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La victime ailleurs : ce qui est fait dans les autres systèmes de droit pénal de common

Le système de droit québécois, dans son ensemble, est souvent comparé au système de droit français. C’est un réflexe bien normal, puisque tout notre droit civil provient du droit français. Toutefois, il existe tout un monde entre notre système de droit pénal et le leur, puisqu’ils ont des origines complètement différentes. Par conséquent, les comparaisons entre la place accordée aux victimes en droit français et en droit québécois, bien qu’intéressantes, ne peuvent mener à des solutions concrètement applicables. Les tentatives de solutions recherchées devraient l’être dans des systèmes plus similaires au nôtre. Tenter de concilier le rôle de la victime en France et au Québec serait un changement complet, une révolution de notre système. Le tout repose sur les prémisses de ces deux systèmes, c’est-à-dire le système inquisitoire à l’égard des systèmes accusatoires206. La grande différence réside dans le fait qu’en

droit canadien, la victime ne peut être partie au litige ; le débat n’a lieu uniquement qu’entre l’État et l’accusé. C’est tout le contraire en droit français. La victime peut se constituer partie civile lors de la poursuite pénale. Il en découle donc plusieurs droits et obligations de la part de l’État207. Tel que mentionné à plusieurs reprises, il n’est pas question de renier notre passé et

206 Pierre BELIVEAU et Jean PRADEL, La justice pénale dans les droits canadien et français : étude

comparée d’un système inquisitoire et d’un système accusatoire, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon

Blais, 2007.

207 « À cet égard, mentionnons que les policiers, au cours de l’enquête, doivent informer cette dernière

de son droit d’obtenir réparation du préjudice subi, de se constituer partie civile si l’action publique est mise en mouvement par le parquet, d’être assistée d’un avocat si elle souhaite se porter partie civile, d’être assistée par une personne morale d’aide aux victimes et enfin, de saisir, le cas échéant,

nos principes de droit fondamentaux. Les résultats, si on ne faisait qu’incorporer cette section du modèle français au nôtre, ne seraient sans doute pas concluants. Il est impossible d’importer seulement certains éléments d’un système si distinct du nôtre. Il n’y aurait aucune cohésion, puisque les fondements sont aux antipodes. C’est pourquoi ce n’est pas dans un système civiliste, mais plutôt de common law, que nous allons chercher des exemples de solution concrets. La problématique de la place de la victime en droit pénal touche tous les systèmes de droit. Il s’agit en effet d’une préoccupation mondiale. Dans les dernières années, les systèmes de droit de common law, comme tous les autres d’ailleurs, ont essayé de faire des avancées par rapport au traitement de la victime.208 Par conséquent, attardons-nous à deux systèmes qui

nous ressemblent et qui ont mis de l’avant des solutions qui respectent nos convictions et nos principes fondamentaux, à savoir le système américain et le système britannique.

4.1.1 La façon dont la victime est perçue aux États-Unis

Une des grandes différences, sinon la plus grande, entre la victime québécoise et la victime américaine dans le cadre du système judiciaire, est incontestablement la façon dont elle est perçue et traitée. Aux États-Unis, bien qu’il s’agisse aussi d’un système de common law où la présomption d’innocence est une pierre angulaire du système, il n’en demeure pas moins que la perception de la victime est bien différente. En effet, la victime du crime semble véritablement être celle qui le subit ou en assume les conséquences de manière assez directe, plus que la société dans son ensemble. Qu’est-ce qui engendre ces différences et quelles répercussions cela peut-il avoir dans le système de justice américain? Cela repose en grande partie sur l’approche la commission d’indemnisation des victimes s’il s’agit de certaines infractions aux personnes et au bien ». Id., p. 438.

208 « The development of victim-related policies and the enactment of victim’s rights has become a

standard feature of common law jurisdictions. Although most countries do not provide victims with legally enforceable rights in court, the term right sis frequently employed by politicians, academics, and the media to designate an array of different expectations or entitlements that victims should expect from the justice system » Marie MANIKIS, « A Comparative Overview of Victims’ Rights, Enforcement Mechanisms, and Redress in England and Wales and the American Federal Jurisdiction », dans Susan McDonald (dir.), Victims of Crime Research Digest, 6e éd., Ottawa, Ministère

de la Justice, 2013, p. 36, en ligne : < http://www.justice.gc.ca/eng/rp-pr/cj-jp/victim/rd6-rr6/rd6-

par rapport aux victimes dans le système américain fédéral, car elle est beaucoup plus orientée sur la participation de ces dernières dans le processus209. La place qui a été faite à la victime aux

États-Unis est une réponse du gouvernement aux pressions de certains groupes sociopolitiques210. Cela se traduit entre autres par l’adoption, en 2004, de la Crime Victim’s

Rights Act 211.

« It added that « the CRVA clearly meant to make victims full participants » in the criminal justice process and thus were given the right to address the court in sentencing hearing. Moreover, it was stated that under the CRVA, « victims now have an indefeasible right to speak similar to that of the defendant in every public proceeding including those that involve release, plea, sentencing or any parole proceeding. » »212

C’est cette volonté de faire participer la victime au débat qui change tout213. Un des grands

acteurs du changement et de l’innovation aux États-Unis a sans doute été le lobby des victimes. Aux États-Unis, les lobbys sont très puissants et engagés. Celui des victimes a donc milité en faveur d’un redressement de la situation et d’un traitement plus approprié de la victime.

La Crime Victim’s Rights Act de 2004 répertorie plusieurs droits, dont ceux-ci214 :

 Le droit de l’accusé d’être protégé raisonnablement;

 Le droit d’être raisonnablement informé des procédures à la cour et pour la libération sur parole;

 Le droit de ne pas être exclu des procédures;

209 Id., p.2

210 Marie MANIKIS, « Imagining the Future of Victims’ Rights in Canada : A Comparative Perspective »,

(2015) 13 Ohio State Journal of Criminal Law 163, 164.

211 Crime Victim’s Rights Act, 18 U.S.C. § 3771 (2004). 212 Marie MANIKIS, préc., note 193, à la page 38.

213 « One of the main features of this statute - novel within common law jurisdictions - is the ability of

victims to have standing in criminal proceedings to assert their rights and hire lawyers to represent them (…) ». Marie MANIKIS, préc., note 193, à la page 38.

213 Crime Victim’s Rights Act, préc., note 194. 214 Id., a)

 Le droit d’être raisonnablement entendu lors des audiences publiques dans les cours de districts comprenant la remise en liberté, les plaidoyers, la sentence ou les libérations conditionnelles.

Il faut aussi mentionner que dans le système américain, il existe une possibilité pour les victimes de recourir aux tribunaux de droit criminel de district pour respecter leurs droits et il leur est même possible de déposer un recours en mandamus devant la cour d’appel. La plupart de ces droits, comme c’est la majorité des cas en matière de droit des victimes, sont vagues et partiellement définis ou délimités. Ce n’est pas pour autant qu’ils ne sont pas appliqués. Avec le temps, les cours les ont circonscrits comme c’est le cas du droit d’être informé des dates d’audience. Dans un arrêt, la cour a déterminé que c’était au tribunal de s’assurer que les victimes avaient bel et bien été informées de la tenue de l’audience215. Cela ne signifie pas

néanmoins que les victimes peuvent apposer leur veto sur la tenue de l’audience, mais que cela est réellement un droit à l’information afin de s’assurer qu’elles puissent y participer si elles le désirent216.

Un autre aspect important est le traitement différent que la victime peut obtenir selon l’État d’où elle vient. En effet, le droit criminel aux États-Unis est aussi à deux paliers. Il y a la juridiction fédérale et les juridictions d’État. La professeure Marie Manikis a remarqué que les droits des victimes étaient plus enclins à être respectés dans les États qui protégeaient légalement ces droits : « An empirical comparative study of some of these mechanisms found that generally, victims were more likely to be provided their rights in the states with strong statutory and state constitutional protection of victims’ rights then the ones where no such protection is provided. »217

215 United States v. Turner, 367 F. Supp. 2d 319 (E.D.N.Y. 2005)

216 United States v. BP Products N.A. Inc., 610 F. Supp. 2d 655 (S.D. Tex. 2009)

4.1.2 Le droit britannique et ses avancées

Le droit criminel britannique a fait une place considérable aux victimes avec, entre autres, l’adoption du Code of Practice for Victims of Crime in England and Wales218. Bien qu’il s’agisse

principalement de « service right », on perçoit un véritable effort d’inclure la victime dans le processus, du moins de ne pas la laisser de côté. Malgré les difficultés qui peuvent paraître dans un système contradictoire, ils ont mis en place des instruments et ont conscientisé tout l’appareil afin de faire changer les choses. Des policiers aux procureurs de la Couronne, tout le monde à un rôle à jouer pour y parvenir219.

Les procureurs doivent tenir compte du point de vue de la victime : « prosecutors should take into account any view express by victim regarding the impact that the offence has had »220. Ils

ont des devoirs d’information envers les victimes qui s’étendent bien au-delà de ce qui se fait au Canada. Ils doivent, entre autres, rendre compte aux victimes de certaines décisions procédurales221. Cela mène même à des droits procéduraux pour les victimes, la cour d’appel

ayant reconnu le droit d’une victime de demander la révision d’une décision de la Couronne de ne pas poursuivre222 : « The system in England and Wales has taken one step further and has

recently recognized that victims can also play crucial role in ensuring that prosecutorial decision are not only explained but are also revised in case of error. »223

Le code de pratique qu’a instauré la Grande-Bretagne possède aussi un mécanisme pour s’assurer du respect des droits des victimes. Il s’agit d’un aspect essentiel. Sans cette procédure, même si les victimes ont une panoplie de droits et de documents dans lesquels ils sont mentionnés, cela restera un bel énoncé de principes. Les victimes ont maintenant une

218 Code of Practice for Victims of Crime in England and Wales (London : Home Office, 2005) 219 M. Manikis, préc., note 193.

220 Code for the Crown Prosecutors, UK, 1985, art 4.18 221 M.MANIKIS, préc., note 193, 176.

222 R. v. Killick, (2011) EWCA (Crim) 1608 (U.K.) 223 M.MANIKIS, préc., note 193, 177.

procédure pour adresser leurs plaintes concernant le non-respect de leurs droits et cela peut même aller jusqu’à l’Ombudsman parlementaire224.

Les exemples du droit américain et britannique démontrent qu’il est possible de concilier les systèmes de common law avec une plus grande place pour la victime de crime. Ces systèmes ne sont pas parfaits. Ils ont des limites225, et vont parfois même trop loin226. N’en demeure pas

moins qu’ils ont fait évoluer le rôle de la victime et lui ont reconnu une véritable place. Nous devrions nous inspirer de leurs points forts pour instaurer des solutions en place et bien les encadrer.