ville et que de nombreux meurtres ont été cyniquement commis et que des ruisseaux de sang ont coulés à flots »37. S’appuyant sur le récit de la prise d’Aï, le pasteur rapproche cet impie d’Akar38 et se félicite de l’avoir « découvert […], tourné en ridicule et par le décret de l’anathème (de l’avoir) condamné en même temps que ses maîtres impies »39. Pour donner du poids à son argumentation et renouveler l’intérêt de ses auditeurs cultivés, l’orateur fait appel à Moïse, au Christ et à Grégoire40 et s’écrie :

« Mais comment n’entends-tu pas Moïse, et plutôt le Christ qui parlait en lui, légiférer et dire : Tu ne seras pas avec le plus grand nombre pour le mal, tu ne

feras pas nombre avec la foule pour se détourner avec le grand nombre, comme pour infléchir le jugement41. Poursuivant cette idée, Grégoire le Théologien lui

aussi (dit), alors que de nombreux évêques étaient rassemblés en ce temps-là, alors que sévissait l’abominable hérésie d’Arius, et que contre la foi des trois cent

dix-35 HC 29, PO 36/4, p. 589.

36 HC 29, PO 36/4, p. 607.

37 HC 29, PO 364, p. 593. La note de bas de page stipule qu’« on ne rapporte rien de tel de Nestorius ». F. Alpi, dans notre échange de mail, émet l’hypothèse qu’il pourrait s’agir de Flavien II (498-512), prédécesseur de Sévère sur le siège d’Antioche et condamné par lui comme hérétique. À l’heure actuelle, nous ne pouvons pas l’affirmer (e-mail du 14/04/2017).

38 Josué 7.

39 HC 29, PO 36/4, p. 593.

40 Comme l’indique F. Graffin, dans son introduction aux HC 26 à 31, « pour l’homélie 29, fait unique dans les 125 homélies de Sévère, deux pages entières sont traduites presque mot à mot de l’homélie de Grégoire de Nazianze sur saint Athanase ». Cf. M. Brière, « Introduction générale à toutes les homélies », p. 539.

huit42, ils avaient conspiré avec ruse […] ; il l’appela l’assemblée du conseil de Caïphe43 et cela fort justement, pour qu’on se souvienne aussi des paroles du saint dont le contenu est celui-ci : "(Qu’on l’appelle) soit Tour de Chalanè qui a divisé les langues44 […], soit conseil de Caïphe, celui par qui le Christ fut condamné45, soit qu’il faille donner un autre nom analogue à ce concile qui a tout perverti et bouleversé, en détruisant ce dogme pieux et antique et défenseur de la Trinité, en établissant le blocus et en ébranlant par ses machinations le mot "consubstantiel" ouvrant par là la porte à l’impiété par le moyen même des formules "»46.

Pour légitimer son anathème, Sévère situe Grégoire dans la continuité de Moïse et du Christ, Il renforce ainsi l’autorité du Père cappadocien et, par la même occasion, la sienne. Sans le dire, le prédicateur coupe le discours du Théologien pour le reprendre plus loin, là où il est question d’évêques qui sont illégalement « chassés de leurs sièges » et remplacés par d’autres « en exigeant d’eux de souscrire à l’impiété »47. Grégoire fait référence ici à des pasteurs qui, devenus fous, ont ruiné l’Église de Dieu. S’appropriant alors les paroles du Cappadocien, le patriarche d’Antioche lance à son public :

« Comment en effet n’est-il pas monstrueux qu’il ne soit pas permis à quelqu’un, fût-il rustre ou tout-à-fait illettré, d’ignorer la loi romaine, et qu’il n’y ait pas de loi pour excuser ce qui a été commis par ignorance ? Mais que les Maîtres (chargés) d’introduire aux mystères du salut ignorent les principes du salut, même si par ailleurs ils se trouvent être des hommes des plus simples et d’esprit superficiel ? Qu’il y ait, soit ! de l’indulgence pour ceux qui ont suivi par ignorance ! Mais que diras-tu de ces autres, de tous ceux qui, alors qu’ils se piquaient de leur science, furent vaincus par ceux qui détiennent (le pouvoir) pour

42 Concile de Nicée (325).

43 Grégoire fait allusion ici au synode de Séleucie (359) composé essentiellement d’Ariens.

44 Chalanè est une des quatre villes associées à Babel au « pays de Schinear » (Genèse 10, 10). Il faut comprendre Tour de Chalanè ou Tour de Babel (Genèse 11, 1-9).

45 Jean 11, 47-49.

46 HC 29, PO 36/4, p. 599-601. Sévère cite ici le Discours 21, cf. Grégoire de Nazianze, Discours 20-23, p 155-157.

les motifs que j’ai rappelés, et, alors qu’ils jouaient abondamment sur la scène de la piété, dès l’apparition du moindre danger, sont tombés ! »48 .

À la suite de ce discours, Sévère relève le fait que Grégoire n’a pas imputé la même responsabilité à tous les pasteurs, certains étant champions de l’impiété, d’autres étant « ébranlés par la peur ou bien esclaves du gain, séduits par la flatterie et entraînés par l’ignorance »49. Cependant Sévère souligne le fait que Grégoire les a tous englobés sous le même nom « conseil de Caïphe » et « Tour de Chalanes » et qu’ils subirent tous la condamnation quel que fût leur niveau de responsabilité50. Fort du soutien de Grégoire, l’évêque d’Antioche se démarque de ceux qui veulent « mettre à part ceux qui méritent le pardon »51. Il affirme donc :

« Mais moi, ceux qui m’ont annoncé un évangile différent de celui que j’ai reçu, je (les) anathématise et je détourne le visage loin d’eux. Quant à ceux auxquels il faut pardonner, Celui qui détient les frontières du pardon et les poids et les balances de la miséricorde, les connaît. Au contraire, le concile des trois cent dix-huit52 et de la même manière aussi celui des cent cinquante53, nous les appelons honorables et saints, et cela, alors que dans le premier, il y eut Eusèbe de Césarée qui combattait avec l’impiété arienne, et dans le second, Diodore de Tarse, le maître d’impiété de Nestorius : ceux-ci certes ont été condamnés à l’anathème, mais le nombre des saints conciles n’en demeure pas diminué, parce que sérieusement et sévèrement de telles choses ont été condamnées et proclamées. »54

Bien qu’il considère Eusèbe de Césarée et Diodore de Tarse comme hérétiques, Sévère ne remet pas en cause l’autorité de Nicée et Constantinople pour autant. Il est profondément convaincu que le fait d’épargner des gens « expose ceux qui les épargnent à la condamnation et à la colère »55. Pour renforcer son affirmation, il fait appel à cet autre

48 HC 29, PO 36/4, p. 603. Cf. Grégoire de Nazianze, Discours 20-23, p. 160-161.

49 HC 29, PO 36/4, p. 603. 50 HC 29, PO 36/4, p. 603-605. 51 HC 29, PO 36/4, p. 605. 52 Concile de Nicée (325). 53 Concile de Constantinople (381). 54 HC 29, PO 36/4, p. 605. 55 HC 29, PO 36/4, p. 605.

récit biblique qui relate l’histoire d’un homme à qui un prophète demande, sur ordre du Seigneur, de le frapper. Cet homme n’obéit pas et s’attire le châtiment de Dieu ; contrairement à l’autre homme qui, recevant le même ordre, obéit et frappe sans pitié et s’en trouve épargné56. Ainsi, pour prononcer un anathème, l’évêque d’Antioche a recourt à une double autorité, celle de la Parole de Dieu et celle de Grégoire.