rencontres pendant la Guerre (1943 1945) :
B. Recherches, rencontres et premier cycle de conférences Macy (1946-1948) :
1. Les conférences Macy :
Les conférences « ont été conduites selon la tradition Macy […], » réglées par Fremont-Smith « qui les organisait sous l’égide de la Fondation. » Il s’agissait « de rassembler un groupe de taille modeste, n’excédant pas
environ vingt chercheurs issus de divers domaines en relation et de les faire travailler durant deux jours successifs, sur des papiers informels, d’organiser des discussions et des repas ensemble jusqu’à ce qu’ils aient eu l’occasion de gommer leurs différences et de progresser dans la même direction de pensée. » 306
- Un parti pris philosophique ou politique :
McCulloch va présider les conférences. Heims souligne l’effort qui va y être déployé pour décrire quelque phénomène que ce soit en termes mathématiques ou d’ingénierie, « même le sentiment le plus
personnel. »307 Alors que « la science et la technologie de la cybernétique
étaient apparemment apolitiques, neutres et objectives, » les conférences
vont subir l’influence indirecte du lobby militaire et la volonté des
303
HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 165.
304 Ibid., p. 178. 305
LECADET C., MEHANNA M., op. cit., 2006, p. 210.
306
WIENER N., op. cit., 1948, 1961, trad. Pélissier A., 1995, p. 23.
spécialistes des sciences sociales d’apparaître plus scientifiques en adoptant les modèles mécanistes : « la cybernétique, la théorie de
l'information et la théorie des jeux devaient promouvoir la compréhension "scientifique" des peuples et des sociétés. » 308 L’historien de la
cybernétique estime que les conférences ont privilégié l’étude de l’individu au détriment de l’analyse des sociétés. Il pense que l’accent déséquilibré en faveur de la psychologie et de la psychiatrie et au détriment des sciences sociales s’explique par le fait que « le travail de Pitts-McCulloch
traitait des esprits individuels, pas de la société. Cependant, le travail de Rosenblueth-Wiener-Bigelow et les notions de la théorie de la communication et la théorie des jeux étaient en principe également applicables à la société entière. » 309 L’auteur en conclut qu’un « parti pris
philosophique ou politique est là à l'évidence, qui contribua à mettre l'accent sur l'individu, l'atome élémentaire, et négligea en comparaison la société entière comme unité. » 310 La seule société que l’on a considérée
fut « une société de fourmis soldats, » 311 à la seconde rencontre.
Fremont-Smith, le représentant de la Fondation Macy, s’efforçait de faciliter la communication entre les disciplines et défendait
systématiquement la psychanalyse. 312 A la sixième conférence, il plaida
pour que les spécialistes en physique nucléaire, les psychanalystes et les responsables politiques se parlent, afin que soient appliqués « les
principes de la science et de la logique aux problèmes du comportement social et de la paix mondiale. » 313En 1955, le président de la fondation
Josiah Macy Junior, Willard Rappleye, donna un aperçu des idées promues par celle-ci quand « il affirma que les "conflits sociaux sont en réalité les
symptômes de causes sous-jacentes" et que la psychiatrie nous enseigne la nature de ces causes. Par conséquent, "les insights et les méthodes de la psychiatrie, de la psychologie et de l'anthropologie culturelle" élucident "les perturbations émotionnelles du monde.” 314 » 315
- Les courants de pensées représentés :
A l’époque des conférences, le néo-behaviorisme est « l’école de
psychologie universitaire dominante aux États-Unis. » 316 Mais le groupe
qui se réunit aux conférences compte peu de représentants du behaviorisme. « Il a bien sûr inclus Donald Marquis, qui dans les années
1930 avait travaillé sur les mécanismes neurophysiologiques du conditionnement, et était le co-auteur d'un texte de psychologie 317 de
premier plan, en 1940, sur le mode behavioriste. » Mais, à l’époque des
308 Ibid., p. 170. 309 Ibid., p. 178. 310 Ibid., pp. 178-179. 311 Ibid., p. 179. 312 Ibid., pp. 166. 313
FREMONT-SMITH Sixth meeting, Transactions, p. 151 […]. Cité par Heims, op. cit., 1991, p. 168.
314
The Josiah Macy Jr. Foundation 1930-1955, A review of Activities (New York: 1955), p. 10, Note de Heims.
315 HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 169. 316
Ibid., p. 201.
317
Ernest Hilgard and Donald Marquis, Conditioning and Learning (New York : Appleton-Century, 1940). Cité par Heims.
conférences, « Marquis était un ex-behavioriste, car la guerre avait
déplacé ses activités vers l’étude des attitudes dans la psychologie des soldats et de l’armée. […] Après 1947 il créa le Centre pour la Dynamique de Groupe […]. » 318 L'autre participant à Macy « que l'on pourrait
étiqueter de behavioriste était T.C. Schneirla, 319 le psychologue
comparatif, qui a principalement observé le comportement des fourmis et autres animaux. » D’après Heims, « ni Marquis ni Schneirla n'étaient des
behavioristes doctrinaires. » 320
Deux congressistes représentaient le courant gestaltiste, Kurt Lewin et Heinrich Klüver. Les innovations de Lewin « sont fréquemment
considérées comme une extension de la théorie de la Gestalt […]. » Klüver « avait aussi été un étudiant en psychologie de la Gestalt, mais avait ensuite développé son propre style de psychologie empirique dans laquelle la théorie de la Gestalt était seulement l’un des multiples efforts pour comprendre la perception humaine. » 321
Un troisième courant de psychologie « provenait de la théorie
psychanalytique de Freud et de ses modifications. » Ce courant était
surtout clinique, mais les notions cliniques qu’il promouvait « étaient
parfois appliquées au problème social et utilisées avec des données sociologiques et anthropologiques pour développer une psychologie sociale. » Heims mentionne « la "société comme un patient" de Frank, et les études de sociétés diverses d'Erik Erikson dans une perspective psychanalytique. » 322
- A propos de la composition du groupe de chercheurs :
Les chercheurs présents à la Rencontre de Princeton ont formé le noyau des participants aux conférences Macy. A ce noyau sont venus se joindre des spécialistes d’autres disciplines : psychologues, sociologues,
anthropologues. « C'était en premier lieu Bateson, avec Mead et Frank
derrière lui, qui était responsable de l'inclusion de spécialistes des sciences humaines aux rencontres de cybernétique. » 323 Pour Wiener, « la
nécessité d’introduire des psychologues était […] évidente depuis le début. Celui qui étudie le système nerveux ne peut oublier l’esprit et celui qui étudie l’esprit ne peut oublier le système nerveux. » Considérant que « la
psychologie a prouvé par le passé qu’elle n’était en réalité qu’une physiologie des organes d’un sens particulier […], » le mathématicien
estimait que la contribution de la cybernétique à « la psychologie concerne
la physiologie et l’anatomie d’aires corticales hautement spécialisées en connexion avec ces organes d’un sens spécial. »324 La composition du
318
HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 202.
319
T. C. Schneirla, “Levels in the Psychological Capacities of Animals”, in Roy Sellars, V. J. McGill, and Marvin Farber, eds., Philosophy for the Future: The Quest of Modern Materialism (New York: Macmillan, 1949), reprinted in Selected Writings of T. C. Schneirla (San Francisco: Freeman, 1972). […]. Note de Heims.
320
HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 202.
321 Ibid., p. 203. 322
Ibid., pp. 203-204.
323
Ibid., p. 54.
groupe répondait au caractère transdisciplinaire des concepts d’information et de communication que Wiener voyait comme des
« mécanismes d’organisation. » 325