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Définir le troubadour par le texte

CHAPITRE 7. DÉFINIR LE TROUBADOUR PAR LE TEXTE 148

7.2 Vidas et postilles : prémices à l’analyse de la réinvention du texte par l’image

Les postilles du chansonnierAcontiennent un ensemble de désignations, concernant tant les personnages, que les actions et parfois même des objets. Elles sont intéressantes à plus d’un titre, nous laissant entrevoir les processus de transformation, de réinvention par lesquels passe le texte avant de devenir image. La désignation du personnage que propose la postille se fonde sur celle de la vida, qu’elle peut reprendre littéralement57 ou dont elle peut proposer une variation, une réinterprétation, choisissant parfois entre plusieurs réinterprétations possibles (fig. C.7, p. 229). Trois désignations sortent du lot, celle decavaller, qui s’applique aux nobles, et celles d’home ou dejogolar qui s’appliquent aux laïcs non–nobles, les chevaliers pauvres étant, comme à leur accoutumée, dans une position intermédiaire.

La désignation que l’on rencontre le plus fréquemment, et qui par là–même donne lieu à une plus grande variété de représentations, est celle de cavaller. On la rencontre quatorze fois et elle peut tout autant désigner des personnages à cheval qu’à pied. Ainsi, Raimbaut d’Aurenga est désigné comme « I. cavalero a cavalo » [A4] tandis que Raimbaut de Vaqueiras est « .I. cavaller a pe » [A36]. Cela confirme que ce terme est à prendre comme désignant un statut inhérent à la personne, et pas conjoncturel. Ce n’est donc pas le fait d’être à cheval qui est ici concerné, et ce d’autant plus qu’on trouve également un « jogolar a caval » [A18] ou un « calonego a caval » [A17], ni même d’être représenté comme un chevalier en armes chevauchant sa monture58. Cela nous apprend, de plus, que l’on peut reconnaître un chevalier, même représenté en pied et sans armes. L’usage de ce terme de cavaller pour une catégorie plus large que celle des vidas et, en fin de compte, son élargissement à l’ensemble de la noblesse, peut nous laisser subodorer qu’au moment de la réalisation du chansonnier, l’identification de la classe noble aux valeurs chevaleresques est aboutie. On rencontre toutefois par ailleurs le terme debaron, appliqué à trois des plus grands nobles représentés, désignés dans leurs vidaspar des titres précis plutôt que par le terme de bars, Jaufré Rudel « princes de Blaia » [A27], Dalfin « coms d’Alvernge » [A45]

et « lo vescoms de Saint Antonin » Raimon Jordan [A28]. Pour ce dernier, la postille, qui n’a pas été respectée, spécifiait qu’il devait être accompagné d’autres hommes et de chiens59. Cette représentation, interprétée par Lemaître comme renvoyant à la scène de bataille évoquée dans la vida60, pourrait en réalité être une manière d’évoquer le statut

57. On a ainsi la correspondance entre « evesques » dans la vida et « vescovo » dans la postille,

« canorgues » et « calonego », « monges » et « monego », « clercs » et « clerego », « maistres » et

« maestro », « domna » et « dona » et « paubres cavalliers » et « povero cavaller ».

58. Pour ce dernier, la postille pourra préciser « I. bel cavaller ben armado a cavall cu(n) .I. scudo a collo e la lança soto braço » [A41]

59. « .I. baron a caval cu(n) altri homini a caval et cu(n) cani ».

60. J. L. Lemaître remarque en effet que le miniaturiste n’a pas totalement respecté le souhait du

de grand noble. En effet, « outre le vêtement, le destrier, l’escorte, la domesticité, les faucons et les lévriers permettent d’identifier l’aristocrate dans ses déplacements »61 et le Roman de la Rose le dit d’ailleurs on ne peut plus clairement : « et qu’il ont et chiens et oiseaus/por sambler gentis damoiseaus » (v. 18828–18829)62. Les chiens, l’équipement et la compagnie ne seraient donc qu’une manière d’identifier le grand noble, mais si l’on cherche une correspondance dans la vida, il faudra plutôt la trouver du côté du grand appareil dans lequel Raimon se rend auprès d’Elis de Montfort : « et apareillet se ben et onradamen et anet s’en a ma dompna Elis de Montfort ».

Pour les femmes, deux termes différents sont employés, celui de dona et celui de femena. Celui de dona renvoie, comme on peut s’y attendre, aux femmes nobles ou di-gnifiées, comme le sont les trobairitz, et qualifiées par le texte de la vida de dompna [A38, A39]. Le terme de femena, en revanche, sert à désigner l’épouse « soudadieira » de Gaucelm Faidit [A12] et celle, de profession similaire, de Gausbert de Puycibot [A21].

Deux désignations partagent des caractères communs, celle d’home et celle de jogo-lar. Elles sont d’ailleurs conjointes chez Marcabru : « .I. homo jugular sença strume(n)te ».

Cela peut nous mener à confirmer l’hypothèse avancée que la désignation comme joglars dans la vida était en partie une désignation de niveau zéro, correspondant en partie à la représentation de niveau zéro que Meneghetti considère comme étant celle d’un « home a pe cantador »63. L’emploi de ces deux termes correspond, en tout cas, au groupe repérable par le biais des vidaset composé dessirven,borges etjoglarset dans une moindre mesure des paubres cavalliers (fig. C.7, p. 229). Le terme d’home peut servir en outre à désigner des personnages qui ne rentrent pas exactement dans une des catégories habituelles (tel le

« gentil homo » pour désigner Bertolome Zorzi, noble mais point chevalier, et désigné par sa vida comme « us gentils hom, mercadiers de Venecia » [A40]). Ce terme assez neutre semble être utilisé pour définir une représentation, lorsque l’on n’a pas de meilleur terme à disposition, en l’absence de vida, notamment, comme c’est le cas pour Ricas Novas [A31] et Guiraut de Luc [A42] qualifié d’« homo a pe ». Ce terme semble en outre donner généralement lieu à des représentations assez basiques, d’hommes simplement vêtus et déclamant, représentation que l’on retrouve pour Bertran d’Alamanon [A26], pour lequel le manuscrit ne comporte ni postille ni vida.

Une dernière désignation doit attirer notre attention, celle de maestro. Si elle re-prend en deux occasions le terme de « maestres » présent dans la vida, elle s’étend à

rédacteur de la postille, souhait « s’inspirant vraisemblablement du §6 de la vida, évoquant la grande bataille où le vicomte fut blessé : « E.l vescoms s’en anet una vetz en garnimen on fo una grans batailla don el i fo nafratz a mort. » ; voir J.–L. Lemaître et F. Vielliard, Portraits de Troubadours..., II, p. XLVIII.

61. M.Aurell,La Noblesse en Occident..., p. 96.

62. FelixLecoy, Guillaume de Lorris et Jean de Meun : le Roman de la Rose, Paris, 1965, p. 65 ; cité par M.Aurell,La Noblesse en Occident..., p. 106.

63. M.–L.Meneghetti,Il pubblico..., p. 331.

CHAPITRE 7. DÉFINIR LE TROUBADOUR PAR LE TEXTE 150 d’autres troubadours, à savoir Arnaut Daniel [A5] et le clerc Uc Brunenc [A22]. On a ici une première vision de la réinterprétation de la catégorie des maistres, dans un sens assez différent de celui des vidas et correspondant plus à une dimension quasi universitaire.

L’application de ce titre se justifie probablement en partie par l’estime que porte le com-pilateur de A à un troubadour comme Arnaut Daniel et semble en partie se rapporter à des formules précédemment évoquées telles que « amparet ben letras e fon sotils hom de letras e de sen natural » [A22]. L’image fera de cette figure un usage encore plus extensif.