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3.1 L’enquête

3.1.4 La victime lors de l’enquête

Le rôle de la victime lors de l’enquête se limite à collaborer avec les policiers en leur fournissant une déclaration. Il n’en demeure pas moins que depuis l’adoption de la Charte des droits des

victimes130, elle possède désormais certains droits.

Normalement, la dénonciation est en fait l’étape qui amorce l’enquête. Lorsque la victime dénonce un crime qu’elle a subit, elle devra déposer une déclaration. Les informations que la victime fournira aux policiers serviront à orienter leur travail au cours de l’enquête. Toutefois, outre son obligation de collaborer, la victime n’a pas de rôle à proprement dit au cours de l’enquête et les policiers n’ont aucune obligation envers elle tant qu’elle ne manifeste pas le désir d’être informée concernant l’avancement de l’enquête131. Cette disposition est très

récente et n’est pas encore très balisée. Quelle est la nature des informations que donneront les policiers aux victimes ? Jusqu’où va cette obligation? À qui la victime doit-elle se référer pour formuler sa demande ? Quel recours la victime possède-t-elle si elle n’obtient pas les informations demandées ? Le tout est encore trop récent pour que nous puissions nous prononcer. Il semble néanmoins que la nature des informations et la façon de procéder soient laissées à l’arbitraire des policiers. Il n’y a pas pour l’instant de balises accessibles publiquement sur cette nouvelle disposition. Dès lors, une certaine forme d’injustice peut naître entre les

130 Charte canadienne des droits des victimes, préc., note 1.

131 « Toute victime a, sur demande, le droit d’obtenir des renseignements en ce qui concerne : a) l’état

d’avancement et l’issue de l’enquête relative à l’infraction; … ». Charte canadienne des droits des

victimes. En effet, qui est garant des informations reçues par une victime par rapport à une autre ? Comment ces informations seront-elles divulguées, jusqu’où le policier ira-t-il ? La victime peut-elle avoir recours aux services d’un avocat lorsqu’elle doit rencontrer les policiers pour collaborer à l’enquête ? Quelles ressources sont mises à sa disposition ? Bien sûr la victime n’est pas accusée, mais d’une certaine façon elle se retrouve seule aussi face à l’État qui prend en charge un drame qu’elle a vécu. L’État n’est pas contre elle, mais pas nécessairement derrière elle non plus. Voilà tant de questions qui devraient être régies par un cadre législatif afin d’assurer une uniformité de traitement. Néanmoins, il faut voir ici une volonté du gouvernement de coucher par écrit et de faire de l’obligation d’information pour les victimes, une réelle exigence, voir une obligation quasi constitutionnelle132.

Suivant la dénonciation et le dépôt de sa déclaration, la victime est confrontée à une autre incompréhension, soit celle des pouvoirs des policiers en cours d’enquête. L’étendue de leurs pouvoirs, comme nous venons de le voir, est régie par un cadre législatif assez rigoureux qui provient de plusieurs sources. Par conséquent, il est compréhensible qu’il ne soit pas accessible à tous. La victime et le système de justice dans son ensemble auraient intérêt à ce que la victime comprenne les limites des pouvoirs des policiers ainsi que les raisons qui sous-tendent ces limitations. Un grand travail d’information sur le processus d’enquête devrait être fait. Lorsque mal informée et laissée dans le néant de l’incompréhension, la victime peut se sentir exclue. Il peut en résulter un sentiment d’injustice et de mise à l’écart par rapport à ce qu’elle considère souvent comme « son » dossier. Enfin, cette incompréhension et ce sentiment d’injustice peuvent se traduire par l’impression d’un déséquilibre entre la victime et l’accusé, du moins dans le traitement qu’il leur est conféré.

Vient ensuite son droit à la protection. Ce dernier se divise en plusieurs volets. Tout d’abord, celui qui nous interpelle immédiatement est le droit à la protection de son identité. En effet :

132 CASAVANT L., C. MORRIS ET J. NICOL, Résumé législatif du projet de loi C-32, 23 juillet 2014,

« 12 Toute victime, qu’elle soit un plaignant ou un témoin dans une procédure relative à l’infraction, a le droit de demander à ce que son identité soit protégée. »133.

Encore une fois, il s’agit d’une nouvelle disposition et sa mise en œuvre pratique n’a pas encore été prouvée. Toutefois, d’emblée, nous voyons ici une situation où les droits des victimes pourraient être confrontés directement à ceux des suspects. En effet, le suspect a le droit, tel que détaillé plus haut, d’être informé dans les plus brefs délais du motif de son arrestation. Nous avons aussi établi que ce ne sont pas les termes utilisés, mais la compréhension du suspect de la situation qui importe. Par conséquent, il risque d’y avoir des situations où une personne sera suspectée d’un crime sur une autre personne et nous voyons mal, dans ces circonstances, comment la victime pourrait se prévaloir de son droit à la protection de l’identité au stade de l’enquête. Seul le temps nous dira comment ce droit s’articulera.

Pour ce qui est du volet de la sécurité de sa personne, toute victime a le droit à ce que les autorités du système pénal la prennent en considération134. Cette disposition provenant

également de la Charte des droits des victimes est aussi récente et, donc, son étendue est difficilement déterminable en ce moment. Toutefois, à la simple lecture de cet article, nous pouvons nous questionner sur ce que sont les autorités du système pénal en question et sur la portée du « prendre en considération ». Les autorités vont sans doute dépendre de l’étape où le processus est rendu : « On pourrait supposer que la demande sera faite à la police ou aux procureurs avant que l’affaire ne se rende en cour…Le projet de loi ne précise pas les formes de protection de l’identité à envisager. »135. À cet effet, la Directive VIC-1 du DPCP énonce

que : « tout au long des procédures, le procureur considère, dans les décisions qu’il prend, le droit de la victime et du témoin à la sécurité et à la vie privée »136. Ce qui implique entre autre

l’encadrement de la remise en liberté pendant les procédures ainsi que les mesures pour ne pas

133 Charte canadienne des droits des victimes, préc., note 1. 134 Id., art. 9.

135 CASAVANT L., C. MORRIS ET J. NICOL, Résumé législatif du projet de loi C-32, 23 juillet 2014,

publication #42-2-2C32-F, p.8

divulguer l’identité de la victime. De plus ici on ne parle pas seulement de victimes de crime à caractère sexuel mais des victimes à l’état vulnérable137.

Malgré ces avancées, nous notons, en général, l’absence d’un véritable cadre législatif entourant le traitement des victimes en cours d’enquête. Hormis qu’elle ait l’obligation de collaborer et de nouveaux droits énoncés en cours d’enquête, rien n’est circonscrit. Peut-être qu’avec le temps les juges seront appelés à se pencher sur ces droits. Néanmoins, comme ils n’ont pas de force exécutoire, il nous paraît peu réaliste que dans le cadre actuel leur exécution puisse être forcée. Toutefois on peut voir une volonté réelle de remédier à un certain déséquilibre, il ne reste que la mise en œuvre à bien définir. Une autre preuve aussi de cette intention résulte encore dans les Directives du DPCP, particulièrement le devoir d’information lorsque la plainte ne peut être retenue. En effet, le 25 janvier 2019, le Directeur des poursuites pénales révisait certaines de ses directives dont celle sur la décision d’intenter ou non une procédure138. Les procureurs doivent d’abord tenir compte des caractéristiques personnelles

des victimes dont leur vulnérabilité, dans leur décision d’intenter ou non une procédure. De plus, ils peuvent rencontrer la victime avant de prendre leur décision si les circonstances le justifient et enfin, dans certains cas les procureurs devront rencontrer les victimes, ou leur exposer par téléphone, les motifs du refus d’intenter une procédure.139