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3.2 Le procès

3.2.6 La victime lors du procès

Nous venons de voir les droits des accusés et leur raison d’être pendant le procès. Nous allons les reprendre brièvement un à la fois pour voir le pendant de chacun pour la victime.

Nous avons abordé en premier le droit au silence de l’accusé. À l’autre spectre, nous avons la victime qui ne comprend pas nécessairement les raisons soutenant cette garantie. Elle peut dès lors y voir une certaine injustice en ce que l’accusé n’a pas à venir s’expliquer. Ce qui contribue à augmenter ce sentiment d’injustice pour les victimes, c’est qu’elles, contrairement aux accusés, doivent témoigner. Elles sont un instrument afin que le procureur de l’État rencontre son fardeau de preuve. Elles y sont contraintes lorsqu’elles sont assignées par ce dernier. Plusieurs victimes ne comprennent pas pourquoi elles vont devoir témoigner et raconter encore une fois leur histoire, qui peut être très douloureuse, quand l’accusé, lui, peut se murer dans le silence. Elles devront aussi subir le contre-interrogatoire ou leur crédibilité pourra être attaquée. Si leur version des faits n’est pas retenue ou ne permet pas une déclaration de culpabilité, elles pourront avoir l’impression qu’on ne les croit pas. Pour certaines, ce sera dévastateur. Elles

auront la perception que leur version n’est pas crédible et que le système de justice les prend pour des menteuses. Bien que notre système soit fait ainsi et qu’il le soit pour des raisons louables, le sentiment d’injustice des victimes est compréhensible lorsque l’on comprend leur point de vue159, d’où l’importance de remédier à la situation et d’essayer de modifier cette

perception face à un des droits les plus fondamentaux. Bien sûr, certaines mesures ont été mises en place pour faciliter le témoignage de certaines victimes, mais elles sont très limitées. Il s’agit des aménagements prévus au Code criminel concernant le témoignage à l’extérieur de la salle, derrière un écran, à l’aide d’une personne de confiance, ou encore la possibilité de demander l’exclusion du public160. D’ailleurs, l’article 13 de la Charte des droits des victimes

prévoit que toute victime qui dit témoigner peut demander des mesures de facilitation161.

Comme nous l’avons brièvement abordé dans la première section la plupart de ces mesures ont été développées en lien avec les victimes d’actes criminels à caractère sexuel ou pour les mineurs. Il n’en demeure pas moins que dans ces cas particuliers les tribunaux sont allés encore plus loin. En effet, la Cour suprême a limité la portée du contre interrogatoire de la victime d’actes criminel à caractère sexuel162. De plus, encore une fois les Directives émises par le DPCP

tiennent compte des difficultés des victimes, dans la mesure du possible le procureur devrait recourir à une preuve documentaire et s’assurer d’informer la victime sur toutes les mesures de

159 « Trial procedures are designed to protect the rights of the accused, whose liberty is sought to be

taken away. Little attention is given to the rights and the interests of the victim, with the result that victims often experience the criminal process as unfair, disempowering, disrespectful, and an affront to their dignity». Bruce J. WINICK, « Therapeutic Jurisprudence and Victims of Crime», dans Edna EREZ, Michael KILCHLING et Jo-Anne WEMMERS (dir.), Therapeutic Jurisprudence and Victim

Participation in Justice, International Perspectives, Durham, Carolina Academic Press, 2011, p. 3, à la

p. 7.

160 Art. 486-486.2 C.cr.

161 Charte canadienne des droits des victimes, préc., note 1, art. 13. 162 R c. Seaboyer ;R. c. Gayme, [1991] 2 RCS 577

facilitation du témoignage163. Ce qui est en conformité avec la mise en place de la Charte

canadienne des droits des victimes164.

Puis, nous avons abordé la présomption d’innocence. Cet aspect de notre système de justice peut sembler assez simple à comprendre. Toutefois, pour une victime qui souffre, cela peut paraître totalement injuste. Pourquoi l’État devrait faire tout le travail ? Pourquoi, lorsque tout tend à démontrer que l’accusé est coupable, un simple élément soulevant un doute raisonnable dans l’esprit du juge peut faire tout basculer ? La présomption d’innocence est essentielle dans une société de droit et le dicton « Mieux vaut 10 coupables en liberté qu’un innocent en prison » a toujours sa place. Néanmoins, du point de vue de la victime, cela peut être difficilement concevable puisque cela signifie que la justice, à son sens à elle, ne sera peut-être jamais faite. Le droit à la présomption d’innocence vient directement heurter sa conviction que l’accusé est coupable et, encore une fois, fait appel à la version qui sera retenue. Il peut être inconcevable pour une victime que sa version des faits et sa conception de ce qui s’est passé, sa vérité, ne soient pas la vérité recherchée par le tribunal. Ici, la victime n’a pas d’autre moment que lorsqu’elle témoigne pour rendre compte de ce qu’elle a vécu. Elle ne peut pas contre- interroger un témoin ni questionner le déroulement de l’instance, puisque c’est l’État contre l’accusé. En fait, elle n’a aucun droit ni pouvoir face à la présomption d’innocence de l’accusé. Elle n’a aucun statut qui l’immunise face à ce qui se produit, puisque lors du procès ce ne sont pas ses droits qui sont attaqués, mais ceux de l’accusé.

Maintenant, en ce qui concerne le droit d’être maintenu en liberté, il s’agit d’un droit difficile à comprendre du point de vue des victimes. Cette incompréhension est souvent le reflet de la peur et du traumatisme des victimes. Elles ont besoin de se sentir en sécurité et elles y ont

163 Directive TEM 7, Assignation des témoins et moyens de preuve alternatifs, révisée 2019-01-25

164 CASAVANT L., C. MORRIS ET J. NICOL, Résumé législatif du projet de loi C-32, 23 juillet 2014,

droit165. Pour elles, cela se traduit forcément par l’incarcération de l’agresseur. Encore une fois,

il sera facile pour certains de prétendre qu’il est aberrant de préférer les droits de l’accusé à ceux de la victime. Le droit à la liberté de l’accusé sera automatiquement opposé à celui de la sécurité de la victime. Il faut alors revenir aux fondements de notre système de droit où l’incarcération ne doit être utilisée qu’en cas de nécessité. Il faut aussi se pencher sur les mécanismes qui entourent la remise en liberté pour assurer la protection de la société, incluant la victime. Enfin, il faut remettre en jeu les bons acteurs : le droit à la liberté de l’accusé est pour le protéger contre l’État. Ce sera à ce dernier de s’assurer que l’accusé remis en liberté ne sera pas une menace pour la victime ni pour le reste de la société. De plus comme mentionné dans la section sur l’enquête, tout au long des procédures dans leur décision, par conséquent dans ce qu’ils vont recommander au juge, les procureurs devront s’assurer de considérer la sécurité de la victime166.

Le droit d’être représenté par avocat soulève aussi beaucoup d’interrogations chez les victimes. Plusieurs d’entre elles croient à tort que le procureur de la Couronne est leur avocat. Qu’il est là pour les représenter et leur rendre justice. La complexité de notre système leur échappe parfois. Il est difficile pour elles de comprendre que l’accusé est représenté, tout comme l’État, mais pas elles. Elles ne comprennent pas pourquoi elles ne sont pas parties et ne peuvent prendre part au procès. Cette situation ne fait que renforcer le sentiment d’injustice, encore plus lorsqu’elles réalisent que les intérêts de l’État ne sont pas nécessairement compatibles avec les leurs. Qui va donc les représenter et prendre leur défense ? Leur place et leur rôle leur échappent, ce qui est normal puisqu’elles n’en ont pas. Nous allons d’ailleurs explorer la possibilité pour les victimes d’être représentées par avocat dans la dernière section de ce mémoire.

165 Loi constitutionnelle de 1982, préc., note 43, art. 7 ; Charte canadienne des droits des victimes, préc.,

note 1.

Enfin, pour ce qui est du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, tel que mentionné précédemment, nous croyons qu’il s’agit d’un droit qui bénéfice à tous et participe à une meilleure justice.

Parfois, bien que les droits des accusés puissent paraître s’opposer à ceux des victimes, il ne devrait pas en être ainsi. Ils se sont développés face à l’État pour limiter son arbitraire et assurer un juste équilibre. En même temps, il ne faut pas perdre de vue que la victime aussi constitue un acteur du litige, sans être opposée ni à l’accusé ni à l’État. Elle a subi, elle subit et elle subira. Ce qui semble poser problème à ce stade-ci, comparativement à celui de l’enquête, n’est pas tant le manque de cadre législatif, mais la définition d’un rôle, d’une place ou d’un statut pour la victime. Nous ne croyons pas que la victime doit être exclue et reléguée au seul rôle de témoin. Bien que, légalement, dans notre système contradictoire elle ne soit pas une partie, il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas non plus une simple fiction juridique. Elle existe et elle a droit de prendre part au processus d’une instance qui la concerne autant que l’État et l’accusé. Elle est une personne au sens de la constitution et a des droits protégés, ce que nous approfondirons ultérieurement. Mais tout d’abord, abordons la dernière étape, soit celle de la sentence lorsque l’accusé a été trouvé coupable.