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Un courant face à ses besoins sans réponse, la jurisprudence thérapeutique

2.3.1 Origines et définition du concept

La jurisprudence thérapeutique est un courant qui a pris naissance dans les années 90 et qui ciblait spécifiquement la santé mentale. C’est-à-dire qu’il était en lien avec les cas où les

95 J.-L. PELLETIER et C. SÉRILLION, préc., note 92, p. 69. 96 A. N. YOUNG, préc., note 6, p. 7.

dossiers judiciaires, où seulement une partie, comportaient des troubles de santé mentale. Toutefois, plusieurs défenseurs de cette approche prônent qu’elle devrait s’appliquer aussi en droit pénal pour les victimes. La jurisprudence thérapeutique est une approche qui tente d’identifier les besoins des victimes face au processus pénal : « What do victims of crime need and want from the criminal justice system? How can legal actors in the criminal justice process help improve their suffering and psychological damage? How can they avoid further exacerbating their psychological harm? ...These are the questions that therapeutic jurisprudence poses. »97 En effet, selon les tenants de ce courant, nous aurions tout à gagner de

tenter de réhabiliter les victimes autant que les criminels. L’un ne devrait pas empêcher l’autre, d’autant plus que les victimes en général seront vraisemblablement plus facilement réhabilitables que les criminels98.

Les études démontrent que le bien-être de la victime est intimement lié à sa participation dans le processus pénal99. Il n’y a pas que la finalité qui importe ; oui la sanction et la peine peuvent

être bénéfiques pour les victimes, mais le processus peut être tout aussi important, voir encore plus important en cas d’acquittement. Le pouvoir thérapeutique de la participation des victimes dans le processus pénal serait centré sur trois grands thèmes, à savoir le victim empowerment, la validation et le moving on.

Victim empowerment : On pourrait le traduire par la prise de contrôle des victimes. Comme déjà mentionné à de multiples reprises, elles ont l’impression de perdre ou d’avoir perdu le contrôle de leur vie. Participer au processus pénal leur donne l’impression de contrôler quelque chose, de reprendre un certain contrôle sur leur vie en ayant un rôle, une certaine impression d’emprise sur ce qui arrivera avec la personne qui a fait basculer leur vie.

97 Edna EREZ, Michael KILCHLING et Jo-Anne WEMMERS (dir.), Therapeutic Jurisprudence and Victim

Participation in Justice, International Perspectives, Durham, Carolina Academic Press, 2011.

98 Id., p. XI.

99 Edna EREZ, Peter R. IBARRA et Daniel M. DOWNS, « Victim Welfare and Participation Reforms in the

United States: A Therapeutic Jurisprudence Perspective », dans Edna EREZ, Michael KILCHLING et Jo- Anne WEMMERS (dir.), Therapeutic Jurisprudence and Victim Participation in Justice, International

Validation : On pourrait le traduire par le besoin d’être cru. Les victimes ont besoin de savoir qu’elles sont crues, que leur version des faits peut gagner. Elles ont besoin de savoir que ce qu’elles ont vécu n’est pas que dans leur imaginaire.

Moving on : On peut traduire ce terme par l’expression passer à autre chose. Les victimes ont besoin de passer à autre chose et lorsqu’elles sont mises au courant des étapes, des délais, des dates d’audience où elles peuvent assister, etc., il est plus facile pour elles de planifier la suite. Elles ne sont plus uniquement en attente d’un verdict final. Tout cela leur permet de se projeter pour l’avenir.

2.3.2 Son application au droit criminel

Les objectifs visés par notre système de justice pénale et les besoins des victimes peuvent paraître irréconciliables au premier coup d’œil, alors comment arrimer la jurisprudence thérapeutique avec notre justice criminelle ? Il est à noter que le conflit réside davantage entre l’application de la jurisprudence thérapeutique et l’application des lois qu’entre la jurisprudence thérapeutique et le droit. Appliquer la jurisprudence thérapeutique au droit criminel équivaut à réformer non pas le droit à proprement dit, mais la procédure, les fonctionnaires qui appliquent les lois. Il s’agit d’adapter l’application du droit et le fonctionnement du procès aux besoins des victimes.

Une autre avenue pour offrir plus de place aux victimes est la justice réparatrice. Cette forme de justice privilégie la participation active de la victime à des processus tels que la médiation et les cercles de sentences. Tout comme la jurisprudence thérapeutique, la justice réparatrice a pris de l’ampleur dans les années 90. En ce moment, cette approche est plus présente dans certaines provinces anglophones et dans les communautés amérindiennes. Le but de cette justice est vraiment de donner une voix, une place à la victime. Il s’agit de rendre le processus plus humain et plus proche de la souffrance, tant chez la victime que chez la communauté tout entière qui a subi le crime. Il s’agit d’une approche complètement différente que celle de notre processus judiciaire traditionnel.

« The aim of restorative justice is to give victims a bigger role; meet their need for information about the reasons for and the circumstances of the offence; allow them to be heard and to obtain tangible or symbolic compensation; and regain the independence and power that the crime took away from them. »100

Les recherches démontrent que les victimes qui ont participé à des formules de ce type sont plus satisfaites du système de justice, elles ont l’impression qu’il s’agit d’un système plus juste. Toutefois, la justice réparatrice a ses limites. Tout d’abord, il ne faut pas se leurrer : ce processus ne convient pas à toutes les victimes, plusieurs ne veulent pas du tout rencontrer leur agresseur (la personne qui a perpétré le crime). Pour certaines, ce serait même complètement inadéquat et non recommandé dans leur processus de guérison. Et même lorsque les victimes désirent prendre part à ce genre de justice, elles doivent être bien préparées, car il y a toute une question de bon « timing »101. Il s’agit assurément d’une voie à explorer en parallèle de

notre système actuel, mais il ne peut s’agir d’un système de rechange pour remplacer ce qui déjà est en place.

Ce qui ressort de ce survol de la victime, c’est qu’en droit, dans notre système judiciaire pénal, elle n’a pas de vraie place. Oui, elle a un rôle, mais seulement à certaines étapes. On lui permet de s’exprimer en partie, à certains moments du processus. Pourtant, dans le cadre du procès, l’étape où justice devrait être faite, la victime est un simple témoin. Elle n’a pas de rôle ni de statut particulier, puisqu’en tant que société, nous avons fait le choix de substituer l’État à la victime. Nous avons choisi, en tant que société, de promouvoir des valeurs qui nous sont chères, mais devons-nous pour autant renoncer à d’autres valeurs telle la protection des droits des victimes ? Pas forcément, mais il faut être prêts à évoluer et à s’adapter aux changements qui s’imposent.

100 Arlène GAUDREAULT, « The limits of restorative justice » dans Proceedings of the Symposium of the

École nationale de la magistrature, Paris, Édition Dalloz, 2005, p. 3.

3 Troisième section

Comparaison du rôle de la victime au cours des

différentes étapes du processus pénal

Maintenant que les besoins des victimes d’actes criminels ont été spécifiés, il ne reste qu’à voir comment s’articule la place de la victime dans le processus pénal. Quel rôle lui est-il conféré dans notre système contradictoire ? Pour ce faire, nous diviserons le processus en trois étapes et établirons quel est le rôle de la victime, quels droits elles possèdent et quel est le cadre juridique qui régit cette étape. Cette analyse sera faite à la suite de celle des droits de l’accusé. Afin de bien comprendre pourquoi l’accusé bénéficie de droits qui, pour certains, entrent en contradiction avec ceux de la victime, il est essentiel de bien définir notre système et de comprendre pourquoi il est articulé autour de l’accusé et non de la victime. Nous aborderons donc l’enquête, le procès et, enfin, la détermination de la peine; et tout cela, tant du point de vue des droits de l’accusé et de leur raison d’être, que de celui de la victime. De plus, en comparant ces trois étapes, nous pourrons voir celle qui laisse le plus de place à la victime. En analysant comment cela s’articule, il sera possible d’établir quelles améliorations peuvent être apportées afin d’avoir une certaine cohérence dans tout le processus.