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Chapitre 2. Cadre théorique

2.1 Le concept du curriculum : définitions et considérations épistémologiques

2.1.7 La démarche d‘élaboration du curriculum

Dans les lignes qui précèdent, nous avons présenté les modes de développement du curriculum, à savoir le mode d‘entrée par contenus-matières, le mode d‘entrée par objectifs et le mode d‘entrée par les compétences, en nous inspirant de Demeuse et Strauven (2006). Dans ce point, nous présentons les étapes essentielles d‘élaboration du curriculum en nous inspirant des recherches de Roegiers (2006) et de Paquay (2007). Ces auteurs portent leur regard sur la façon dont s‘élabore un curriculum de formation en fonction des caractéristiques du système d‘enseignement. Ces recherches pourraient nous aider à concevoir une démarche d‘élaboration du curriculum d‘enseignement secondaire technique et professionnelle adaptable au système d‘enseignement et au contexte de la province du Sud-Kivu.

Selon Roegiers (2006), la diversification des modes de prise de décision implique également la diversification de logiques qui prévalent à l‘élaboration des curriculums. Il propose ainsi trois logiques : une logique de l‘expertise, une logique stratégique et une logique de projet.

La première logique, dite de l‘expertise, fait référence à l‘élaboration du curriculum par un groupe d‘experts qui assume leur rôle décisionnel. Ces experts parviennent généralement à faire valoir leurs conceptions en raison du statut que leur confèrent leurs compétences scientifiques et de l‘appui dont ils bénéficient de la part des décideurs politiques. Leur expertise constitue un garant de la qualité du produit. Les autres personnes qui seront associées au développement du curriculum – les conseillers pédagogiques, les inspecteurs, les enseignants – jouent un rôle d‘appui.

La deuxième logique, appelée stratégique, correspond à une logique politique ou de pouvoir. Elle cherche à concilier les intérêts, les enjeux divergents entre différentes parties concernées, souvent sources de conflits, et à déboucher sur un compromis acceptable entre celles-ci.

La troisième logique, celle de projet, s‘inspire des processus d‘une recherche-action : elle s‘efforce de faire émerger les représentations mentales et les attentes des membres du groupe à l‘égard du curriculum, de susciter leur questionnement afin d‘arriver à un consensus sur la conception du curriculum et la manière de le développer. La démarche mise en œuvre consiste en une démarche participative. (Roegiers, 2006b : 175-178)

Ces trois logiques, tout étant en tension continuelle, orientent, selon Roegiers (2006), les choix des personnes impliquées dans l‘élaboration des curriculums, les procédures et les modalités d‘organisation. Dans cette optique, il importe d‘examiner les approches d‘implantation d‘un curriculum pour identifier laquelle s‘appliquerait le mieux à l‘enseignement secondaire en RDC.

En s‘inspirant de Snyder, Bolin et Zumwalt (1996) qui dégagent trois approches d‘implantation du curriculum, Paquay (2007) propose trois idéaux types qui servent à analyser des démarches concrètes d‘élaboration des curriculums : l‘approche technocratique, l‘approche sociopolitique et l‘approche anthroposituationniste.

L‘approche technocratique se caractérise par la priorité donnée aux initiateurs d‘un nouveau curriculum qui est imposé par le pouvoir central ou régional. L‘avantage de cette réforme curriculaire réside dans la possibilité

d‘évaluer les contenus enseignés dans les écoles suivant l‘évolution des connaissances scientifiques ou encore d‘insuffler des buts éducatifs communs importants pour une société donnée. Toutefois, les démarches inspirées de ce modèle ont montré leurs limites. Ce modèle rend le système éducatif complexe en raison du poids des acteurs de terrain, des intérêts multiples et contradictoires de chacune des catégories d‘acteurs concernés par la réforme (Paquay, 2007).

L‘approche sociopolitique s‘inscrit dans la perspective de « l‘adaptation ». Elle accorde une priorité à la négociation entre l‘ensemble des catégories d‘acteurs concernés par une réforme curriculaire : les ministres, l‘administration, l‘inspection, les conseillers pédagogiques et autres cadres intermédiaires, les fédérations des pouvoirs organisateurs, les enseignants, les parents, etc. Dans cette négociation, on n‘aboutit pas toujours aux résultats escomptés. Les curriculums qui émergent de ces négociations sont parfois dits « aseptisés », en ce sens que les meilleurs projets sont rabotés et épurés (Paquay, 2007).

L‘approche anthroposituationniste se caractérise par la priorité donnée aux pratiques des acteurs de terrain et de leurs points de vue. Dans les questions d‘enseignement et de curriculums, les acteurs principaux sont les membres des communautés de pratiques dans les classes (enseignants et apprenants) et dans les établissements (tout le personnel, y compris la direction). Dans ces conditions, « l‘acteur construit le sens du changement possible à partir d‘une culture d‘appartenance, en fonction de son incidence sur les rapports sociaux dans lesquels il est engagé et au gré de conversations et d‘interactions qui l‘aident à préciser sa pensée et à l‘accorder à l‘opinion ambiante » (Paquay, 2007 : 68).

Au sens où l‘entendent Clandanin et Connelly (1996), « le modèle type [de communauté de pratique] est celui d‘équipes d‘enseignants associés à des apprenants (et/ou à leurs parents) qui définissent un projet éducatif et développent un curriculum adapté aux priorités définies. Ils adaptent au fur et à mesure les dispositifs, les démarches, les outils en fonction des situations rencontrées » (Clandanin et Connelly, 1996, cités par Paquay, 2007 : 68 ).

À la lumière de ces trois approches d‘élaboration du curriculum, trois solutions semblent possibles dans l‘implantation d‘un curriculum dans le contexte d‘après-guerre en RDC, au Sud-Kivu. La première consiste en l‘adaptation du curriculum existant au contexte dans lequel il doit être implanté. Cette décision qui semble rationnelle a priori demande d‘anticiper les implications résultant de cette adaptation en matière d‘investissements divers : volume de travail, préservation de la cohérence interne entre les composantes du curriculum. Cette décision donne rarement satisfaction parce que l‘ampleur du travail est souvent sous- estimée.

La deuxième possibilité implique le recours à la juxtaposition de curriculums ou de parties de curriculums existants. On sélectionne un ou plusieurs apprentissages en fonction de besoins des apprenants, chaque module étant un curriculum en soi. La juxtaposition poserait des problèmes de surcharge du contenu curriculaire. Le nouveau curriculum risque de générer des conflits de valeurs à promouvoir et problèmes de sélection des contenus de l‘enseignement-apprentissage.

Enfin, la troisième solution concerne la substitution au développement du curriculum. Cette solution n‘est pas évidente, car elle demande beaucoup de réflexion pour les usagers et beaucoup de temps d‘adaptation pour les bénéficiaires.

Toutefois, étant donné l‘évolution et l‘émergence de nouveaux besoins et projets de société liés parfois aux impératifs politiques, économiques, technologiques, sociaux et culturels, Demeuse et Strauven (2006) soulèvent des questions pertinentes qu‘il faut se poser pour élaborer un curriculum d‘enseignement. Nous élucidons quelques-unes de ces questions. Elles portent sur les valeurs, les stratégies didactiques, le contenu du curriculum en lien avec les réponses aux intérêts du public cible.

[L]es valeurs que le curriculum s‘efforce de promouvoir méritent d‘être revues, régénérées, réintégrées, enrichies en fonction des constats réalisés, de l‘évolution des besoins sociétaux et/ou de l‘apparition de besoins nouveaux? Les stratégies didactiques utilisées restent-elles d‘actualité, compte tenu des connaissances les plus récentes […]? Le contenu du curriculum continue-t-il de répondre aux intérêts ou aux préoccupations du public cible? Le curriculum reste-t-il valide, compte tenu de l‘évolution de son contexte d‘implantation? (Demeuse et Strauven, 2006 : 200-201)

Ces questions sont intelligibles pour notre étude. Elles orientent le choix de l‘approche théorique à privilégier dans notre recherche, soit celle de l‘anthroposituationnisme. Cette approche prend en compte l‘expérience des acteurs et des bénéficiaires dans le développement du curriculum. Elle intègre la culture dans le développement de la vision curriculaire et rejoint la logique de projet qui inspire la démarche de la recherche- action émancipatoire dans le cadre du développement durable. Par ailleurs, pour développer ce curriculum projet Demeuse et Strauven (2006) proposent une démarche en six étapes : 1. l‘évaluation a priori des finalités du curriculum; 2. l‘identification des besoins des clients concernés; 3. la détermination des principes fondamentaux d‘élaboration d‘un curriculum; 4. l‘examen des possibilités de la mise en œuvre; 5. l‘évaluation a posteriori du curriculum développé dans l‘enseignement-apprentissage; 6. la conception d‘une démarche d‘élaboration d‘un curriculum-projet de la société concernée. La méthodologie de notre recherche s‘appuie sur cette démarche d‘élaboration du curriculum.

Après avoir compris le concept de curriculum par sa définition, son aperçu historique, son caractère polysémique et multidimensionnel, voyons comment les courants théoriques permettent d‘approfondir les connaissances sur la définition et la démarche d‘élaboration du curriculum.

2.2 Les courants théoriques sur le développement du curriculum