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DÉCRIRE ET ANALYSER L’IMAGE 112 du laïc, par rapport à la colombe, emblème du clerc, thème que l’on retrouve tant dans la

Décrire et analyser l’image

CHAPITRE 6. DÉCRIRE ET ANALYSER L’IMAGE 112 du laïc, par rapport à la colombe, emblème du clerc, thème que l’on retrouve tant dans la

poésie des troubadours que dans des textes latins comme leDe avibusde Hugo de Folieto, mais ces éléments correspondent moins à l’usage qui en est fait dans nos miniatures et l’on ne les développera pas plus ici.

La baguette

On rencontre, dans les représentations d’Aimeric de Peguilhan et d’Uc de Saint Circ dans A une baguette, portée sur l’épaule, et qu’on retrouve sous une forme légèrement différente, plus proche d’un sceptre à l’extrémité fleurdelysée chez certaines des trobairitz deH. Anglade la qualifiait de « bâton de folie »15, ce qui paraît fort contestable. Dietmar Rieger y voit plutôt une « signification générale de signe de distinction »16. Angelica Rieger, quant à elle, lance plusieurs hypothèses : il s’agirait peut–être d’« un symbole de corporation ou de confrérie confié aux troubadours (professionnels) pour la distinction et la maîtrise de leur art » ou d’« une stylisation du fameux « rouleau sur lequel les poètes devaient noter leurs chansons » ou bien encore d’une forme de « bâton de chef d’orchestre » que les troubadours auraient employé pour se distinguer des jongleurs17. Une nouvelle explication a récemment été proposée par Martine Jullian, qui verrait dans ce bâton fleuri, jamais associé à une figure masculine, « l’indice de la performance et l’attribut même de la femme qui chante »18 et ce par comparaison avec un manuscrit astrologique, le Liber astrologiae, réalisé en Italie du Sud dans le deuxième quart du XIIIe siècle, et dans lequel, sur le folio consacré au premier décan du Cancer19 est représentée

« une figure de jeune fille en robe rouge, qui tient dans la main droite à la manière d’un sceptre un bâton se terminant par un beau fleuron. Dans la marge, la légende l’identifie comme une « puella ... cantans laude »20. Pour revenir à A, on pourrait hasarder que cette baguette semble réservée aux troubadours venus en Italie du Nord et qui y étaient peut-être considérés commes des maitres ès trobar et, de là, considérer cette baguette come une férule. Cela pourrait être à mettre en lien avec la vida d’Uc, qui dit qu’il a été « ad escola a Monpeslier » et qu’« el apres tenssos e cansos e vers e sirventes e coblas... » [A34], tandis que celle d’Aimeric de Peguilhan dit seulement qu’il « apres tenssos e canssos e sirventes » [A30] et pourrait en partie rejoindre la première explication proposée par A. Rieger.

15. J.Anglade, « Miniatures des chansonniers provençaux »..., p. 596.

16. Dietmar Rieger, « Die Trobairitz in Italien. Zu den altprovenzalischen Dichterinnen », dans Cultura Neolatina, XXXI, 1971, p. 205–223, à la p. 596 ; cité par A.Rieger, « Image et imaginaire de la femme. . . », p. 391.

17. A.Rieger, « Image et imaginaire de la femme. . . », p. 391–392.

18. MartineJullian, « Images de Trobairitz », dansClio : Histoire, Femmes et Société, t. 25 (2007), p. 165–183, à la p. 177.

19. BnF lat. 7330, fol. 14.

20. M.Jullian,loc.cit..

6.1.2 Autour des troubadours...

Les éléments de décor sont encore plus rare que les accessoires. On peut les résumer aux représentations de châteaux et de tours, de bancs et de sièges, auxquels s’ajoute la prison de Bertolome Zorzi.

Castel

Le château apparaît principalement dans l’image lorsqu’il est mentionné dans lavida.

Présent uniquement dans IK, cet élément de décor se retrouve chez Raimon de Miraval [K58], « paubres cavalliers de Carcases que non avia mas la quarta part del castel de Miraval », tout comme chez Gui d’Ussel [IK22], qui était, avec ses frères et ses cousins, seigneur d’Ussel « qu’es un rics castels ». Mais le château peut également être représenté sans être explicitement mentionné dans la vida, et il sert alors à souligner le statut de castellans: il en va ainsi pour Guilhem de Saint Leidier [K41] et Gauceran de Saint Leidier [I51].

Carega

Le banc que les postilles désignent du terme decarega, et qui s’agrémente générale-ment d’un coussin, ne se rencontre guère que dans A21. Sa signification générale semble être celle d’un signe de dignité et de rang, qui va de pair avec la station assise et qui en renforce la signification22. En réalité, son association avec les maîtres et les chanoines semble faire de ce banc une chaire, celle du maître universitaire qui enseigne, souvent livre en main ou dans une position de discours, tandis que ses disciples sont assis par terre.

Son association avec les chanoines peut s’expliquer très vraisemblablement d’une façon similaire (on sait que le bénéfice canonical était une bonne manière de financer ses longues études), à moins que la chaire renvoie ici à celles du chœur de l’église cathédrale, dans lesquelles les chanoines s’assoient autour de l’évêque, et depuis lesquelles ils ont également pu jouer un rôle de maître. Son association avec les trobairitz pourrait renvoyer à la haute estime dans laquelle on tient celles-ci et ajouter à la position de domination, certes plus littéraire que réelle, dans laquelle l’amour courtois place la dame.

Dernier élément de décor, que l’on ne rencontre qu’une seule fois, la prison dans laquelle Bertolome Zorzi est figuré, et qui renvoie à sa vida qui nous conte comment il fut « en preison a Genoa » [A40]. L’exception que constitue la prison de Bertolome nous renvoie de manière générale au fonctionnement du décor et des accessoires dans les

21. On a toutefois, dans I, une représentation de chaise, qui est celle du Monge de Montaudon présidant la cour du Puy et qui renvoie ici aussi à une forme de prééminence hiérarchique [I46].

22. En effet, pour les personnages assis par terre ou sur la lettre, et qui sont généralement en train de courtiser ou de jouer aux dés, la position assise ne renvoie pas à une telle dignité.

CHAPITRE 6. DÉCRIRE ET ANALYSER L’IMAGE 114 miniatures. Ces éléments y sont en effet d’une grande rareté et apparaissent, à l’occasion, pour renforcer la caractérisation de certains personnages que l’on souhaite distinguer. Il est d’ailleurs assez révélateur d’une certaine préférence des compilateurs des manuscrits que le principal élément de décor deAsoit la chaire du maître, tandis queIK lui préfère le château des nobles puissants. Mais la rareté de ces éléments fait qu’ils ne peuvent suffire, à eux seuls, à construire le langage, le vocabulaire, dont se sert l’image pour caractériser les troubadours. En réalité, pour ce faire, chaque élément de l’image porte un sens et rien ne doit être laissé de côté. Le costume joue, en cela, un rôle central, en tant que premier signe visible du rang social et de la richesse de celui qui le porte. Gestes et positions sont également, dans l’iconographie médiévale, dotés d’un sens particulièrement fort.

6.2 Costume et équipement

Les vêtements sont parmi les choses qui permettent de distinguer du premier coup d’œil un homme d’un autre et leur rôle de qualificateur social est bien établi. Les diffé-rences de costume entre hommes et femmes, riches et pauvres, nobles, clercs et bourgeois codifient d’une manière on ne peut plus visible des différences qui tiennent à l’organisation de la société. Il paraît donc naturel qu’ils conservent ce rôle dans l’image et Meneghetti va jusqu’à dire que, dans les miniatures, « il compito di caratterizzare l’identità del perso-naggio « ritratto » è affidato essenzialmente all’abbigliamento, per i contemporanei la più facile chiave di lettura di ruoli sociali e di abitudini di vita »23. D’un point de vue plus codicologique, les variations dûes aux modes successives peuvent également fournir des éléments pour la datation des manuscrits, tant que l’on garde en tête que le miniaturiste a pu vouloir, ici et là, évoquer l’ancienneté d’un personnage en l’affublant de vêtements dépassés.

Décomposons tout d’abord, en suivant Camille Enlart, les éléments constitutifs du costume de l’époque :

D’une façon générale et pour les deux sexes, entre 1180 et 1340, les vête-ments sont la chemise, la cotte, le surcot ou un vêtement similaire , le manteau, la ceinture, les chausses et un bonnet, chapeau ou couvrechef, des souliers poin-tus (...) enfin, très souvent, des gants24

À l’exception des gants, on retrouve ces pièces de costume dans la majeure partie des miniatures, où les personnages sont habillés, comme on pourrait s’y attendre, d’après une mode qui correspond à ce que l’on sait de celle du XIIIesiècle. On n’y retrouve plus tout à

23. M.–L.Meneghetti,Il pubblico dei trovatori..., p. 330.

24. C. Enlart, Manuel d’archéologie française..., t. III, p. 39 ; on utilisera, ici et là, la somme relativement ancienne de Camille Enlart, dont un des intérêts, tout comme l’un des inconvénients, est qu’il se sert des chansonniersI et K parmi les sources de son étude.

fait les fantaisies, notamment dans le costume féminin, qui avaient pu caractériser le XIIe siècle, comme les manches extrêmement longues ou les vêtements très fendus découvrant en partie la chair. Parallèlement, costume féminin et costume masculin se distinguent de façon plus claire, notamment au travers d’une « tendance au raccourcissement »25 de ce dernier. Le costume devient également plus cintré, avec l’utilisation de boutons, de coutures, tandis que, dans le costume riche, la soie et les fourrures connaissent une grande faveur. Parmi celles–ci, « les peaux les plus recherchées sont (...) l’hermine blanche mouchetée de noir, le vair d’un gris pâle uni et le menu vair qui joue du contraste entre le dos gris et le ventre blanc de ce petit écureuil »26. La fourrure que l’on trouve dans nos miniatures est généralement du vair, représenté à la façon héraldique, c’est–à–dire par une alternance de petites pièces bleues et blanches semblables à des clochettes [K1,IK6 A3, A9], plus rarement, et pas du tout dans A, de l’hermine [K3, I17, I43]. La fourrure sert ici très nettement à différiencer le costume riche du costume pauvre.

Plus codifiées, encore, sont les différences de vêtements et de coiffure qui caractérisent les clercs, entérinant d’une façon visible et voulue par l’Église la séparation d’avec les laïcs, retranscrivant également la hiérarchie ecclésiastique entre prêtres et évèques notamment, et démontrant par excellence l’usage du vêtement, de l’apparence extérieure, pour rendre visible une différence de statut.

6.2.1 Cales, toques et chaperons

Penchons–nous tout d’abord, avant d’examiner les couvre–chefs que portent les trou-badours, sur ce qu’ils couvrent, c’est–à–dire leur chevelure. Si l’on examine les cheveux des troubadours, on ne trouve pas une très grande diversité dans les coupes. Ainsi, tandis que les clercs sont, bien entendu, tonsurés, les hommes laïcs portent tous, à quelques très rares exceptions près, les cheveux mi–longs et ondulés. Cette coupe correspond à ce que l’on sait de la mode de la fin du XIIIesiècle, ayant progressivement détrôné les cheveux longs et la barbe27. Toutefois, ces cheveux mi–longs peuvent être gênants et tomber dans les yeux, et c’est pourquoi l’on porte des chapels, des cales ou des coiffes. La barbe, quant à elle, est passée de mode depuis les années 1180 environ, et on ne la rencontre effectivement qu’assez occasionellement dans nos manuscrits, dans lesquels elle est liée, dans IK, aux moines non soucieux de leur apparence [IK46, IK29, IK80] et plus rarement aux clercs [I21, A10], ainsi qu’aux personnages dont on veut évoquer l’ancienneté et la vénérabilité,

25. Mireille Madou, Le costume civil, Turnhout, 1986 (Typologie des sources du moyen âge occi-dental Fasc. 42, B-I.C.2), p. 24–25.

26. FrançoisePiponier et PerrineMane,Se vêtir au Moyen Âge, Paris, 1995, p. 74.

27. Les cheveux longs étaient en effet à la mode depuis la toute fin du XIesiècle, mode contre laquelle les clercs ont souvent déchaîné leurs foudres, en revanche, « vers la fin du XIIe siècle (...) les hommes renoncent à la barbe, portent les cheveux jusqu’à la hauteur de l’oreille, ondulés en rouleau autour du cou », M. Madou,Le costume civil..., p. 25.

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