• Aucun résultat trouvé

Tableau 12 : Les termes utilisés par les accoucheuses traditionnelles

6.4.5. Critères syntaxiques

Nous avons aussi insisté sur les règles de la combinatoire syntaxique en igbo dans la formation des termes. En nous basant sur ce critère, nous avons privilégié oke shụga n’ọbara (le taux élevé du sucre dans le sang) pour l’hyperglycémie parce que le terme représente mieux la façon dont les Igbo utilisent les mots et nous avons rejeté shụga ọbara dị elu (le sucre dans le sang est élevé). Un autre exemple est la proposition du docteur Onyeukwu pour néphrose glomérulose : ọrịa ime ahụ akụrụ zara aza (maladie de l’intérieur du corps du rein qui est gonflé). Sa proposition ne suit pas la syntaxe igbo. Nous avons donc proposé ọrịa akụrụ zara

aza (maladie du gonflement du rein).

Outres les critères évoqués ci-dessus, il existe aussi un certain nombre de considérations qui n’entrent pas dans les trois grandes catégories abordées ci-dessus mais dont nous avons aussi tenu compte.

Le premier de ces critères est l’appartenance à l’igbo standard. De façon générale, nous n’avons retenu un terme dialectal que s’il n’existe pas de terme en igbo standard (voir les commentaires sur anoxie cérébrale en Annexe G).

Ainsi, nous avons retenu le terme uzeni pour le spermatozoïde, terme issu du dialecte d’Uturu, parce qu’il n’existe pas de terme en igbo standard pour dire la même chose. Nous avons également écartéles termes argotiques sauf s’ils sont déjà consacrés par l’usage, ce qui nous a conduit à écarter ọtagari qui a été proposé pour la syphilis par une de nos personnes-ressources médecin traditionnel.

Le deuxième de ces critères de second ordre est celui de l’usage. Nous avons conservé les termes dont l’usage est bien établi dans les communautés igbo même si ceux-ci ne sont pas

entièrement satisfaisants. Par exemple, kansa pour le cancer aux dépens de awaeto (ce qui régénère après une opération) proposé par Ogbulogo (2005) et ce, en dépit du fait que nous croyons que le terme d’Ogbulogo est plus approprié.

Le troisième critère de second ordre, annexe du précédent, est celui de la validation des spécialistes. En cas de doute, nous avons toujours demandé l’avis des spécialistes et nous avons conservé les termes préférés par eux, par exemple, nwa nọ uhie pour siège.

6.5.IMPLANTATION DE NOUVEAUX TERMES

On le sait par de nombreux exemples, dans de nombreuses langues, les termes proposés dans un projet d’enrichissement terminologique ne sont jamais tous adoptés par l’usage, même lorsque leur création a été faite en respectant les critères de création terminologique évoqués ci-dessus. Leur adoption dépend d’un certain nombre de facteurs (Quirion, 2004). Parmi ces facteurs on peut citer : absence de concurrence avec d’autres termes, transparence, valeur mnémonique, brièveté du terme, conformité aux règles de la langue, construction par analogie, etc.

Même si toutes les conditions sont réunies, le travail de création de termes peut parfois paraître futile, surtout si un terme mal conçu a déjà pris racine. (Voir l’exemple pour l’équivalent de cancer cité plus haut).

La notion d’implantation est délicate. Elle admet des degrés, et varie selon les milieux. Le terminologue doit identifier les utilisateurs potentiels des termes qu’il propose et si possible travailler en étroite collaboration avec eux.

Le vocabulaire de la gynécologie-obstétrique en igbo intéresse avant tout le milieu médical, et accessoirement les femmes enceintes ainsi que leurs maris et les malades qui pourraient désormais « dire au médecin là où ils ont mal » (Diki-Kidiri, 2008 : 128). On peut donc dire

que la terminologie de la gynécologie-obstétrique en igbo concerne toute la société igbo et il faudrait faire tout ce qui est possible pour la voir s’implanter, en mobilisant toutes les ressources possibles. La diffusion doit être faite :

Non seulement dans le milieu professionnel du domaine, mais aussi dans tous les milieux susceptibles d’être touchés directement ou indirectement par la terminologie en question. […]. Tous les moyens doivent être exploités en fonction des publics que l’on veut atteindre. […]. Les outils de référence (lexiques, glossaires, dictionnaires), les outils pédagogiques (manuels, modes d’emploi, aide-mémoire), les articles de presse (revue, organe de liaison, etc.) qui seront produits dans le cadre de ce travail à l’intention de ce public cible seront autant de moyens d’implantation de la terminologie normalisée dans le milieu socio-sectoriel visé (Diki-Kidiri, 2007 : 21).

L’enseignement scolaire est également un autre moyen d’implantation terminologique car « les écoles constituent un créneau très important pour l’implantation terminologique, […] elles sont le creuset de la formation des citoyens de domaines, et le lieu d’apprentissage d’une grande diversité de disciplines et de spécialité » (Diki-Kidiri, 2008 : 129).

Diki-Kidiri préconise également l’enseignement de la langue générale aux adultes, car le développement des terminologies spécialisées dans une langue passe aussi par la promotion d’une meilleure maîtrise de la langue générale au sein de la société. Il faut donc développer des outils de didactique de la langue parallèlement au développement terminologique, « pour en assurer l’enseignement auprès de divers publics, dont les adultes » (Diki-Kidiri, 2007 : 22).

Si l’on veut atteindre rapidement le plus grand nombre de gens possible, dans un pays où la communication est assez limitée, c’est évidemment vers la radio et la télévision qu’il faut se tourner. L’utilisation des termes normalisés dans les émissions radiophoniques de toute nature […] est certainement le meilleur moyen de faire connaître ces termes au grand public et finalement de les installer dans la langue commune, ce qui consolidera fortement leur utilisation dans les discours de spécialité (Diki-Kidiri, 2008 : 129).

De tout ceci, on retient trois points essentiels au sujet de l’implantation terminologique. Premièrement, la radio et la télévision sont des canaux indispensables de l’implantation des termes. Deuxièmement, la diffusion de la terminologie normalisée peut très utilement se faire

au travers d’une formation professionnelle, par exemple lors d’une activité de formation des médecins ou d’autres professionnels. Et troisièmement, l’enseignement de la langue commune aux adultes peut aussi contribuer à la diffusion de nouveaux termes.

6.6.CONCLUSION

Dans ce chapitre, nous avons pu voir que l’observation des médecins traditionnels et orthodoxes, et des sages-femmes traditionnelles et orthodoxes sur leur lieu du travail pour la collecte de termes ainsi que les entretiens avec eux sont indispensables pour surmonter le problème du manque de documentation scientifique écrite en igbo. Le recours aux spécialistes orthodoxes s’avère important, pour valider les termes choisis.

Un premier regard sur les résultats de l’enquête permet de constater que la procédure donne de bons résultats dans la mesure où elle nous a permis de renseigner une bonne partie de la colonne igbo de notre lexique trilingue. Ainsi, nous avons collecté un total de 206 termes, dont 64 proposés par les médecins traditionnels, 66 par les accoucheuses traditionnelles, 55 par les médecins orthodoxes, alors que 21 ont été tirés des dictionnaires et glossaires igbo (voir annexe H), ce qui nous a laissé avec seulement 194 notions pour lesquelles il fallait proposer de nouveaux termes. Pour savoir si les termes recueillis sont vraiment utilisés, nous avons interrogé deux médecins orthodoxes, les docteurs Chigbu et Eke, et les deux personnes âgées, qui ont tous confirmé que tous les termes des deux listes étaient effectivement utilisés couramment, et nous avons donc retenu toutes les propositions. Nous notons, par ailleurs, que l’enquête nous a aussi permis de dégager des modèles qui ont beaucoup facilité la tâche de création de nouveaux termes.

Chapitre 7

La création terminologique en igbo :