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Considération : question de structure

Choisir cette porte d’entrée, chercher dans la lecture du mythe et de la tragédie grecque ce qui peut impliquer la haine en tant que fait humain16 ou la haine en tant qu’effet du

sujet, et articuler cette approche avec la conceptualisation de la psychanalyse, c’est un travail à engager au rythme marqué par les détours par où la lecture et la réflexion vont s'orienter.

Quatre remarques s’imposent :

Première remarque, ce travail veut garder en mémoire, au long du parcours, une phrase de Lacan dans le Séminaire XVII, L’envers de la psychanalyse : « C’est une vaine

recherche de sens. »17. Cette phrase peut, d’emblée, être entendue comme une mise en

garde par rapport à une quête autour des origines ou d’une genèse - ce qui poserait le risque de fixer un élément trouvé à une signification unique ou univoque.

Mais, le contexte de cette phrase, étant une invitation de Lacan à ne pas oublier la découverte freudienne de la pulsion de mort - ce sentier vers la mort désigné par lui comme étant « le savoir ancestral » : ce qui fait que la vie s’arrête à une certaine limite

16 Dans le sens d’appartenir à l’humain, au parlêtre, celui qui peut se poser la question sur la haine et sur le rapport de

celle-ci avec le désir et la jouissance.

17 Lacan Jacques, Séminaire XVII, L’envers de la psychanalyse (1969- 1970 ), « Production des quatre discours » Paris,

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vers la jouissance18 - renvoie à ce qu’il n’y a pas de réponse absolue, quelque chose

échappe toujours aux intentions de maîtrise, de recherche de sens : le sujet.

Ainsi, « trouver le sens de la haine », par le mythe et par la tragédie grecque, n’est pas l’orientation de cet écrit. Essayer de saisir la haine est de se poser la question d’une lecture possible de la haine articulée avec le devenir sujet, autrement dit - reprenant la citation antérieure « ce qui fait que la vie s’arrête à une certaine limite vers la

jouissance » - d’un lien possible entre la haine et l’intervention de la Loi.

Deuxième remarque, le mythe et la tragédie grecque - pour rendre compte de la haine – sont nécessairement articulés à une lecture qui fait référence à l’univers précis où leur avènement, ainsi que leur déclin, ont eu lieu : celui de la cité. Si l’anthropologie historique va se révéler précieuse dans ce sens, c’est la psychanalyse qui va questionner le mythe, en tant que réponse du sujet à l’impossible, et la tragédie, en tant que révolte du sujet face à ces réponses « toutes prêtes à porter »19 du mythe.

Les éléments articulés dans cette recherche - correspondant à un point de vue anthropologique - tiennent compte, de façon privilégiée, du travail effectué par Jean- Pierre Vernant concernant le mythe et la tragédie grecque. Cette préférence n’est pas un caprice et si Jean-Pierre Vernant est contemporain de Lacan cette coïncidence n’est pas au centre de l’option relative à l’auteur.

Des raisons qui fondent alors ce choix : Première raison, la réflexion de Jean-Pierre Vernant ne s’inscrit pas dans une démarche théorique figée, voire clôturée. Deuxième raison, l’analyse du mythe et de la tragédie de Jean-Pierre Vernant l’amène à questionner les limites de l’homme grec et son rapport à l’ordre, à la Loi. Troisième raison, la prise en compte par Jean-Pierre Vernant et la place qu’il donne au centre de la tragédie - dans les textes de référence nommés ici - à la question de la faute, du crime et de la fatalité.

Comme le dissent Élisabeth Roudinesco et Michel Plon (1997) : Jean-Pierre Vernant s’insurge contre la psychologisation des mythes, en 1980 il propose une lecture d’Œdipe

« […] plus conforme aux représentations de la mythologie grecque […] ». Jean-Pierre

Vernant revient sur la faute d’Œdipe, le parricide et l’inceste, la faute d’avoir mêlé trois générations d’âge qui ne doivent jamais se confondre au sein d’une lignée, « Ce portrait

du véritable Œdipe grec n’est pas éloigné, en réalité, de l’Œdipe freudien, puisque chez

18Ibid., p. 18

19 La formule « le prêt à porter du mythe » est de Marie-Jean Sauret lors d’un échange pour la construction de ce

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Freud le complexe est lié, dès le début, à la double question du désir d’inceste et de son nécessaire interdit afin que ne soit jamais transgressé l’enchaînement des générations. »20.

Les prises de position de Jean-Pierre Vernant, concernant la psychanalyse21, ne sont pas restées dans une opposition radicale ; toujours à la recherche de ne pas enfermer la lecture de la tragédie à une entreprise rendant compte d’un savoir absolu, Jean-Pierre Vernant a su entendre que la démarche psychanalytique va à l’encontre des pensées totalisantes et que, loin d’être un regard réducteur, la psychanalyse ouvrait l’analyse de la tragédie à une autre façon de se rapprocher de la question sur la structure.

Troisième remarque, l’option d’accentuer certains éléments et de ne pas prendre en considération toutes les dimensions en jeu dans les récits22 mythiques ou tragiques, suppose des références de lecture conceptuelles et analytiques déjà établies.

Freud et Lacan n’ont pas hésité à se pencher sur d’autres façons de se rapprocher de l’être humain, leur enseignement ne se renferme pas sur lui-même et, à part l’approche apportée par la clinique psychanalytique, noyau dur de la psychanalyse, d’autres disciplines du savoir (l’anthropologie, la philosophie, entre autres) ont été appelées à enrichir les divers moments de la construction théorique.

Quatrième et dernière remarque, tout l’effort devra être mis à ne pas lire le mythe ou la tragédie pour confirmer un postulat préétabli sur la haine, dans une sorte de confort intellectuel. Il faudra plutôt s’orienter vers une lecture qui puisse réveiller la question sur l’impossible pour reprendre, autant que faire se peut, la représentation mythique et l’interpellation tragique dans sa conception.

Le prisme de la psychanalyse - porté sur ce passage du sujet mythique (de la réponse absolue à l’impossible) au sujet tragique (celui du soulèvement aux solutions apportées par les mythes ou celui du conflit avec la fatalité en tant que destin) - permet d’examiner la réponse des mythes à la haine, qui était ainsi résolue, puis de faire la transition à ce que la tragédie apporte comme danger, restituer le sujet en tant que sujet de choix, ce que par le mythe avait été écarté.

20 Roudinesco Élisabeth, Plon Michel. Œdipe. Dans Dictionnaire de la psychanalyse, éd. Fayard, p.746, 1997.

21 Concernant la controverse de Jean-Pierre Vernant avec Didier Anzieu, et les réflexions du premier par rapport à la

psychanalyse, plus de dix ans après, voir la référence à « Œdipe sans complexe » (du texte de Jean-Pierre Vernant

Mythe et tragédie en Grèce ancienne) dans la partie « Mégère renchérit ou le lien social renversé ».

22 Jean-Pierre Vernant et Pierre Vidal-Naquet font référence à trois dimensions indissolubles dans la tragédie, qui se

combinent et s’articulent : la dimension sociale, esthétique et psychologique. Il faut aussi nommer une dimension politique, linguistique et historique. Vernant Jean-Pierre, Vidal-Naquet Pierre, Mythe et tragédie en Grèce ancienne, Paris, éd. La Découverte, 1986.

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