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Le conflit entre la procédure de planification spatiale et le droit d’initiative

LA FORME ET L’OBJET DE L’INITIATIVE

Chapitre 3 : La forme de l’initiative

E. La planification spatiale et le droit d’initiative

4. Le conflit entre la procédure de planification spatiale et le droit d’initiative

a) Présentation du conflit

481. Le droit fédéral pose des exigences minimales à la procédure de pla-nification spatiale, qui relève pour le surplus de la compétence des cantons.

L’article 33 LAT dispose que les plans d’affectation sont mis à l’enquête pu-blique (al. 1) et que le droit cantonal prévoit au moins une voie de recours contre les plans d’affectation fondés sur cette loi et sur les dispositions canto-nales et fédérales d’exécution (al. 2), étant précisé qu’une autorité de recours au moins doit avoir un libre pouvoir d’examen (al. 3, let. b). Applicable aux plans d’affectation généraux et spéciaux849, cette disposition vise notamment à garantir le droit d’être entendu des particuliers touchés par une mesure de planification850.

482. Sous l’angle de l’article 33 LAT, le Tribunal fédéral a jugé qu’une pro-cédure d’opposition devant le Grand Conseil, ou devant le Conseil d’Etat, était suffisante851. La procédure d’opposition auprès de l’autorité d’adoption des plans n’est cependant pas obligatoire et l’ouverture d’une seule voie de droit après l’adoption du plan est conforme au droit fédéral852. En application de l’article 82, alinéa 2 LTF, un recours doit en outre impérativement être ouvert auprès d’une instance judiciaire cantonale853.

483. Le droit genevois a été au-delà de ces garanties minimales prévues par le droit fédéral. Comme nous l’avons exposé, il existe une procédure de planification spatiale avec deux enquêtes publiques, un droit d’opposition et un droit de recours854.

849 ATF 131/2005 III 414, consid. 2.3,A. et B.; ATF 120/1994 Ia 19, consid. 3,R.; ATF 111/1985 Ib 9, consid. 3,Konikoff; Waldmann / Hänni (2006) p. 761 ; Aemisegger / Hagg (1999) no7 et no13.

850 ATF 119/1993 Ia 141, consid. 5.c.bb,Dr. Barbara Hegner-von Stockar; Hänni (2002) p. 511. Voir aussi ATF 121/1995 I 177, consid. 2.b,R. et consorts; Waldmann / Hänni (2006) p. 763 ; Hohl (1989) p. 113. Pour un exposé des autres fonctions de l’art. 33 LAT, voir Aemisegger / Hagg (1999) no10.

851 ATF 111/1985 Ib 9, consid. 2.b,Konikoff(voir également SJ 1985 441, consid. 4 non publié aux ATF,Konikoff [TF, 20.02.1985]) ; ATF 108/1982 Ib 479, consid. 3,Desbaillets; Tanquerel (2001a) p. 115. Voir aussi ATF 127/2001 I 238, consid. 3.b,Bau- und Wohngenossenschaft Friedheim et consorts.

852 ATF 119/1993 Ia 141, consid. 5.c.bb,Dr. Barbara Hegner-von Stockar; ATF 114/1988 Ia 233, con-sid. 2.b et c,X. et Y. Voir toutefois les critiques de la doctrine : Hänni (2002) p. 271 et p. 511 ; Zen-Ruffinen / Guy-Ecabert (2001) p. 677 et les références citées. Voir aussi la présentation du débat et les références citées par Aemisegger / Hagg (1999) no11.

853 ATF 123/1997 II 231,WWF. Pour un commentaire de cet arrêt, voir Daniel Peregrina, « Planifica-tion et voies de recours cantonales »,DC1998/1 p. 9 ss. Voir aussi Tanquerel (2001a) p. 119-120.

854 Voirsuprano463.

484. Une initiative non formulée ne pose guère de problème dans la mesure où la procédure ordinaire pourra être suivie855. Le traitement des initiatives rédigées de toutes pièces est plus délicat856, car leur texte ne peut en principe pas être modifié par le parlement857. Plusieurs solutions ont alors été proposées afin concilier le droit d’initiative et la procédure de planification.

485. Selon Manfrini, le Grand Conseil doit statuer sur la validité de l’ini-tiative, la soumettre à la procédure d’enquête publique, examiner les observa-tions et se prononcer sur l’initiative en les prenant en compte. Avant le vote, les citoyens doivent recevoir « une notice expliquant la position du Grand Conseil et incluant surtout les arguments avancés par les personnes qui ont valablement fait opposition à l’aménagement préconisé par l’initiative »858. 486. Tanquerel a suggéré d’autoriser le Grand Conseil à modifier une ini-tiative formulée avant sa soumission au corps électoral afin prendre en compte les résultats de la procédure d’enquête publique et, ainsi, concilier le droit d’initiative et les exigences découlant de la procédure de planification859. 487. Hohl a enfin relevé qu’une initiative formulée empêchait le dérou-lement ordinaire de la procédure de planification. Il a proposé de soumettre l’initiative au corps électoral et de mener la procédure de planification après le vote. L’acte adopté par le corps électoral doit alors pouvoir être modifié afin de tenir compte des résultats de l’enquête publique860.

488. Le Conseil d’Etat bernois, qui s’est prononcé sur la validité d’une ini-tiative communale rédigée de toutes pièces ayant pour objet l’adoption d’un plan de quartier, a considéré que la première étape d’une procédure d’étude d’impact pouvait être menée dans le cadre de l’adoption du plan (et de l’ini-tiative). Il a jugé que la seconde étape devait être suivie lors de la procédure, ultérieure, d’octroi de l’autorisation de construire861. Il a dès lors aménagé – même si ce n’est pas dans le cadre de l’article 33 LAT – une procédure pla-nification sans modifier le texte d’une initiative formulée.

855 Hohl (1989) p. 41 ; Tanquerel (1988) p. 247-249.

856 ZBl 1995 419, consid. 1.b (TF, 16.11.1994) ; Hohl (1989) p. 41 et p. 72 ss ; Tanquerel (1988) p. 247 ss.

857 Voirinfrano497 ss et no927.

858 Manfrini (1986a) p. 1093-1094. Voir toutefois Manfrini / Wisard (2005) où, pour une procédure d’expropriation similaire à l’aménagement du territoire, les experts considèrent que l’initiative est exclue.

859 Tanquerel (1988) p. 247-249 ; Tanquerel (1987) p. 10 ss. Voir plus récemment Tanquerel (2006) p. 568. Cette solution a été critiquée par la commission législative du Grand Conseil, MGC 1988 V 7129, p. 7131-7133.

860 Hohl (1989) p. 41-42 et p. 72-73. De manière similaire, Eugen David, « Ortsplanungsrecht II : Das Verfahren beim Erlass von Baureglement, Plänen und Schutzverordnung »,in:Das Nachtragsge-setz zum St.gallischen BaugeNachtragsge-setz, Saint-Gall, 1983, p. 57 ss, no104 et no111.

861 JAB 2000 483 (CE/BE, 8.03.2000).

489. Quant au Tribunal fédéral, il a jugé que le droit d’être entendu des particuliers garanti par l’article 33 LAT devait être sauvegardé, avant ou après le vote, au moyen de la procédure d’opposition consacrée par la loi. Il semble admettre que certaines modifications puissent être apportées à une initiative formulée suite à une procédure d’opposition862.

490. Notre Haute Cour a aussi jugé conforme à la procédure d’aménage-ment du territoire la disposition finale de l’initiative « pour un stade raison-nable » (IN 118) qui prévoyait que « si la présente loi est acceptée en votation populaire, la partie de la zone de développement 3 créée par la loi modifiant les limites de zones sur le territoire de la commune de Lancy (création d’une zone de développement 3 affectée à des activités commerciales et adminis-tratives, ainsi qu’à un stade de football), du 27 mai 1999 (7883), dans le but de permettre la construction du stade de La Praille et correspondant au ter-rain propriété des CFF affecté à un centre commercial, est abrogée conformé-ment à la procédure de modification de zone requise à cet effet, et est reclassée en zone ferroviaire pour répondre aux besoins futurs des chemins de fer. »863 Le Tribunal fédéral a considéré que l’initiative ne violait pas la procédure de modification de zones, car la procédure ordinaire de planification avait été réservée par les initiants864.

b) La réponse au conflit : l’interdiction des initiatives formulées

491. Le conflit entre le droit d’initiative et la procédure de planification spatiale doit être tranché en application du principe de la légalité (art. 5, al. 2 Cst), du principe de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.) et de la garantie des droits politiques (art. 34 Cst.).

492. Nous avons vu que le principe de la légalité (art. 5 Cst.) obligeait l’auteur d’une norme à l’appliquer telle qu’il l’avait émise et qu’il y était tenu au même titre que toute autre autorité865. Le corollaire de ce principe est une interdiction pour le législateur de modifier une procédure fixée par la loi pour un cas particulier. La procédure d’adoption des plans prévue par la lé-gislation cantonale ne peut pas être modifiée pour permettre un traitement particulier d’une initiative législative formulée qui réclame l’adoption d’un plan.

493. La procédure d’opposition ne saurait se dérouler après le vote ou être tranchée par le corps électoral en lieu et place du Grand Conseil. Un tel

862 ZBl 1995 419, consid. 1.b (TF, 16.11.1994). La position du Tribunal fédéral est cependant équi-voque : « Die Beschwerdeführer anerkennen, dass die Einsprachemöglichkeit der Grundeigentü-mer auch gewisse Korrekturen einer formulierten Initiative zur Folge haben könne ».

863 C’est nous qui soulignons.

864 ATF 128/2002 I 190, consid. 3.1,Michel Rossetti.

865 Voirsuprano397.

aménagement de la procédure est d’autant plus problématique que le corps électoral dispose uniquement de la possibilité d’accepter ou de rejeter la pro-position, mais qu’il ne peut l’amender comme le Grand Conseil.

494. Ces aménagements seraient contraires au principe d’égalité de trai-tement (art. 8 Cst.), car la procédure de planification serait modifiée pour l’adoption d’un seul acte de planification.

495. Réserver la procédure ordinaire de planification après l’adoption de l’initiative formulée n’est pas non plus adéquat. Le résultat de la procédure – soit l’adoption, la modification ou l’abrogation d’un plan de zone – est déjà imposé par l’initiative acceptée par le corps électoral. La procédure n’aurait plus guère de sens, car des oppositions totales ou importantes à la modifica-tion de zone ne pourraient plus être prises en compte.

496. Reste la solution préconisée par Tanquerel866, soit suivre la pro-cédure ordinaire et modifier l’initiative formulée – avant sa soumission au vote – afin de prendre en compte les résultats de la procédure d’enquête pu-blique. Si un tel procédé est conforme aux principes de la légalité et de l’éga-lité de traitement, dans la mesure où la procédure ordinaire est respectée, il semble contraire à l’interdiction de modifier une initiative formulée.

497. Ce principe, qui découle de la définition même de l’institution867, a une assise cantonale et fédérale. Cantonale, d’une part, car en définissant l’initiative formulé aux articles 65A et 65B Cst/GE, le droit genevois interdit implicitement de modifier le texte de la proposition rédigée de toutes pièces.

498. Fédérale, d’autre part, dans la mesure où la garantie des droits po-litiques (art. 34 Cst) contient une protection qui touche au fonctionnement de la démocratie868. Cette protection implique l’interdiction de modifier le texte d’une proposition rédigée de toute pièce lorsque l’initiative formulée est pré-vue par le droit cantonal. Le Tribunal fédéral a en effet jugé que la garantie des droits politiques (art. 34 Cst.) renvoie à la définition contenue dans le droit cantonal, « tout en protégeant le corps électoral contre les atteintes qui peuvent être portées à ces droits. »869 Cela signifie qu’un principe, qui découle de la définition d’une institution consacrée par le droit cantonal, est protégé par l’article 34 Cst.

499. La modification d’une initiative formulée dans le but de respecter la procédure d’opposition garantie par la législation fédérale et cantonale

866 Tanquerel (1988) p. 247-249 ; Tanquerel (1987) p. 10 ss. Voir plus récemment Tanquerel (2006) p. 568.

867 Grisel (2004) p. 239 ; Tschannen (2004) p. 659 ; Kölz (1997) p. 242-243 ; Caviezel (1990) p. 91 ; Wildhaber (1988a) no63.

868 Voirsuprano41.

869 ATF 131/2005 I 126, consid. 5,Feller, Leuba et consorts.

sur l’aménagement du territoire dérogerait ainsi à la Constitution cantonale (art. 65A et 65B Cst/GE) et à la Constitution fédérale (art. 34 Cst.).

500. Il convient dès lors de résoudre la question suivante : Comment res-pecter, d’une part, la procédure d’opposition afin de respecter la législation fédérale et cantonale sur l’aménagement du territoire ainsi que les principes constitutionnels de la légalité et de l’égalité de traitement et, d’autre part, l’in-terdiction de modifier le texte d’une initiative formulée découlant du droit constitutionnel cantonal et fédéral ?

501. L’article 34 Cst. n’étant pas un droit fondamental susceptible d’être restreint en respectant la triple condition de la base légale, de l’intérêt public et de la proportionnalité (art. 36 Cst.)870, l’interdiction de modifier une initia-tive formulée paraît absolue.

502. Lors de l’examen de la validité d’une initiative, le Tribunal fédéral a toutefois jugé que la sanction devait demeurer proportionnée à l’inobserva-tion de la norme juridique871. Faut-il dès lors accorder au Grand Conseil la possibilité d’amender les initiatives formulées afin de ne pas interdire totale-ment les propositions rédigées de toutes pièces dans le domaine de la plani-fication spatiale ?872

503. S’il est délicat de trancher cette question, il semble en définitive né-cessaire d’exclure les initiatives législatives formulées. Un texte entièrement rédigé qui présente la mesure d’aménagement à adopter risque de vider toute enquête publique de son sens. Le Grand Conseil risque d’examiner les éventuelles oppositions, qui devraient pouvoir aboutir à la modification du texte formulé par les initiants, avec plus de retenue que lors d’une procédure ordinaire. La légitimité démocratique de la proposition, voire la pression politique, risque d’amener le Grand Conseil à éviter de modifier le texte de l’initiative. Les particuliers touchés par une procédure de planification me-née suite à une initiative formulée verraient donc leur situation péjorée par rapport à la procédure ordinaire de planification. Le respect du principe de l’égalité de traitement (art. 8 Cst.), de la légalité (art. 5 Cst.) et de la garantie des droits politiques (art. 34 Cst.) amène à rejeter la possibilité de modifier une initiative législative formulée portant sur les détails d’un acte de pla-nification spatiale déterminé. Les initiatives formulées portant sur un acte détaillé d’aménagement spatial doivent donc être exclues.

870 Voirsuprano43.

871 ATF 105/1979 Ia 362, consid. 3,Cristin et parti socialiste genevois. Cette jurisprudence est aujourd’hui bien établie, voirinfrano1177 ss.

872 Dans ce sens, Tanquerel (2006) p. 568 ; Tanquerel (1988) p. 248.

504. En revanche, une initiative législative qui concerne un acte de planifi-cation spatiale peut être conçue en termes généraux873. Certes, les résultats de la procédure de planification peuvent, conformément à la jurisprudence du Tri-bunal fédéral sur les initiatives non formulées874, amener le Grand Conseil à devoir légèrement s’écarter de la proposition du corps électoral. Les éléments que nous avons exposés au paragraphe précédent ne remettent cependant pas en cause la recevabilité d’une initiative conçue en termes généraux. Lors de la concrétisation d’une initiative non formulée, le Grand Conseil se sentira moins lié par la proposition des initiants que lors d’une éventuelle modifica-tion d’un texte entièrement rédigé. Il sera dans une situamodifica-tion similaire à celle qui existe lors d’une procédure ordinaire de planification spatiale.

505. En principe, les initiatives constitutionnelles (formulées) sur les actes de planification spatiale sont également exclues. Certes, une telle proposi-tion peut déroger à la procédure prévue par les lois cantonales. Le principe d’égalité de traitement (art. 8 Cst.) s’oppose toutefois à un aménagement de la procédure pour un acte de planification particulier875. Ce principe fait obs-tacle à une initiative constitutionnelle formulée impliquant une procédure particulière dérogeant à celle qui est arrêtée par la loi876. Quant à la modifi-cation éventuelle d’une initiative constitutionnelle formulée sur un acte de planification spatiale, elle est exclue pour les mêmes motifs que nous venons d’exposer pour les initiatives législatives.

F. Quelques cas particuliers d’initaitives administratives

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