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La maladie et la santé chez les Igbo

4.3.3. Comparaison des modes de dénominations des maladies

Une comparaison peut être faite entre les termes désignant les maladies en igbo et leurs équivalents dans d’autres langues. Nous prendrons l’efik, le tiv et le yoruba (langues nigérianes)21, plus l’anglais et le français. L’objectif de cet exercice sera de dégager et de comparer les modes de désignation des termes retenus afin de s’interroger dans la mesure du possible sur ce que ces choix peuvent révéler sur les locuteurs de ces langues.

Les éléments sur lesquels porte cette comparaison sont les manifestations de la maladie et les localisations de ces maladies. Une maladie peut être désignée de la même façon dans toutes les langues malgré les différences dans les croyances et dans les connaissances des locuteurs. Dans d’autres cas, en revanche, les termes désignant les maladies peuvent se fonder sur des analyses

21 Les informations sur les langues efik, tiv et le yoruba ont été fournies par des linguistes de ces langues : l’efik (M. Akpan), Tiv (M. Tsumba) et Yoruba (M. Alamu).

et conceptions différentes d’une langue à l’autre ; de telles différences pouvant être liées aux croyances et à l’état des connaissances des locuteurs des langues concernées.

Exemple de différence dans la conception de la cause des maladies : l’éléphantiasis. La médecine orthodoxe a montré que cette maladie est causée par des bactéries ou des microbes pathogènes. En pays tiv, on considère que l’éléphantiasis dit awo (les pieds lourds) peut être provoqué par la malnutrition ou par des maladies graves (tuberculose, diabète etc.). Pour les Yoruba l’éléphantiasis se dit jakute (les pieds malades) et est causé par des grigris. En igbo éléphantiasis se dit ụkwụ chakakpim, on l’a vu. Les Igbo pensent que la maladie est due à un mauvais sort jeté à la personne ou au fait d’avoir marché sur des grigris même si le recours à cette caractérisation a été délaissé au profit du recours au son censé être fait par le pied du malade lorsqu’il marche. En revanche, dans le cas de la désignation aussi bien en tiv qu’en yoruba, il est clair que la conception de la maladie influe sur la dénomination qui lui est réservée.

On voit, avec le cas de l’éléphantiasis que les dénominations de ces maladies dans ces langues reflètent les différences dans la conception des causes : des bactéries ou des microbes pathogènes, un mauvais sort ou avoir marché sur des grigris, la malnutrition ou des maladies graves.

Pour les Igbo, la blennorragie, maladie sexuellement transmissible causée par le gonocoque, est transmise seulement par les femmes. Il n’y a pas de cause connue. D’ailleurs toutes les maladies sexuellement transmissibles (on l’a déjà souligné) sont considérées comme transmises par les femmes, d’où le terme générique de orịa nwaànyị (maladie de la femme) ou nsi nwaànyị (poison venant de la femme). D’autres populations, les Tiv, les Efik et les Yoruba, également ignorantes de la cause réelle de cette maladie, pensent qu’elle est transmise pendant l’enfance à travers le lait maternel.

Une maladie peut être nommée par référence au symptôme par exemple isi ọwụwa (la tête qui casse) pour indiquer les maux de tête. Elle pourrait aussi être nommée pour refléter soit la croyance populaire soit l’état des connaissances au moment de la formation du terme.

La dénomination de la maladie utilise une ou plusieurs causes de la maladie, surtout si celles-ci sont observables. Par exemple, prolapsus rectal se dit nsụpụta isi eriri afọ ukwu en igbo : isi désigne la tête et isi eriri afọ ukwu désigne le bout du gros intestin. Nsụpụta isi eriri afọ ukwu signifie littéralement « sortie du rectum ».

Prenons un autre exemple, celui du terme désignant l’hypertension. S’appuyant sur des connaissances fragmentaires obtenues ici et là, on parle de ọbara mgbali elu en igbo, ce qui signifie littéralement « la montée du sang ». Ceci laisse penser que les Igbo pensent qu’il y a un accroissement anormal de l’alimentation en sang dans le système du malade alors qu’en réalité il s’agit de l’augmentation de la tension.

Nous proposons ci-après une comparaison des désignations pour dix maladies en anglais, français, efik, yoruba, igbo et tiv. Les maladies comparées sont : l’angine, les brûlures d’estomac, le mal de ventre, la jaunisse, le mal de gorge, la migraine, la maladie de Parkinson, les vertiges, la mauvaise haleine et le mal d’oreille. Ces maladies ont été choisies parce que ce sont des pathologies communes donc connues de tout le monde.

1. angine

Langue Désignation Traduction littérale Focalisation

Anglais tonsillitis irritation des amygdales localisation Français angine mal de gorge (inflammation de

l’isthme du gosier et du pharynx)22

localisation

Igbo mgbapịa nkọlọ écrasement de la gorge symptôme + localisation Efik nsip itͻng douleur de la gorge symptôme + localisation Yoruba bèlubèlù inflammation de la gorge symptôme + localisation

Tiv atundua shin ikyer

douleur de la gorge symptôme + localisation

Si les dénominations dans les quatre langues nigérianes s’appuient toutes sur le symptôme et la localisation du problème, on note toutefois une légère différence dans la manière de dénommer le symptôme. L’efik et le tiv font référence à la douleur alors que l’igbo s’en tient à la sensation d’écrasement que le patient est pourtant seul à pouvoir décrire ; le yoruba s’appuie sur le symptôme clinique en ce sens que le médecin traitant peut effectivement observer l’inflammation en question et ainsi confirmer la sensation du patient. On constate que dans toutes les langues la localisation est dans la gorge. Le tiv et l’efik ont la même motivation dans la dénomination : l’effet ou le résultat de la maladie. La douleur résulte effectivement de l’inflammation. L’anglais et le français utilisent aussi l’effet ou le résultat de la maladie.