• Aucun résultat trouvé

5 L’argumentation champ d’étude de l’éthos

4. Analyse des faits énonciatifs

4.4 Définitions et conceptions

Les pronoms personnels sont la première réalisation syntaxique de l’ethos. L’acte discursif de l’individu est une mise en œuvre des mots de langue. A traverse lesquels, l’orateur mobilise des stratégies discursives adaptées aux objectifs visés. Selon E. Benveniste (1974, p.80) l’énonciation est une :

« Mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation. Le

discours, dira-t-on, qui est produit de chaque fois qu’on parle, cette manifestation de l’énonciation, n’est-ce pas simplement la « parole » ?-Il faut prendre garde à la condition spécifique de l’énonciation. C’est l’acte même de produire un énoncé et non le texte de l’énoncé qui est notre objet. Cet acte est le fait du locuteur qui mobilise la langue pour son compte (….) le locuteur s’approprie l’appareil formel de la langue il énonce sa position de locuteur par des indices spécifiques, d’une part, et au moyen de procédés accessoires d’autre part ».

En effet, le locuteur est le centre de l’énonciation, les procédés et les accessoires qu’il met à sa disposition sont les éléments bases de sa production discursive. Ces indices spécifiques mobilisés par le sujet parlant n’ont aucun contenu en dehors de la production de l’énonciation. Il s’agit des indices de personnes, les indices temporels, d’ostension91 et les types de phrases.

Les indices des personnes renvoient à l’instance du discours où ils sont produits. «Les

pronoms personnel sont le premier point d’appui pour cette mise au jour de la subjectivité dans le langage » (ibid. p. 262) ; c’est à travers eux que s’affirme la présence du locuteur et sa relation

avec le monde extérieur.

Quand on parle des pronoms chez Orrechioni (2002), le sens qu’elle apporte à la communication apporte plus de dynamisme ; tout signe a un sens. En effet, par opposition à Benveniste, elle postule le fait que les pronoms ne sont pas des « signes vides de sens ». Elle considère que le sens des déictiques, termes pour désigner les indices de la subjectivité, reste constant à travers les différents emploies. En échange ce qui varie c’est le référent des unités déictiques. Ce qui veut dire que, par exemple, le pronom « je » ou « nous » garde le sens d’un locuteur ou des locuteurs mais acquiert un sens nouveau en fonction des situations de communication : le « je » du politique, le « je » mère de famille, le « je » de l’économe, le « nous » publique ou le « nous » président….etc. Donc les déictiques pour Orrechioni (ibid., p41) :

«Sont les unités linguistiques dont le fonctionnement sémantico-référentiel (sélection

à l’encodage, interprétation au décodage) implique une prise en considération de certains des éléments constitutifs de la situation de communication, à savoir: le rôle que tiennent dans le procès d’énonciation les actants de l’énoncé, la situation spatio-temporelle du locuteur, et, éventuellement, de l’allocutaire»

Nous arrivons ainsi à dire que les pronoms personnels et leurs variations (les adjectifs possessifs) sont des déictiques. Ce sont des unités linguistiques dont le fonctionnement sémantico-référentiel est délimité en se référant à certains points essentiels dans la situation de communication : le rôle des actants dans la situation d’énonciation, la situation spatio-temporelle du locuteur, de l’allocutaire. Voilà comment sont présentés les pronoms personnels (ibid., p47) :

91 Selon Larousse de 2011, cette notion signifie l’acte de montrer ou de se montrer (registre religieux), et veut dire aussi la mise en valeur indiscrète d’un avantage.

Figure 20 : le schéma des pronoms personnels chez Orecchioni

4.5 Le pronom personnel «je»

Du point de vue de la théorie énonciative, « je » et « tu » différent fonctionnellement de « il » et « on », traditionnellement identifiés comme « formes de la non personne ».Le pronom personnel, « je », comme « tu » sont les vraies personnes de l’interlocution. Benveniste (1966 :252) les conçoit comme les véritables personnes de l’énonciation dans la mesure où elle détermine l’instance de discours et se référant à une réalité du discours.

L’exigence du discours médiatique impose que l’énonciateur vouvoie le récepteur au lieu de le tutoyer. Donc on a tendance à trouver, dans les débats politiques télévisés « je » et « vous » plutôt que « je » et « tu ». Ainsi « je » et « nous » indiquent l’opposition entre « personne stricte » et « personne amplifiée ».

« Je » désigne la personne qui énonce la présente instance du discours contenant« je ». Il n’a pas d’existence en dehors de la parole qui le profère, « je se réfère à l’acte de discours

individuel où il est prononcé, et il en désigne le locuteur. ……ne peut être identifié que dans une instance de discours et qui n’a de référence qu’actuelle. La réalité à laquelle il renvoie est la réalité du discours. C’est dans l’instance de discours où je désigne le locuteur que celui-ci s’énonce comme ‘sujet’. » (E. Benveniste, 1966 : 262).Donc, « je » est définit comme une personne subjective, en face de la personne non subjective « tu » et la non personne « il »

Par ailleurs, Orecchioni. K (2002 : 41) prête attention à ce qui « varie avec la situation », qui est le référent de l’unité déictique, et non pas le sens (qui reste constant). Le pronom « je » signifie la même information à savoir, la personne à laquelle renvoie le signifiant, c’est le sujet

Non locuteur Locuteur Je Non allocutaire Il(s)-elle(s) Allocutaire (s) Tu- vous 1 Nous Vous 2

d’énonciation. Autrement dit, le pronom « je » peut avoir d’autres référents en extension ; comme le cas du « je » politique.

Charaudeau. P (1992 : 120), avant de parler des pronoms personnels, préfère distinguer personne et pronom personnel, ça rejoint un petit peu la dichotomie « je » vide de sens et « je » référentiel. Ainsi, la personne est une catégorie conceptuelle composée des êtres qui participent

à l’acte de la communication selon différents rôles langagier : la personne qui parle, la personne à qui on parle, la personne dont on parle, ce sont des sujets de l’acte de langage. Et les

pronoms personnels sont les marques grammaticales qui désignent ces personnes. Pour cela on distingue : le locuteur (personne qui parle), l’interlocuteur (la personne à qui on parle) et le tiers (la personne dont on parle).Pour ce qui est de la particularité sémantique du « je », il considère ce pronom comme locuteur simple, porteur de sa propre identification.

Néanmoins, il peut se substituer à d’autres personnes (ibid. P.141), par procédés d’appropriation dont les effets varieront selon les cas de transferts, et les contextes : procédés d’ironie, procédés d’exemplarité, procédés d’actualisation, procédés d’identification, procédés

d’identification +exemplarité+ particularisation (ibid. p.143). A chaque fois le« je » renvoie à

une personne particulière (il, on, nous).

4.6 L’univers discursif de «je»

Le « je » du politique médiatique est une exception dans la mesure où, l’implication du locuteur dans son discours a une dimension pragmatique. Cela veut dire qu’il faut prendre en considération le statut social du sujet parlant, étant donné qu’il représente un groupe, il est le porte-parole d’une communauté ; chaque candidat aux présidentielles représente un groupe social dont il est le porte-parole.

A cet effet, la production discursive de l’énonciation se trouve dans un réseau complexe de modes d’énonciation et des valeurs qui dirige le groupe social. À ce niveau nous abordons la

dimension proprement politique du discours, comme un type de communication particulier, qui met en relation la communauté avec son représentant à l’occasion de chaque événement de discours (A.O.Barry, 2002 :107).

En effet, le « je » politique est ancré dans un univers discursif complexe, le locuteur légitimé par son statut socio institutionnel présente une image de soi, en faveur des attentes des interlocuteurs. Le « je » du politique se métamorphose d’un énoncé à un autre en fonction du

sociale et des attentes institutionnelles (ibid. P.108).

A.O.Barry dans son analyse de l’univers discursif du « je » dans le discours de Sèkou Touré, a défini les différentes figures du « je ». Le « je » désigne l’orateur, qui assume ses

paroles sans aucune prise de distance, ni de masque (ibid. P. 113). Comme dans l’exemple

suivant tiré du débat avec Ali Benouari :

58’05 229 ABenouari Non je parle pas de Sofiane Djilali+ qui est un parti nouveau+ un parti nouveau je n’en parle pas et je je j’aime beaucoup Sofiane et ce qu’il fait +non je parle des partis qui soit disant ont une base ancienne++++ je parlais de++

Dans

la prise

de

parole 229, l’orateur A Benouari utilise le « je » de l’orateur, le "je" de l’énonciation et de l’énoncé ; c’est un « je » par rapport à un vous (autres partis politiques). Dans ce bouclage

énonciatif, marqué par la seule présence de « je », l’orateur AB s’implique dans ses paroles dont

il assume l’entière responsabilité. La suite de ces prises de parole exprime son statut d’homme politique honnête qui ne parle pas la langue du bois. Il s’attaque directement à l’ FLN et dit à la fin de la prise de parole n° 231« depuis quand le FLN n’a –t-il pas activé sur le terrain↑ est ce

que le FLN a une présence sur le terrain↑ à travers le territoire national↑ zéro+ le RND a une présence sur le terrain↑ zéro+ il faut que les algériens sachent que ces partis sont des partis qui ont une réputation totalement surfaite+ ».

Donc, le « je » d’Ali Benouari est à la fois pluriel et individuel, direct et indirect. Il décrit négativement FLN, désir intériorisé au fond de chaque algérien. Il montre son soutien personnel (j’aime) aux partis nouveaux. Enfin, il s’dresse indirectement aux algériens pour influencer leur choix le jour du scrutin et s’adresse directement au pouvoir en dénonçant son parti ancien.

Le « je » dans les constructions modalisantes démontre un statut de dominant (pouvoir) et un statut de dominé (partis nouveaux). Le « je » associé au modalisateurs détermine une figure du « je » spécifique à sa psychologie et aux aspects sociopolitique qui gèrent l’actualité de son

pays. En effet, la plus part des participants aux débats, emploient à plusieurs reprises des verbes

déclaratifs (dire), des verbes d’opinion (croire, penser), les auxiliaires modaux (pouvoir, falloir, vouloir, devoir). Cet ensemble de verbes servent à changer la valeur de vérité que le locuteur attribue à ce qu’il dit (ibid., p122).

Ainsi, le verbe dire associé avec « vous » démontre la dominance de celui qui parle sur celui qui écoute dans le cas de notre corpus, il s’agit de l’animateur Khaled Drareni. Comme le cas de tous les débats : « je vous dis que tout à l’heur libérale, ça veut dire je dois avoir la

liberté de choisir à tous les niveaux » (Morad Boukhelifa), «  Je vous l’ai dit tout à

l’heur+depuis 62+ depuis l’indépendance+notre économie+effectivement+ vit des exportations+on a toujours parlé des hydrocarbures+ » (Abdelmalek Sellal), Ces exemples

indique un rappel à ce qui est déjà dit mais dans d’autres exemples le dire exprime le désir de transmettre un message, de transmettre une valeur ou un nouvelle loi «je dirai pas l’accroitre

mais le structurer », « je dis un million deux cent cinquante logements » (Tarik Mihoubi),

58’18 30 KD Du FLN+ du RND↑

58’19 231 A Benouari Ceux qui me connaissement savent que je ne pratique pas la langue du bois+ (….)

Le « je » peut exprimer, aussi, l’image valorisante que l’on tente de construire de

soi-même et d’imposer aux autres locuteurs. Ainsi dans les exemples suivants, l’orateur tente de

projeter de soi-même, une image positive qui mêle pouvoir, devoir et qualité humaine : «je peux respecter mon mandat », « je suis secrétaire générale » (Louiza Hanoun) ;

 « je suis responsable de ma signature », «je suis un militant politique (Amara Benyounes) ;  « je dois toucher à l’éducation » (Abdelhak Mekki) ;

« je peux vous affirmer » (Abdelmalek Sellal).

Autre figure du « je » est celle qui démontre sa fonction d’autobiographe, l’orateur

s’adresse directement à un public, sous forme biographique, l’image qu’il a construit de lui-même et qu’il veut leur transmettre (ibid. P.125) comme le fait TM quand -il explique le motif

qu’il a ramené à s’exiler :

06’29 34 KH →&Pourquoi avez- vous choisit de vous exiler ↑

06’30 35 TM J’ai choisi de m’exiler comme tous les jeunes algériens d’aujourd’hui+

06’31 36 KH Comme tous les jeunes Algérien d’aujourd’hui ↑

Les

divers emplois du « je » avec le passé composé et l’imparfait nous rappellent les temps du récit. Ce « je » transforme sa réponse en un récit autobiographique, il est sujet et objet de ses paroles

06’32 37 TM Bah je n’avais pas le choix+ je n’avais pas de travail↑ je n’avais pas de situation↑ et j’avais pris la décision↑ et je trouvais que la politique ne rencontrait pas mes inspirations pour le future↑+ je ne pouvais pas avoir un appartement ↑je ne pouvais pas me marier↑ Ce que vivent maintenant les jeunes je l’ai vécu ça fait 30 ans+ alors je me suis dit+ « Ard Rabi Wasaa » [la terre de Dieu est immense] j’irais ailleurs +il y’a un bon dieux partout+ alors j’ai été à l’étranger et je me suis construit à l’étranger+ j’ai continué mes études la bas+ et je me suis impliqué dans la société+ et bon j’ai eu un parcourt magnifique+ j’ai travaillé très fort+ j’ai été persévèrent et ça a donné de beaux résultats jusqu’au point où j’étais rendu conseillé spécial du maire de Montréal+ pendant quelques années 8 ans+ et j’ai dirigé aussi +j’ai été directeur général du parti vision Montréal +qui gérait la ville aussi&/

(O. A. Barry: 2002 : 126). L’orateur raconte sa vie personnelle qu’il partage avec celle des autres jeunes algériens. A travers cette prise de parole se tisse une culture victime (ibid., p129) ; du jeune algérien désespéré sans travail, ni logement, ni aucune source de vie. En fait, ce récit autobiographique fait voyager les téléspectateurs d’un pays qui exile ses enfants à un pays qui reçoit à bras ouverts un étranger. Ce voyage dans le temps permet à TM de montrer aux téléspectateurs son parcours glorieux malgré les vicissitudes du destin et malgré les obstacles imposés par l’état. Donc ce récit est à la fois confession et partage de confiance.

Par ailleurs, dans certain cas le « je » est délocuté ; l’espace du discours est traversé par

une hétérogénéité intradiscursive car tout se passe comme si l’entrée en transe du sujet dans son discours le transportait dans un ailleurs imprévisible et le transformait par la même occasion en un autre sujet (ibid. P.132). Le « je » ne se représente pas lui-même mais un autre, il s’approprie

l’appellation de « je » symbolique (ibid. P.135) ou du « je »porte-parole englobant ou le « je »

qui représente l’autre (ibid. P.142/ 145). Ces deux « je » ont des traces dans notre corpus car le

« je » entre en jeu énonciatif avec « nous » et « il » ou « on ».

Dans l’exemple suivant « je » est associé à « moi », « nous » et « ils »l’orateur vacille entre l’inclusion et l’exclusion. En utilisant un « je » suivi de sa forme associée« moi », Louiza Hanoun ne prend aucune distance par rapport à sa parole. Donc, elle prend en charge sa prise de parole et exclut l’autre de son intention énonciative. Néanmoins, l’utilisation du « nous » signifie qu’elle se distancie de ses propos en insérant le groupe dans son énonciation c’est ainsi que le « nous » représente « je » et les membres du parti des travailleurs « ils ». Les preuves dont elle parle, sont en possession du groupe. Le « nous » représente un abri contre un péril imprévisible; contre les accusations qui peuvent lui être assignées par le pouvoir. Nous vous présentons ci-dessous l’exemple dans son intégralité :

10’58 38 KD Soutenus par la police↑Comme le dit certains sur place↓

Pour

finir nous

pouvons dire que le « je » (Amossy, 2000 :105) a un double statut, il est sujet et en même temps agent. En effet, on tend à voir dans le discours, et par conséquent dans la présentation de soi verbale un vouloir dire (sujet) et un vouloir faire (agent). Autrement dit, le« je » devient un sujet d’un produit langagier et un agent capable d’influencer l’autre.

L’homme ou la femme politique est ancré dans un réseau de déterminations sociodiscursives qui contraignent beaucoup sa parole. L’image de soi qu’il projette est tributaire

11’01 39 LH Ça +je n’irai pas jusque-là+ je n’irai pas jusque-là+Moi je ne porte pas d’accusation sans preuve+Si je vous parle des ONG + c’est que nous avons les preuves et même les citoyens ibadites+ je les salue encore plus+parce qu’ils sont sortis dans la rue pour manifester +et pour dénoncer l’individu ou les individus qui servent des intérêts étrangers+et qui parlant leur nom+ils leur ont ôté tout couverture politique en disant nous sommes attachés à l’unité du pays ils ont brandit le drapeau national+Ça veut dire qu’ils sont conscients des enjeux Maintenant &/

des codes du parti et des impératifs du positionnement. Son ethos est véhiculé à travers un « je » contraint et compatible avec la notion d’agentivité et de responsabilité, dans le sens moral

d’assumer et d’accepter les conséquences, et dans le sens pratique de rendre des comptes (ibid.,

P .108).

A cet effet, la notion d’ethos n’existe que par rapport à l’autre ; ce qui veut dire que le « je » n’existe que par rapport à un « tu » ou un « vous » présent ou absent. Il est évident qu’un candidat aux élections présidentielles ne projettera pas le même ethos face aux membres de son parti politique, dans un débat télévisé, ou face aux électeurs. Il modulera son image de soi en fonction de l’image qu’il se fait de son auditoire. Le locuteur et le récepteur se retrouvent dans

un jeu spéculaire (ibidem). L’un se voit dans le miroir de l’autre. La construction de l’ethos se

fera, donc, dans l’adresse directe (avec tu), dans la double adresse (avec tu et vous) et enfin dans l’absence d’adresse (avec vous).