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La Constitution conservatrice de 1814

LE CONTEXTE INSTITUTIONNEL ET HISTORIQUE

Chapitre 1 : Les définitions générales et le cadre institutionnel

A. La Constitution conservatrice de 1814

156. En 1813, la situation politique n’était guère favorable à l’élaboration d’une nouvelle charte constitutionnelle. Le canton de Genève était soumis aux exigences de ses libérateurs autrichiens, aux menaces d’une contre-offensive française, aux vœux du peuple genevois ainsi qu’à la prudence des cantons helvétiques252. Le « Conseil provisoire » et une « Commission de la Constitu-tion » ont cependant rapidement réussi à élaborer une ConstituConstitu-tion253. Cette œuvre fut profondément marquée par les idées de Joseph Des Arts, syndic de l’ancienne République254 et adepte du droit divin des gouvernants255. Les

249 Voir ROLG 1814-1815, texte publié avant la page 1 (tête) ; Ruchon (1953 I) p. 19 ss.

250 Voir le Protocole du Congrès de Vienne (territoire cédé au Canton de Genève) du 29 mars 1815 (RS/GE A 1 05 ; ROLG 1814-1815 p.267 et p. 287) et le Traité de Turin entre Sa Majesté le roi de Sardaigne, la Confédération suisse et le Canton de Genève du 16 mars 1816 (RS/GE A 1 07 ; ROLG 1816 p. 507 ss). A ce propos, voir Irène Herrmann, « De la frontière signifiée à la frontière signi-fiante – Genève et les traités post-napoléoniens »,in: Kaiser / Sieber-Lehmann / Windler (éd.), En marge de la Confédération : Mulhouse et Genève, Bâle, 2001, p. 395 ss.

251 Voir l’acte d’union de la République de Genève à la Confédération Suisse du 19 mai 1815, ROLG 1814-1815 p. 303. Voir déjà la lettre de la Haute Diète fédérale du 13 septembre 1814 aux Très-Honorés Seigneurs les Syndics et Conseil de la Ville et République de Genève annonçant que dans sa séance du 12 septembre 1814, elle a résolu à une grand majorité : « Que l’Etat de Genève (ainsi que celui de Neuchâtel et le Valais) seroient recus au nombre des Cantons de la Confédé-ration Suisse. », ROLG 1814-1815 p. 91-92. Sur l’intégConfédé-ration du canton de Genève dans la Confé-dération, voir Herrmann (2003).

252 Dufour (2001) p. 99 ; Ruchon (1953 I) p. 44 ss ; Fulpius (1942) p. 40 ; Rappard (1942) p. 19 ss.

253 Voir le rapport de la Commission chargée de rédiger un projet de Constitution pour la République de Genève, Genève, 1814.

254 Ruchon (1953 I) p. 42 ; Rappard (1942) p. 25. Voir aussi Paul Weber, « L’option de 1814 : la petite République de Joseph Des Arts »,Revue du Vieux Genève1990 p. 57 ss.

255 Ruchon (1953 I) p. 43 ; Rappard (1942) p. 25. A cet égard, a lecture de l’ouvrage de Joseph des Arts,Les principes de la révolution française sont incompatibles avec l’ordre social, (3epartie d’un ouvrage destiné à l’impression en 1795), Paris, Genève, 1816, est révélatrice.

22, 23 et 24 août 1814, la « nation genevoise » – soit l’ancien Conseil général256– a adopté, le projet de Constitution par 2444 suffrages contre 334257.

157. La Constitution de 1814, peu systématique258, a mis en place un régime représentatif teinté de pratiques de l’Ancien régime259. Le Conseil général a été supprimé260 et toutes ses prérogatives ont été transmises à un Conseil Re-présentatif et Souverain, formé par la réunion du Conseil d’Etat et du Conseil Représentatif (art. 2, titre II Constitution/1814)261.

158. Le Conseil Représentatif, composé de deux cents cinquante membres, était élu selon un système électoral particulièrement compliqué (art. 1 ss, titre II Constitution/1814). Le corps électoral était restreint par des conditions de capacité spéciales et un cens électoral élevé262. Si le Conseil Représentatif détenait le pouvoir législatif, l’initiative législative était exclusivement réservée au Conseil d’Etat (art. 7, titre II Constitution/1814). Ses compétences étaient dès lors particulièrement limitées.

159. Le pouvoir exécutif était attribué à un Conseil d’Etat, formé de vingt-huit membres (art. 1 ss, titre III Constitution/1814). Les Conseillers d’Etat étaient élus par le Conseil Représentatif et devaient être choisis parmi ses membres âgés de trente-cinq ans révolus (art. 1, titre III Constitution/1814).

Les membres du Conseil Représentatif avaient le droit de désigner – appelé

« grabeau » – les Conseillers d’Etat qu’ils désiraient exclure. Le grabeau devait être réclamé par cent vingt-six députés (art. 4, titre III Constitution/1814), soit par la majorité absolue du Conseil Représentatif. De facto, ces conditions ren-daient les Conseillers d’Etat inamovibles263.

160. Aucune institution de démocratie directe – pas même le référen-dum constitutionnel obligatoire – n’était consacrée par cette Constitution. Sa

256 Fulpius (1942) p. 59.

257 ROLG 1814-1815 p. 55. Voir pour le texte complet de la Constitution de 1814, ROLG 1814-1815 p. 1 ss. La Constitution de 1814 est également reproduite dans Alfred Kölz (éd.),Quellenbuch zur neueren Schweizerischen Verfassungsgeschichte, Vom Ende der Alten Eidgenossenschaft bis 1848, Berne, 1992, p. 214 ss.

258 Fulpius (1942) p. 63.

259 Keller (2001) p. 17. Voir à ce propos le rapport de la Commission chargée de rédiger un projet de Constitution pour la République de Genève (1814), p. 4, lequel relève : « Portant d’abord nos re-gards sur les jours paisibles et prospères de la République, et entraîné par un instinct, commun sans doute à tous les Genevois, nous eussions désiré de reproduire ici les institutions et les lois qui la régissoient alors, et que leur antiquité seule nous rendoit vénérables et chèrs. »

260 Rapport de la Commission chargée de rédiger un projet de Constitution pour la République de Genève (1814), p. 5.

261 Rapport de la Commission chargée de rédiger un projet de Constitution pour la République de Genève (1814), p. 8.

262 Fulpius (1942) p. 74 ; Fazy (1890) p. 200 ss.

263 Dufour (2001) p. 100 ; Keller (2001) p. 17 ; Ruchon (1953 I) p. 121 ; Fulpius (1942) p. 101.

révision partielle était possible à la majorité des deux tiers des suffrages des deux conseils (art. 8, titre II Constitution/1814), mais sa révision totale exclue264.

161. L’esprit conservateur et anti-démocratique de cette Constitution a été relevé à de nombreuses reprises265. Vu le système mis en place, le nombre d’électeurs n’a cessé de diminuer au fil des ans266. Sous l’influence de courants progressistes, la Constitution a subi plusieurs modifications partielles afin de la rendre plus libérale267. L’inamovibilité des membres du Conseil d’Etat a été supprimée268, le système électoral a été modifié et le cens électoral a été abaissé269. L’introduction progressive de ces principes démocratiques est exa-minée dans la littérature sous la dénomination de la politique du « progrès graduel du syndic Rigaud », qui était un membre du Conseil d’Etat.

162. Cette politique a amené Genève à ne pas connaître – contrairement à des cantons comme Zurich, Berne ou Saint-Gall – une période de troubles politiques ayant abouti à une constitution régénérée dans les années 1830270. A cette époque, plusieurs cantons suisses ont en effet adopté une nouvelle charte fondamentale qui élargissait le droit de vote, garantissait la séparation des pouvoirs et la liberté de la presse et qui prévoyait le référendum constitu-tionnel obligatoire.

163. En 1834, Marc-Antoine Fazy-Pasteur – Président du Tribunal de commerce du canton de Genève et député au Conseil Représentatif – a dé-montré que le canton de Genève ne connaissait toujours pas certaines

ins-264 Fulpius (1942) p. 69-70. Voir le rapport de la Commission chargée de rédiger un projet de Consti-tution pour la République de Genève (1814), p. 9, précisant que « le Projet rend en même tems la Constitution immuable autant qu’elle doit l’être ».

265 Voir notamment Dufour (2001) p. 100 ; Keller (2001) p. 17 ; Ruchon (1953 I) p. 41, p. 65 ss et p. 78 ss ; Fulpius (1942) p. 60 ; Rappard (1942) p. 17 ss ; Fazy (1890) p. 213 ss.

266 Ruchon (1953 I) p. 147.

267 Voir Dufour (2001) p. 101 ; Rappard (1942) p. 105 ss ; Fazy (1890) p. 225 ss.

268 Loi constitutionnelle sur l’amovibilité des membres du Conseil d’Etat du 5 août 1831, ROLG 1831 p. 72 ss.

269 Loi constitutionnelle sur l’élection du Conseil représentatif du 28 juillet 1819, ROLG 1819 p. 82 ss ; loi constitutionnelle qui supprime la section électorale du 21 janvier 1831, ROLG 1831 p. 7 ss ; loi constitutionnelle relative à la suppression de l’article 8edu titre 1erde la Constitution du 24 jan-vier 1831, ROLG 1831 p. 9 ss ; loi constitutionnelle sur l’abaissement du cens électoral du 18 avril 1832, ROLG 1832 p. 37 ss ; loi constitutionnelle sur l’abaissement du cens électoral du 23 février 1835, ROLG 1835 p. 22 ss.

270 Lescaze (1998) p. 41. Pour Kölz (1992) p. 542, c’est avec la Constitution de 1847 que le canton de Genève va rejoindre le groupe des cantons « régénérés ». Voir toutefois Aubert (1983), p. 22, pour qui Genève fait partie, « dans une certaine mesure », des cantons régénérés en 1830. Pour Paul-E. Martin, « De la Restauration à la Régénération, 1814-1841 »,in:1847-1947, Centenaire de la Constitution genevoise, Genève, 1947, p. 7 ss, c’est avec la Constitution de 1842 que le canton de Genève rejoint les cantons régénérés. C’est, semble-t-il, également la position de Rappard (1942) p. 305.

titutions démocratiques modernes271. Contrairement à plusieurs cantons, le suffrage universel, le principe de la souveraineté du peuple ou encore le droit d’initiative du pouvoir législatif n’existaient pas dans la Constitution gene-voise. Cette étude a eu un retentissement certain auprès des Genevois272. 164. L’opinion publique a alors réclamé avec insistance une réforme pro-fonde de la Constitution. En 1841, un débat sur le statut et l’autonomie de la Ville de Genève a marqué le début d’un mouvement politique de grande envergure273. L’opposition politique « radicale » s’est cristallisée dans une

« Association du Trois mars », dont le chef de file était James Fazy274.

165. L’« Association du Trois mars » a rapidement entrepris une campagne appuyée en vue d’obtenir une révision totale de la Constitution275. Nonobstant des projets de réformes constitutionnelles partielles présentés par le Conseil d’Etat au Conseil Représentatif276, ce dernier a adopté le 22 novembre 1841, sous la pression de la foule277 et après de longs débats278, le principe d’une Assemblée constituante nommée par tous les citoyens279. La loi instituant une Assemblée constituante a ensuite été approuvée par le Conseil Représentatif le 3 décembre 1841280.

166. L’Assemblée constituante a été composée de cent quinze membres de vingt-cinq ans révolus, élus par tous les citoyens de vingt et un ans révolus

271 Marc-Antoine Fazy-Pasteur,La Constitution de Genève mise en parallèle avec les constitutions des cantons de Zurich, Berne, Fribourg, Soleure, Bâle et Vaud, Genève, 1834. Voir en particulier le tableau de comparaison à la p. 170 et les conclusions aux p. 185-186.

272 Ruchon (1953 I) p. 216-218 ; Fulpius (1942) p. 113.

273 Voir Dufour (2001) p. 101 ; Keller (2001) p. 214 ; Lescaze (1998) p. 42 ; Reiser (1998) p. 32 ; Ru-chon (1953 I) p. 258 ss ; Fulpius (1942) p. 114 ss ; Rappard (1942) p. 215 ss et p. 253 ; Fazy (1890) p. 232.

274 Fulpius (1942) p. 117 ; Rappard (1942) p. 255. Pour un exposé sur la vie de ce politicien genevois – de son vrai nom Jean-Jacob Fazy –, voir notamment Lescaze (1998) ; Ruchon (1953 II) p. 200 ss et surtout Karl Gruner,L’Assemblée fédérale suisse, 1848-1920, Vol. I, Biographies, Berne, 1966, p. 947-949.

275 Fulpius (1942) p. 118 ; Rappard (1942) p. 256 ss ; Fazy (1890) p. 240.

276 Le Conseil d’Etat demande au Conseil Représentatif de consacrer le droit de pétition, d’accor-der le droit d’initiative au Conseil Représentatif, de supprimer la clause de deux tiers des suf-frages dans les deux Conseils pour les changements constitutionnels, de diminuer les membres du Conseil d’Etat, de supprimer le cens électoral et de réviser la loi électorale, Mémorial des séances du Conseil Représentatifs 1841-1842 193, p. 199. Voir aussi Ruchon (1953 I) p. 273 ss.

277 Ruchon (1953 I p. 281) ; Fulpius (1942) p. 119-120 ; Rappard (1942) p. 301 ; Fazy (1890) p. 243 ss.

Sur les événements du 22 novembre 1841, voir Rappard (1942) p 290 ss.

278 Mémorial du Conseil Représentatif 1841-1842 202.

279 Loi qui décrète une Assemblée Constituante pour la révision de la Constitution du 22 novembre 1841, ROLG 1841 p. 164.

280 Loi sur la formation d’une Assemblée Constituante, décrétée par la loi du 22 Novembre 1841, et sur le mode de votation de la Constitution par les citoyens du 3 décembre 1841, ROLG 1841 p. 168 ss.

(art. 7 et 20 de la loi sur la formation d’une Assemblée constituante, décré-tée par la loi sur la formation d’une Assemblée constituante décrédécré-tée par la loi du 22 Novembre 1841, et sur le mode de votation de la Constitution par les citoyens du 3 décembre 1841281). Les électeurs ont été répartis en dix col-lèges, qui ont été découpés à l’avantage du Gouvernement conservateur282. Les membres de l’Assemblée constituante ont été élus en date des 14 et 21 dé-cembre 1841283.

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