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8 Une machine qui joue aux échecs :

17. Conférence Macy 10 :

Les participants à la dixième et dernière conférence 1152 avaient reçu à

l’avance un résumé des actes des neuf premières rencontres établi par McCulloch. Le cybernéticien notait qu’« Einstein définissait une fois la

vérité comme un accord obtenu en prenant en compte des observations, leurs relations et les relations des observateurs […]. » McCulloch regrettait

que les données traitées pendant les conférences n’aient pu « être si

simplement définies. Elles ont été rassemblées par des méthodes extrêmement dissemblables, par des observateurs influencés par […] [des formations] disparates, et rapprochées les unes des autres seulement à travers un argot de laboratoire digne de la Tour de Babel et des jargons techniques. » McCulloch a poursuivi dans cette tonalité un peu désabusée, soulignant l’apport relationnel plutôt que scientifique des conférences :

« Notre accord le plus notable est que nous avons appris à nous connaître un peu mieux et à nous battre honnêtement […]. Cela semble démocratique, ou mieux, anarchique, comme vous me l'avez rappelé deux fois. À part les tautologies de la théorie, et l'autorité de l’unique accès par l'observation personnelle d'un fait en question, notre consensus n'a jamais été unanime. L'aurait-il même été, je ne vois aucune raison pour laquelle Dieu devrait avoir été d'accord avec nous. » 1153

1148

“Kubie to Fulton, 21 March 1953”, cité par Heims, op. cit., 1991, p. 138.

1149 “Lashley to McCulloch, 20 January 1954”, cité par Heims, op. cit., 1991, p. 135. 1150

EYSENCK H. J., “The Effects of Psychotherapy: An Evaluation”, Journal of Consulting Psychology, 16, 1952, 319-324.

1151 MORO M.-R., “Les Méthodes cliniques”, Cours de Psychologie, tome 2, Dunod, Paris, 1993, 1999, p. 499. 1152

Circular Causal and Feedback Mechanisms in Biological and Social Systems, Princeton, 22-24 avril 1953.

1153

McCULLOCH W., “Summary of the Points of Agreement Reached in the Previous Nine Conferences on Cybernetics,” Macy 10, 1953, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 719.

- Théories falsifiables vs infalsifiables :

Le neuropsychiatre a ensuite introduit la rencontre par un rapport sur la théorie Pitts-McCulloch concernant la reconnaissance des formes et des accords musicaux. En déclarant que le groupe avait « été coupable d’une

certaine irrévérence en ce qui concerne le subconscient ou l’inconscient,»1154 McCulloch n’entendait pas faire amende honorable. C’est

en effet sur l’argumentaire de Karl Popper qu’il va appuyer cette fois sa critique de la psychanalyse.

Pitts et McCulloch avaient enrichi leur conception du fonctionnement

cérébral de considérations statistiques.1155 Ils savaient « que des potentiels

électriques continus et des courants peuvent se propager à travers le tissu cérébral, mais ils [suggéraient] […] que la moyenne statistique des impulsions a lieu dans le cerveau, aplanissant le caractère atomiste des mises à feu synaptiques individuelles. » 1156 McCulloch « rapporta les

arguments forts de Lashley contre le mécanisme spécifique qu'ils avaient proposé » : 1157

« Norbert Wiener, pas moi, a d'abord proposé qu'il y ait des mécanismes de balayage dans la vision. Je les ai rattachés à une structure particulière et j'ai eu tort probablement ; Lashley est tout à fait sûr que j'ai eu tort. Je pense que ses arguments ne sont pas entièrement conclusifs, mais ils sont persuasifs. » 1158 Donald McKay « avait testé le rôle du balayage dans le laboratoire de

McCulloch et le résultat réfuta de nouveau le mécanisme détaillé. »McCulloch accepta ce résultat ; il reconnut aussi que le test qu’il avait mis au point pour vérifier sa théorie de la perception était probablement faux. Le cybernéticien « conclût gaiement de ceci que nous

pouvons inventer des mécanismes, faire des hypothèses et les réfuter. Ainsi nous avons raison de considérer notre travail comme de l'épistémologie scientifique. » 1159 Puisque McCulloch reconnaissait dans les

termes de Popper 1160 que sa théorie de la perception était réfutée, le

caractère scientifique de celle-ci se trouvait confirmé. La théorie de la perception de McCulloch étant falsifiable, elle avait donc à voir avec la science : « Insister sur le fait que ce soit faux c’est insister sur le fait que

là quelque chose peut être vérifié. C'est ma notion que chaque hypothèse scientifique a une espérance raisonnable à la réfutation […]. » Le cybernéticien a distingué la réfutation d’une hypothèse du fait pour celle-ci d’être (ou non) prouvée. Il a rapproché sa position de celle des psychanalystes, en reprenant l’argument de Popper selon lequel la psychanalyse n’est pas une science puisqu’elle n’est pas réfutable :

1154

McCULLOCH W., “Introductory Remarks”, Macy 10, 1953, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 687.

1155 PITTS W., McCULLOCH W., “The Statistical Organization of Nervous Activity”, Biometrics 4: 91-99, June

1948.

1156

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 242.

1157 Ibid., p. 241. 1158

McCULLOCH W., “Introductory Remarks”, Macy 10, 1953, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 688.

1159

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 241.

« Certainement aucune [de mes hypothèses scientifiques] ne peut être prouvée et c'est mon grand malheur, avec la plupart de mes amis qui sont intéressés par la psychodynamique (par-dessus tout, ceux qui sont particulièrement intéressés par le subconscient), que je manque de trouver des hypothèses établies par eux qui soient capables de réfutation expérimentale. Les meilleurs des psychanalystes, je suis tout à fait sûr, sont autant dérangés par ceci que je le suis. » 1161

- Des avatars métalliques de Méduse :

Le second intervenant, le neurologue britannique Grey Walter, créateur de petites machines dont Wiener disait qu’elles manifestaient « comme une

conduite sociale, » termina sa conférence par une évocation étonnante de

l’intelligence artificielle du futur. Il l’imaginait produite par des

« générateurs d’intuition » implémentés dans des avatars métalliques de

la Méduse légendaire :

« Si on me demandait […] ce que sera l'intelligence prothétique du futur, je ne devrais suggérer rien de comparable aux instruments du jour présent ; plutôt je devrais prévoir une sorte de "générateur d’intuition" qui […] commencerait la vie comme des méduses métalliques et acquerrait la sagesse humaine sans les chocs et les déceptions qui, en nous, élèvent le préjugé et le désespoir. Si, comme la Méduse légendaire, ils pétrifient leurs observateurs, cela dépendra de la ruse réfléchie de nos descendants. » 1162

Image saisissante que ces avatars métalliques de Méduse dont la vue provoque l’effroi, qui est selon Freud « effroi de la castration, rattaché à

quelque chose qu’on voit. » 1163

- Sémantique, quantité d’information et représentation :

L’orateur suivant, le philosophe israélien Yehoshua Bar-Hillel, a annoncé que sa présentation « sera limitée principalement à la théorie de

l'information sémantique telle qu’elle a été développée récemment par le docteur Carnap et [lui]-même. Elle sera aussi concernée par la relation de ce concept au concept de quantité d'information, tel que développé par C.E. Shannon et une tentative sera faite pour montrer que les deux ne sont pas en concurrence. » 1164

Le dernier intervenant, Yuen Ren Chao, du Département des langues orientales de l’Université de Californie, a parlé de l’acquisition du langage, en particulier en ce qui concerne la signification, de la continuité de la forme et de la signification, et de la non-plasticité de la forme liée à la présence de représentations préfabriquées :

1161

McCULLOCH W., “Introductory Remarks”, Macy 10, 1953, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 688.

1162

GREY WALTER W., “Studies on Activity of the Brain,” Macy 10, 1953, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 696.

1163

FREUD S., “La tête de Méduse”, in Résultats, Idées, Problèmes II, P.U.F, Paris, 1922, 1985, p. 49.

1164

BAR-HILLEL Y., “Semantic Information and its Measures”, Macy 10, 1953, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 697.

« Quand nous en venons à la signification des langages naturels, elle est en grande partie en forme de représentation préfabriquée, au moins pour ce qui est de la communication entre adultes. Mais même dans le cas de la communication entre des enfants, nous constatons qu'à un certain âge dans l'acquisition des préfabrications, ils tendent à suivre une tendance récalcitrante à garder ce qu'ils ont déjà. » 1165