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8 Une machine qui joue aux échecs :

11. Conférence Macy 8 :

La huitième conférence 1051s’est tenue les 15 et 16 mars 1951. Wiener et

von Neumann en ont été absents. McCulloch avait invité le britannique Donald MacKay, qui avait participé en Angleterre avec Grey Walter et Ross Ashby au Ratio Club que fréquenta parfois Alan Turing.

Le premier conférencier a été Alex Bavelas, un spécialiste en psychologie sociale, membre du groupe cybernétique. Il avait mené des expériences pour savoir si, dans une situation de résolution de problème proposée à un groupe, cela fait « une différence selon qui peut communiquer avec

qui. » 1052Les sujets étaient d’abord soumis individuellement à une tâche

expérimentale consistant à dire, pour plusieurs ensembles de cartes et le plus rapidement possible, quel symbole, parmi cinq symboles répartis sur

1046 PITTS W., Macy 7, 1950, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 310. 1047

KUBIE L. S., Macy 7, 1950, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 313.

1048

LACAN J., “Joyce le symptôme”, 16 juin 1975, in Le Séminaire, livre XXIII, Le Sinthome, Seuil, Paris, 2005, p. 164.

1049

KUBIE L. S., Macy 7, 1950, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 322.

1050

LEVI-STRAUSS C., “Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss” in Sociologie et anthropologie, M. Mauss, P.U.F, Paris, 1950, 1997, p. ix.

1051

Circular Causal and Feedback Mechanisms in Biological and Social Systems, New York.

1052

BAVELAS A., "Modèles de Communication dans des Groupes de Résolution de problèmes", Macy 8, 1951,

cinq cartes, apparaissait sur chacune d’elles. L’expérience proprement dite consistait à répondre à la même question, non plus seul, mais à cinq personnes, chacune recevant une des cinq cartes, les cinq joueurs ne pouvant communiquer que par messages écrits. Un essai se terminait quand chaque joueur avait transmis sa réponse en appuyant sur un commutateur correspondant au symbole choisi. Les résultats montraient

« que des sujets font régulièrement des choix non-rationnels qui violeraient ce que le sens-commun enseigne en matière de probabilités. Par exemple, avec plus d'informations ils jouaient moins bien au jeu. » 1053

Au cours de la discussion, McCulloch a demandé à Shannon ce qu’il pensait du point de vue de Bavelas sur la notion d’information. L’ingénieur a répondu qu’il avait le sentiment que le problème ici n’était « pas

tellement de trouver le meilleur codage des symboles […], » puisque dans

l’expérience de Bavelas le problème ne se posait pas en termes « de

quantité limitée de papier pour écrire, qui correspond au problème d'ingénierie consistant à coder des messages pour utiliser la plus petite quantité du canal […]. » Le problème étudié par Bavelas était « plutôt la détermination de la question sémantique de quoi envoyer et à qui l'envoyer. » Shannon ne voyait pas bien comment le psychosociologue

mesurait « n'importe laquelle de ces choses en termes de capacité du

canal, de bits, etc. » Il en a conclu que Bavelas était « dans des niveaux quelque peu plus hauts sémantiquement […] » que les ingénieurs des

télécommunications qui traitent « le strict problème de la

communication. »1054 Shannon a ajouté que, « du point de vue de la

communication, les probabilités subjectives n'entrent pas du tout en ligne de compte. » Il s’est demandé si l’on ne devrait pas « distinguer entre les informations valides et les informations que l'homme pense qu'il a et sur lesquelles il agit, peut-être, mais qui ne sont basées sur aucun raisonnement logique. » 1055

Kubie et Mead se sont intéressés aux facteurs inconscients déterminant les choix. Ils ont souligné qu’« un symbole particulier sur une carte peut

avoir une signification inconsciente qui peut biaiser les choix […]. » Ils ont

envisagé l’hypothèse qu’un symbole standart soit « aussi perçu comme un

symbole phallique. » A un moment où revenait, comme souvent aux

conférences, la comparaison entre l’humain et l’ordinateur, Pitts a considéré qu’« on pourrait concevoir un ordinateur qui jouera chacun des

jeux de Bavelas ou résoudra ses énigmes de la façon la plus efficace, tandis que des groupes humains pataugent. » 1056

Gerard a rappelé « que la raison consciente de leur intérêt pour les

machines était de gagner des indices de la manière dont nos cerveaux ou nos groupes sociaux travaillent. » 1057 Savage a rappelé comment

l’analogie entre les machines à calculer et le comportement humain et social s’est invitée aux conférences :

1053

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 222.

1054 SHANNON C.E., Macy 8, 1951, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, pp. 364-365. 1055

Ibid., p. 365.

1056

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 222.

« Nous avons eu l'habitude d'être un séminaire ou une rencontre sur le sujet des machines à calculer et nous retournons naturellement au thème de l'analogie entre les machines à calculer et le comportement humain et social, parce qu’à un moment donné, en tout cas, ce fut une de nos thèses les plus importantes, que nous pourrions trouver quelque chose de fructueux dans cette analogie - pas que la machine ressemblerait aux gens, parce qu'elles ont été faites par des gens - après tout, nous ne nous attendons pas à ce qu'une lampe au néon ressemble à une personne parce qu'elle est faite par une personne - plutôt nous avions à ce moment-là un peu d'espoir, ou certains d'entre nous avaient un peu d'espoir, et cela a été largement rendu public, que ces machines de calcul ressembleraient aux gens parce qu'elles faisaient tant de choses humaines. Il nous semblait digne d'intérêt d’examiner ces analogies, particulièrement pour découvrir, si jamais nous pouvions, des limitations à l'analogie. » 1058

Le groupe a tenté de trouver un cas faisant exception au théorème de Turing selon lequel toute chose que l’on peut décrire précisément, en un nombre fini de mots, peut être réalisée par une machine :

« Nous avons eu, au cours de l'existence du groupe, le problème important d'observer s'il y a quelque chose que les gens font, qui peut être décrit précisément, qui ne peut pas être fait par une machine. Nous avons toujours su que cet espoir était dans un sens chimérique parce qu'il y a le théorème célèbre de Turing, dont nous avons eu l'habitude d'entendre parler à chaque réunion, dans le sens où si vous pouviez seulement dire précisément ce que vous voulez, vous pouviez faire une machine qui le ferait. Et pourtant nous avons continué à espérer malgré ce théorème, qui devrait dans un sens achever tous nos espoirs que nous pourrions découvrir quelque comportement qui ne mérite pas d'être appelé mécanique. Ceci ne nous a pas empêchés d’espérer simultanément l'opposé, donc nous avons cherché à plusieurs reprises des analogues mécaniques aux aspects divers du comportement humain. Mais ce n'est par aucun accident subconscient que nous retournons à un thème qui, comme je dis, a eu l'habitude d'être incorporé dans le titre même de notre groupe. » 1059

Les trois interventions suivantes ont décliné le thème de la

communication. Après les interventions du critique littéraire et rhétoricien

anglais Ivor Richard 1060 et de Kubie,1061 le psychologue Herbert Birch a

parlé de “La Communication entre les animaux”. En évoquant les recherches de Karl von Frisch sur le comportement des abeilles, recherches auxquelles Lacan va se référer dans “Fonction et champ de la parole et du langage”, Birch a mis l’accent sur la notion d’influence :

1058

SAVAGE L. J., Macy 8, 1951, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 379

1059

Ibid.

1060 RICHARD I. A., “Communication between men: the meaning of language”, Macy 8, 1951, Cybernetics- Kybernetik, op. cit., 2003, p. 382.

1061

KUBIE L. S., “Communication between sane and insane: hypnosis”, Macy 8, 1951, Cybernetics-Kybernetik,

« Ce que von Frisch a trouvé - et cela est ce qui est le plus important pour la communication - est que l'activité de l'abeille découvreuse, c’est-à-dire, l'abeille qui trouve d'abord la nourriture, quand cette abeille découvreuse retourne à la ruche, elle influence la quantité d'activité des abeilles secondaires qui vont à la nourriture de différentes façons. » 10621063

Shannon a ensuite fait la “Présentation d’une machine résolvant des labyrinthes”. La machine, dont il a présenté le plan, « est capable de

résoudre un labyrinthe par des moyens de type essai-erreur, de se rappeler la solution et aussi de l'oublier au cas où la situation change et ou la solution n’est plus applicable. » L’ingénieur a considéré que sa

machine était « intéressante en vue de sa connection avec les problèmes

d'étude par essai-erreur, d'oubli et de systèmes de feedback. » 1064

Heims distingue « deux définitions différentes de l’"information" […], » l’une représentée par Shannon, « l'autre soutenue par un visiteur des Îles

britanniques, Donald MacKay. » 1065 Ce dernier est intervenu sous le titre :

"A la Recherche de Symboles de Base". Son objectif était d’intégrer des concepts comme la signification à la théorie générale de l’information. MacKay se référait au discours commun pour considérer la réception d’information comme un gain. Il concevait la mesure de l’information reçue en termes de modification de représentation. Considérant que la notion de représentation est cruciale, il a proposé que le sujet général de la théorie de l’information soit « la construction des représentations - les

différentes façons selon lesquelles les représentations peuvent être produites, et les valeurs numériques à la fois des procédés de production et des représentations elles-mêmes. » 1066 MacKay considérait que le

concept d’information de Shannon était inclus « comme un cas spécial

[…] » 1067 dans sa propre définition de l’information.

Dans la discussion qui a suivi, Shannon a estimé que nous pouvons définir l’information comme nous le souhaitons « et, selon le domaine dans lequel

nous travaillons, nous choisirons des définitions différentes. » Le modèle

de théorie de l'information qu’il a lui-même élaboré, « basé principalement

sur l'entropie, a été encadré […] pour marcher avec le problème de la communication. » Dans ce problème, « l'entropie est le concept précis dont vous avez besoin, parce que le problème […] par lequel vous êtes intéressés est, "Combien de canaux ai-je besoin pour transmettre ces informations ?" et l'entropie est une quantité qui mesure […] la quantité de canaux exigée. » Quant à la question de « ce que les informations

1062 BIRCH H. G., “Communication between animals”, Macy 8, 1951, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p.

449.

1063

« En 1973, trois éthologistes allemands, Von Frisch, Lorenz et Tinbergen reçurent le prix Nobel de médecine

et de physiologie pour l’ensemble de leurs travaux. Ces chercheurs avaient fondé l’école objectiviste qui, dans une perspective comparative, avait remis à l’honneur les études de l’animal dans son milieu naturel. » (BONNET

C., “Global et analytique”, Cours de psychologie, T1, Dunod, Paris, 1999, p. 157)

1064

SHANNON C.E., “Presentation of a Maze-Solving Machine”, Macy 8, 1951, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 474.

1065

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 111.

1066

MacKAY D. M., “In Search of basic Symbols”, Macy 8, 1951, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 480.

signifient pour leur utilisateur et comment cela va l'affecter […], »

l’ingénieur a considéré que peut-être « un tel système binaire pourrait

être approprié. » 1068 1069