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Un vif débat s’anime à l’intérieur même du courant culturaliste. Qu’il s’agisse des travaux de Hall (1977), Hofstede (1980, 1983, 1991, 1994), Trompenaars (1993) et des chercheurs de GLOBE (House et al., 2004), ils s’inscrivent tous dans une perspective comparative et multiculturelle. Ces auteurs cherchent à déterminer les différences culturelles entre les sociétés et leurs impacts sur le fonctionnement des organisations. Ils identifient chacun à sa façon des dimensions culturelles faisant l’objet d’études transnationales tant dans les organisations qu’au niveau des sociétés. Ils semblent différer toutefois dans leurs approches. Hofstede et Trompenaars adoptent tous deux une approche quantitative et dimensionnelle leur permettant de classer les pays suivant des scores. Par contre, D’Iribarne a plutôt opté pour une approche ethnographique et socio-historique cherchant à comprendre la cohérence interne de chaque culture.

Le modèle de Trompenaars (1993) a été critiqué par Hofstede (1996). L’auteur avance que l’analyse des résultats empiriques de Trompenaars reste très limitée, en raison du fait que les données utilisées comportent de grandes lacunes. Cette base de données ne permet aucune analyse approfondie des dimensions culturelles identifiées. Il en résulte un manque de validité empirique, selon Hofstede (1996).

De même, en dépit des apports théoriques introduits par Hofstede, ses travaux font également l’objet de nombreuses critiques. Triandis (1982) avance que l’échantillon utilisé par Hofstede présente des lacunes en termes de représentativité, parce qu’il est constitué uniquement des employés de IBM. Selon l’auteur, cet échantillon ne peut pas représenter la culture nationale. Tout en reconnaissant que le personnel de IBM peut ne pas être un échantillon représentatif de la culture nationale, Hofstede (1994) a rétorqué en précisant que ce n’est pas la représentativité de l’échantillon qui est primordiale dans ces

types d’étude. Selon l’auteur, il suffit d’avoir une équivalence fonctionnelle. L’auteur avance que, mise à part la nationalité, les employés de IBM constituent une source d’information intéressante puisqu’ils ont le même employeur, la même culture organisationnelle et les emplois sont comparables. Selon l’auteur, seule la nationalité permet véritablement d’établir une différence culturelle au sein de ce groupe.

Pour Soussi (2006), le fait que les résultats obtenus par Hofstede (1980) proviennent uniquement des données quantitatives et très spécifiques à une multinationale opérant dans un seul secteur d’activité (informatique), la question de savoir si l’on peut projeter ces résultats sur d’autres milieux reste entière. En outre, Arcand (2006) avance que les résultats de Hofstede peuvent être valables uniquement pour la période pendant laquelle les données ont été collectées.

En effet, l’argument présenté par Arcand (2006) paraît peu convainquant dans la mesure où le taux de dépréciation d’une culture reste très faible. Il est donc très difficile d’enregistrer une grande variation des valeurs culturelles dans un laps de temps aussi court. Par contre, les critiques de Soussi (2006) portant sur l’inapplicabilité du modèle de Hofstede (1980) dans n’importe quel environnement culturel méritent des considérations. C’est d’ailleurs l’une de nos préoccupations dans le cadre de cette étude.

Le débat s’étend aussi sur la comparaison du modèle de Hofstede (1980, 1983) et celui proposé par les auteurs de GLOBE (House et al., 2004). Les deux modèles ont fourni des explications et des arguments différents quant aux instruments de mesure utilisés et l’originalité des dimensions culturelles identifiées. Selon Hofstede (2010), les chercheurs de GLOBE ne font qu’élargir les cinq dimensions culturelles de Hofstede (1980, 1983, 1991) en y ajoutant seulement trois autres facteurs. Ils ont maintenu, sans modification, les deux premières dimensions de Hofstede (1980, 1983): Distance hiérarchique et contrôle de l’incertitude. Ensuite, ils ont rebaptisé l’orientation à long terme en « orientation vers le futur ». Les chercheurs de GLOBE (House et al., 2004) n’acceptent pas l’approche anthropologique 26 utilisée par Hofstede (1980) pour mesurer l’individualisme /collectivisme. Ils préfèrent utiliser l’approche psychologique axée sur l’individu, ce qui leur a permis de décomposer cette dimension culturelle

en « collectivisme institutionnel et collectivisme in-groupe ». Ils ont remplacé également la masculinité/féminité par « l’affirmation de soi, l’orientation vers la performance, l’équité du genre et l’orientation humaine ». En expliquant leurs instruments de mesure, les auteurs de GLOBE (House et al., 2004) ont confirmé que l’outil utilisé devait leur permettre de vérifier empiriquement les trois premières dimensions de Hofstede (1980,

1983): le contrôle de l’incertitude, la distance hiérarchique et

l'individualisme/collectivisme. La décomposition de l’individualisme/collectivisme en « collectivisme institutionnel et collectivisme in-groupe » a été obtenue par l’analyse factorielle de plusieurs articles destinés à mesurer le collectivisme en général. Pour ce qui concerne la masculinité/féminité, House et al. (2004) trouvent que les items utilisés par Hofstede (1980, 1983) souffrent d’un manque de validité empirique. C’est pourquoi, ils ont développé leurs propres instruments de mesure.

Il faut souligner par ailleurs qu’aucune des neuf dimensions culturelles de GLOBE n’a un caractère binaire alors que trois des cinq dimensions culturelles de Hofstede (individualisme/collectivisme, masculinité/féminité, orientation court/long terme) sont plutôt binaires. Les travaux de Hofstede (1980, 1983, 1991) portent sur une seule firme multinationale opérant dans plusieurs pays à travers le monde alors que ceux de trompenaars et de GLOBE portent sur différentes organisations. Aussi, l’approche adoptée par GLOBE écarte la possibilité qu’une dimension culturelle soit totalement absente dans un pays. Les dimensions culturelles de GLOBE sont mesurées à partir des scores obtenus sur l’échelle de Likert variant de 1 et 7, alors que celles de Hofstede vont au-delà de l’échelle de likert en considérant des indices variant approximativement entre 0 et 100. Ce qui rend probable l’absence totale d’une dimension culturelle de Hofstede dans un pays.

Au niveau empirique, bien que les scores obtenus par Hofstede pour les dimensions culturelles étudiées soient des indices se situant approximativement27 entre 0 et 100 et que ceux de GLOBE se limitent à l’échelle de Likert varient de 1 à 7, nous pouvons

toutefois les comparer. Nous considérons ici deux dimensions culturelles qui sont communes aux deux auteurs, à savoir : la distance hiérarchique et le contrôle de l’incertitude. Pour Hofstede (1993 : 91), un pays montre une faible distance hiérarchique et un faible contrôle de l’incertitude à partir d’un indice inférieur à 53. Un indice supérieur à 53 peut être considéré comme élevé. S’agissant des auteurs de GLOBE, un score inférieur 4 peut être considéré comme faible. En revanche, un score supérieur ou égal à 4 peut être considéré comme élevé (Schlösser, 2006). En ce qui concerne la distance hiérarchique28, le tableau 1.9 montre, par exemple, des résultats divergents pour l’Autriche (DH Hofstede = 11, faible ; DH GLOBE = 5.00, élevé). Nous pouvons faire le même constat pour la Hongrie (DH Hofstede = 46, faible ; DH GLOBE = 5.57, élevé), Irlande (DH Hofstede = 28, faible ; DH GLOBE = 5.13, élevé), Israel (DH Hofstede = 13, faible ; DH GLOBE = 4.73, élevé), Italie (DH Hofstede = 50, faible ; DH GLOBE = 5.43, élevé). Par rapport au contrôle de l’incertitude, Hofstede (2001) et House et al. (2004) divergent encore une fois dans certains résultats. Nous pouvons remarquer aussi des résultats différents pour le Danemark (CI Hofstede = 23, faible ; CI GLOBE = 5.22, élevé), Hongrie (CI Hofstede = 82, élevé; CI GLOBE = 3.12, faible), la Grèce (CI Hofstede = 112, élevé; CI GLOBE = 3.39, faible), le Portugal (CI Hofstede = 104, élevé; CI GLOBE = 3.96, faible) et l’Espagne (CI Hofstede = 86, élevé; CI GLOBE = 3.95, faible). Le tableau 1.9 présente les résultats obtenus par Hofstede et GLOBE pour 21 pays.

Tableau 1.9. Scores obtenus par Hofstede et GLOBE pour 21 pays

Pays Hofstede, 2001 House et Javidan. 2001

Distance hiérarchique l’incertitude Contrôle de hiérarchique Distance l’incertitude Contrôle de

Autriche 11 70 5.00 5.16 Brésil 69 76 5.33 3.74 Costa Rica 35 86 4.74 3.84 Danemark 18 23 3.89 5.22 France 68 86 5.28 4.66 Grèce 60 112 5.35 3.39 Hongrie 46 82 5.57 3.12 Irlande 28 35 5.13 4.3 Israël 13 81 4.73 4.01

Italie 50 75 5.43 3.85 Mexique 81 82 5.07 4.18 Maroc 70 68 5.80 3.95 Pays-Bas 38 53 4.11 4.81 Portugal 63 104 5.44 3.96 Russie 93 95 5.52 2.88 Espagne 57 86 5.52 3.95 Suède 31 29 4.94 5.32 Suisse 34 58 5.05 5.37 Thaïlande 64 64 5.63 3.79 Etats-Unis 40 46 4.88 4.15 Venezuela 81 76 5.22 3.44

Sources : Hofstede (1983 : 52); Javidan et House (2001 : 294-302)

Les différences observées dans les résultats obtenus par Hofstede et GLOGE ne peuvent pas s’expliquer par les lieux d’application, dans la mesure où nous avons choisi des pays pour lesquels les deux recherches disposent des données. Elles ne peuvent pas être attribuées non plus à la taille des échantillons, puisqu’il s’agit de deux plus grandes recherches d’envergure internationale avec 116 000 employés et managers répartis dans 72 pays (Hofstede) et 17.000 managers appartenant à 951 organisations opérant dans 62 pays (GLOBE). Il n’y a aucune évidence non plus que ces différences pourraient être dues aux méthodes utilisées pour mesurer la culture nationale, car les deux recherches utilisent l’approche par questionnaire. Nous ne pouvons pas attribuer non plus ces différences au fait que Hofstede a utilisé une échelle de Likert allant de 1 à 5 et que GLOBE utilise de préférence une échelle de Likert allant de 1 à 7. La littérature ne montre pas que l’une ou l’autre de ces deux échelles de mesure pourrait conduire à des résultats différents. Il faudrait peut-être attribuer les différences observées dans les résultats au fait que les répondants de Hofstede appartiennent tous à une même organisation (IBM) opérant dans un seul secteur d’activité (électronique), alors que ceux de GLOBE appartiennent à différentes organisons et qui ne sont pas des multinationales. De plus, les organisations étudiées par les chercheurs de GLOBE évoluent dans trois secteurs (industries alimentaires, services financiers, services de télécommunications). Etant donné que la culture organisationnelle se construit entre autres à partir de son histoire et de ses opérations, il est tout à fait probable que les résultats soient influencés par le secteur d’activité dans lequel l’organisation évolue.

Enfin, l’approche culturaliste a fait l’objet de nombreux travaux empiriques et les résultats semblent même avoir permis de mieux appréhender le mode de fonctionnement des sociétés et des organisations. Cependant, l’approche culturaliste a fait l’objet de nombreuses critiques aussi, notamment par les auteurs du courant des études postcoloniales que nous allons présenter dans le paragraphe suivant.