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Première partie :

A. Exordes axés sur les figures d’autorité

5. Les adversaires de Sévère

Pour introduire ses sermons, Sévère ne se réfère pas seulement à des figures d’autorité positive mais aussi à d’autres qu’il considère comme hérétiques. Sur l’ensemble du corpus homilétique seuls trois exordes, datant de l’an 513, évoquent les adversaires de Sévère.

98 Romains 2, 11 ; Colossiens 3, 25.

99 HC 73, PO 12/1, p. 90-91. Selon le panégyrique sévérien de F. Alpi cette homélie de Barlaha, appelé aussi Barlaam, fait suite à l’HC 72, sur Procope et Phocas prononcée le matin du 1er juin 515, et se situe dans la nuit du 1er juin 515 contredisant ainsi l’affirmation que « c’est un 31 mai que Sévère prononce cette homélie ». Cf. Jean Chrysostome, Panégyriques de martyrs, I, introd., texte crit., trad. et notes par N. Rambault avec la collab. de P. Allen, Paris, Éd. du Cerf (Sources Chrétiennes 595), 2018, p. 38. Cette différence de datation mériterait d’être questionnée.

Le vendredi saint 5 avril, il aborde son public en mettant en doute la bonne foi des théologiens qu’il combat et s’écrie :

« Peut-être certains de ceux qui divisent après l’union ineffable cet unique Notre Seigneur et Dieu Jésus-Christ dans une dualité de natures, se laissant entraînés à des pensées humaines, demandent-ils, en croyant mettre les gens pieux dans l’embarras : Qui est celui qui s’est écrié sur la croix : Mon Dieu, mon Dieu,

pourquoi m’as-tu abandonné ? 101 Pour nous, nous disons avec sagesse, en nous laissant guider par les livres sacrés, que c’est Dieu le Verbe, celui qui s’est incarné sans changement, c’est lui qui a crié cela, lui qui pour nous volontairement est devenu pauvre, et qui, en tant qu’il est devenu homme, a appelé le Père son Dieu »102.

Ici, le reproche principal de Sévère à l’égard de ses adversaires, à savoir la division des deux natures du Christ après l’union, est lié à la controverse autour du cri de déréliction de Jésus sur la croix qui, pour un vendredi saint, est de circonstance. Bien que l’interpellation soit adoucie par un « peut-être » et accorde ainsi le bénéfice du doute à ceux qui auraient de mauvaises intentions, elle est destinée à attirer le mépris sur ceux qui se laissent « entraînés à des pensées humaines ». L’orateur s’inscrit alors en faux contre de telles pensées et présente une position collective comme émanant de personnes sages et à l’écoute des Écritures. C’est donc d’une manière habile qu’il invite son public à se ranger à ses côtés.

Dans la suite de l’homélie, le prédicateur va développer ce qu’il énonce en condensé dans l’exorde et va s’en prendre à Nestorius, à Théodoret, au Tome de Léon et au concile de Chalcédoine. Il semble qu’il soit en train de préparer le synode oriental qui aura lieu peu de temps après à Antioche, en avril-mai. En effet, ce synode avait pour objectif de confirmer l’élection de Sévère, de proclamer l’anathème contre Chalcédoine et le Tome de Léon et de rétablir la communion avec les Églises d’Orient103. Mais ce sermon n’est-il pas aussi une manière, pour lui, d’intégrer ses fidèles à la réflexion

101 Matthieu 27, 46 ; Marc 15, 34.

102 HC 22, PO 37/1, p. 89. Au sujet de cette homélie, cf. II. C. 1.3. Théodoret de Cyr, p. 164-166.

théologique du moment, de les faire participer, de les avertir des dangers de l’hérésie, de les cadrer ?

Un peu plus tard, une homélie non datée a pour titre : « Qui montre que le fait d’anathématiser ceux qui sont coupables de nous avoir annoncé un Évangile différent de celui que nous avons reçu, libère la ville et l’Église, c’est-à-dire le peuple, de la malédiction et de l’anathème »104. Ce titre en dit long sur l’intention de Sévère « de souder la cité dans le refus de l’hérésie, tout en détournant d’elle la colère de Dieu »105. Il s’agit de frapper vite et fort aussi l’évêque apostrophe son public avec ces paroles :

« Il n’y a rien de pire que la cruauté de l’hérétique. Car, plus on écarte ses attaques diverses, aux multiples approches, plus il s’efforce de résister, en inventant des paroles d’un langage impudent, comme ces serpents venimeux à plusieurs têtes : si on leur en coupe une, ils menacent de nouveau, au moyen d’une autre, du même venin et de la mort »106.

Cet exorde introduit l’exégèse allégorique, portant sur l’histoire d’Akar107 et sur laquelle l’évêque va fonder son argumentation. Il va aussi faire appel à Grégoire de Nazianze et citer longuement ses propos tenus contre les Ariens au synode de Séleucie (359) allant jusqu’à les appeler « l’assemblée du conseil de Caïphe » 108. Le recours à l’autorité de ce docteur de l’Église permet à Sévère de prononcer son anathème en lui conférant une certaine légitimité.

L’homélie suivante, datée du 2 septembre 513, porte sur l’éloge de Syméon le Stylite mais l’attention de l’auditoire est orientée, dès le départ, vers Théodoret qui s’est approprié la conduite de Syméon. Le prédicateur l’accuse d’avoir brisé le lien des Églises et l’accord de paix et qualifie le concile de Chalcédoine de « dérisoire »109. Sévère revient

104 HC 29, PO 36/4, p. 589. Nous situons cette homélie en été 513.

105 F. Alpi, La route royale, p. 158-159.

106 HC 29, PO 36/4, p. 589.

107 Josué 7, 16-26.

108 HC 29, PO 36/4, p. 599. Cf. Discours 21 dans Grégoire de Nazianze, Discours 20-23, introd., texte crit., trad. et notes par J. Mossay, Paris, Éd. du Cerf (Sources Chrétiennes 270) 1980, p. 157.

sur ces propos dans sa lettre adressée au rhéteur Etienne à qui il « fait remarquer que l’exorde lui déplaira certainement, car il est inacceptable pour les byzantins »110.

Ces homélies de 513 auraient-elles quelques liens avec la révolte, à l’automne, dirigée par l’officier Vitalien qui se pose en défenseur de Chalcédoine et réclame la suppression du Trisagion miaphysite ? Toujours est-il que ces exordes, où Sévère met l’accent sur ses adversaires, datent de la première année de son pontificat. Par la suite, il ne reprendra plus ce procédé. N’est-il pas satisfait du résultat ? Les retours sont-ils négatifs ? Considère-t-il cette approche peu opportune pour s’attirer la bienveillance de son auditoire ? Ces exordes nous autorisent cette hypothèse mais c’est dans le corps des homélies que nous trouverons davantage de renseignements sur l’état des relations entre Sévère et ses adversaires.

Qu’elles soient positives ou négatives, les figures d’autorité, choisies par Sévère d’entrée de jeu, servent à fonder sa légitimité sur des références sûres ou, à l’inverse, à se démarquer de celles qu’il présente comme hérétiques. De plus, la référence à ces figures montre que le pasteur ne se construit pas tout seul mais en lien avec d’autres, comme c’est le cas aussi avec ses fidèles qu’il met en évidence dès l’exorde.

110 HC 30, PO 36/4, p. 609, note 2. Pour Sévère, ces byzantins sont des Chalcédoniens. Cf. The Sixth Book