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rencontres pendant la Guerre (1943 1945) :

B. Recherches, rencontres et premier cycle de conférences Macy (1946-1948) :

4. Conférence Macy 2 :

- Wiener et Rosenblueth présentent leurs recherches sur le feedback :

Durant l’été 1946, Wiener est retourné à Mexico pour poursuivre des investigations avec Rosenblueth. Les deux chercheurs avaient décidé de considérer un problème nerveux directement du point de vue du feedback et de voir ce qu’ils pouvaient en faire expérimentalement : « Nous

choisîmes le chat comme animal d’expérimentation et le femoris quadriceps extenseur comme muscle à étudier. » Le dispositif expérimental a mis en évidence « un pattern périodique de contraction,

qu’on appelle clonus […] » dont les deux chercheurs ont tenté d’analyser

la fréquence d’oscillation et l’amplitude comme ils analyseraient « un

système mécanique ou électrique manifestant le même pattern d’affolement. » 396 Ils ont obtenu « de très jolies approximations des

périodes réelles de vibration cloniques, en utilisant la technique déjà développée par les servo-ingénieurs pour la détermination des fréquences d’oscillations d’affolement dans les systèmes à feedback détériorés. » 397

Wiener et Rosenblueth présentèrent leurs résultats à la seconde conférence Macy (octobre 1946) intitulée Mécanismes Téléologiques et

Systèmes Causaux Circulaires,398 ainsi qu’« à une réunion de l’Académie

des sciences de New York 399 organisée à la même époque dans le but de

diffuser les notions de cybernétique à un public plus large. » 400

- Clarifier les concepts de champ et de Gestalt :

La Conférence sur les Mécanismes Téléologiques en Société « avait

recommandé au groupe entier qu'il clarifie les concepts de "champ" et de

393

WIENER N., op. cit., 1948, 1961, trad. Pélissier A., 1995, p. 31.

394

“Summary of the second Macy meeting, prepared by Warren McCulloch (mimeographed)”. Note de Heims.

395 HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 193. 396

WIENER N., op. cit., 1948, 1961, trad. Pélissier A., 1995, p. 25.

397

Ibid., p. 26.

398 Teleological Mechanisms and Circular Causal Systems. 399

“Tel. Mech.”: “Teleological Mechanisms in Society”, symposium organisé par Lawrence Frank pour l’Académie des sciences de New York.

"Gestalt", qui avaient été utilisés plutôt approximativement à la première rencontre […]. »401 Aussi, les chercheurs réunis à Macy 2 se sont-ils

efforcés de s’accorder sur les idées centrales de l’école Gestaltiste. Molly Harrower fut « pressée d'expliquer le "champ" de Köhler; elle était

réticente, puisqu’elle était profondément imprégnée des idées de Koffka, qu'elle savait différer de celles de Köhler. » 402 Si le spécialiste en

psychologie sociale Kurt Lewin apparaissait comme « le pont évident entre

Köhler et le groupe cybernétique […], » c’est cependant sa propre théorie

des champs qui « trouva une réception favorable […] » 403 :

« Tant Lewin que les cybernéticiens insistaient sur la description systémique et l'analyse. Et comme eux Lewin montrait un élan pour la formulation mathématique et la représentation - bien que la physique de Max Planck et la technologie d'ingénierie de la Deuxième Guerre Mondiale n’étaient pas des paradigmes semblables. » 404

Cette tentative de clarifier les concepts de champ et de Gestalt donna lieu à une vive controverse au cours de laquelle les congressistes ont rejeté

« les interprétations de Lewin, Harrower, Klüver comme ouï-dire […]. » 405

Ils ont estimé nécessaire d’attendre la venue de Köhler à la prochaine

rencontre, dans l’espoir d’obtenir ces clarifications.Bateson s’inquiétait de

la place que le groupe réservait à la Gestalt, une théorie du passé, mais

considérait que celui-ci s’était engagé à inviter Köhler.406

- Köhler et la théorie de la Gestalt :

Georges Thinès rappelle que, du moins en Europe, « le gestaltisme a

dominé la psychologie expérimentale jusqu'à la Seconde Guerre mondiale […]. Son influence a été profonde dans l'étude du comportement animal, depuis les travaux remarquables de W. Köhler sur l'intelligence des singes supérieurs. » 407 Quand, au début des années 1920, Köhler a repris la

direction de l’Institut Psychologique de l’Université de Berlin, celui-ci « est

devenu le centre mondial pour le gestaltisme […]. Les influences intellectuelles importantes pour Köhler et le travail de l'institut incluaient le physicien Max Planck à l'Université de Berlin, de qui Köhler apprit son concept de science et physique des champs, et le phénoménologue Edmund Husserl. » 408 A l’étude analytique des sensations pratiquée par

Helmholtz, Fechner ou Mach, les psychologues gestaltistes préfèrent l’étude de « l'organisation totale de la perception normale, » et l’analyse

husserlienne « de l’expérience réelle comme elle est […]. » 409 La théorie

de la Gestalt franchit un pas décisif lorsqu’elle affirme que la forme « est

401 HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 204. 402 Ibid., p. 235. 403 Ibid. 404 Ibid., p. 214. 405 Ibid., p. 205. 406

“Bateson to McCulloch, 27 November 1946”. Cité par Heims, op. cit., 1991, p. 235.

407 THINES G., “Gestaltisme”, Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 1er décembre 2012. URL: http://www.universalis-edu.com.distant.bu.univ-rennes2.fr/encyclopedie/gestaltisme/

408

HEIMS S. J., op. cit., 1991, pp. 206-207.

perçue immédiatement. La forme n'est donc pas une production de l'activité cognitive ; elle n'est ni la compréhension d'une relation entre les éléments sensoriels, ni l'émergence d'une représentation. » Köhler

considère « l'“apprentissage brusque” comme la preuve de l'émergence de

structures non associatives dans la solution des situations problèmes. » 410

Une longue série de recherches expérimentales va étendre progressivement « le concept de forme, comme principe explicatif, à tous

les types de comportement, de la simple perception aux opérations mentales supérieures […]. Cependant, c'est au domaine perceptif que sont empruntées la majorité des démonstrations classiques sur les formes […]. » La théorie de la Gestalt comporte comme principe essentiel

celui « de la structuration phénoménale, selon lequel tout champ perceptif

se différencie en un fond et en une forme » :

« La partie du champ qui est vue comme forme est celle qui est délimitée phénoménalement par un contour précis et retient l'attention. On la qualifie de “forme” non pas en raison de sa disposition géométrique, mais avant tout parce que sa différenciation perceptive est élevée. » 411

Les bonnes formes ou formes prégnantes « se dégagent de façon élective

dans un contexte particulier […]. La prégnance est considérée par les gestaltistes comme l'expression des capacités autorégulatrices de l'organisme ; elle intervient […] dans tous les processus qui régissent les relations entre l'organisme et le milieu. » Point important pour notre

recherche, « cette conception, particulièrement développée par Köhler

(1933) et par K. Goldstein (1934), a été opposée par les théoriciens de la forme aux explications mécanistes de l'organisme. Tandis que celles-ci prônent un modèle ponctuel fondé sur l'excitation locale et le réflexe, la théorie du champ aborde l'organisme comme un ensemble et étend cette interprétation aux fonctions physiologiques, et en particulier à l'intégration cérébrale. » 412 Le gestaltisme aura « permis surtout de

démasquer les insuffisances de l'atomisme mental et de l'interprétation mécaniste des phénomènes psychiques. » 413 L'expérience subjective était

pour les gestaltistes « la donnée principale. » 414 Köhler a développé en

1920 sa théorie de l'isomorphisme, qui constitue une généralisation de la

Gestalttheorie à la totalité des phénomènes, y compris les phénomènes

physiques :

410

THINES G., “Gestaltisme”, op. cit.

411 Ibid. 412

Ibid.

413

Ibid.

« Köhler justifie principalement cette extension conceptuelle en soulignant le fait que, dans la distribution du courant électrique dans un conducteur, par exemple, toute modification locale de la quantité d'électricité affecte l'équilibre de l'ensemble du système et réciproquement. […] On aurait donc affaire, ici encore, à des interactions entre le tout et les parties, régies par les lois qui gouvernent l'établissement et les transformations des formes. » 415

- Modèles mécaniques, Gestalt et théorie de la machine :

Pour la plupart des partisans du mécanisme 416 aux conférences, « les

éléments primaires du monde sont les "faits atomiques" et la langue nous fournit les images des faits atomiques. […] Pour eux, notre puissance de pensée logique […] plutôt que la complexité de nos expériences, était ce qui rend les humains intéressants. » 417 L'école gestaltiste s'opposait « aux

modèles mécaniques comme une question de principe. Köhler avait inventé une terminologie dans laquelle une "théorie de la machine" se référait seulement à la supposition de contraintes géométriques rigides. »

Il promouvait ainsi « son propre champ théorique comme une alternative

à une théorie de la machine. » 418 Heims illustre de manière éclairante les

notions de machine à contraintes géométriques rigides, de champ de Köhler, et de machine cybernétique :

« Ces trois types de mécanisme diffèrent comme suit. Un train fonctionnant sur des voies est une machine dont le mouvement est dirigé par des contraintes géométriques rigides. Un tir de satellite artificiel dans l'espace interplanétaire et se déplaçant ensuite librement sera dirigé par le champ de gravitation local ; si le satellite est suffisamment massif et vient suffisamment près de la lune, son propre champ de gravitation changera le mouvement de la lune. Ce mécanisme est analogue au "champ" de Köhler. Mais si un satellite est guidé par radiocommande depuis la terre, renvoyant peut-être des informations sur sa position, ou s'il a un programme incorporé, alors c'est une machine cybernétique. » 419

Heims observe que « les idées de Köhler au sujet de la perception

différaient aussi de celles provenant de l'ingénierie de communication. »

Tandis que Köhler avait posé dès 1920 « en principe un "isomorphisme

psychologique," par lequel "les faits psychologiques et les événements sous-jacents dans le cerveau ressemblent l'un à l'autre dans toutes les caractéristiques structurelles",420 les cybernéticiens « avaient utilisé la

métaphore du "codage" pour caractériser cette relation. Dans le codage, certaines relations abstraites sont préservées, mais des caractéristiques structurelles concrètes n'ont pas besoin de l'être. » Les cybernéticiens

prenaient en compte le fait que, moyennant un codage, la machine à calculer peut servir à mettre en fonction n’importe quel type d’opérations symboliques. Transposé au domaine du cerveau, ce résultat allait à

415 THINES G., “Gestaltisme”, op. cit. 416

« Conception selon laquelle l’ensemble des phénomènes naturels s’explique par les seules lois de cause à

effet. » (Le Petit Larousse/HER 2000.) 417 HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 208. 418

Ibid., pp. 235-236.

419

Ibid., p. 236.

l’encontre du principe Köhlerien d’isomorphisme psychologique. Ces deux concepts – isomorphisme psychologique et codage – devaient être abordés à la prochaine rencontre, en présence de Köhler. Du fait « de la

nature disparate des deux concepts, Bateson recommanda que le codage soit un des sujets majeurs du premier jour. Lewin et McCulloch furent d'accord et le programme fut fondé en conséquence. » Mais la mort de

Kurt Lewin le 11 février 1947 « a perturbé tous les plans et Köhler n'est

pas venu […]» 421 à Macy 3.

- Kurt Lewin :

Avant 1919, le psychosociologue Kurt Lewin « avait formulé l'idée que

l'application de la psychologie au travail […] » allait permettre « que le travail aboutisse à une haute productivité et soit psychologiquement bon pour l'ouvrier. » 422 Des années plus tard, il constata que l’application de la

psychologie sociale à des sites industriels se faisait au service des objectifs des sociétés industrielles « qui étaient contraire aux intérêts de

l’ouvrier. » 423 Avant les années 1940, Lewin « introduisit l'étude de la

"dynamique de groupe", utilisant les outils conceptuels de sa théorie des champs pour décrire le comportement des gens par rapport à un groupe.»

424 En 1944, il « fonda le Centre de recherches pour la Dynamique de

Groupe associée au M.I.T. […]. » 425 A partir de 1946, il découvrit les

concepts de base de la cybernétique et de la théorie des jeux grâce aux conférences Macy, et chercha aussitôt à les appliquer à ses recherches sur la psychosociologie des groupes. « Lewin était sûr que des lois de

psychologie rigoureuses pourraient être construites, données sous forme mathématiques, et évaluées expérimentalement, donnant ainsi à la psychologie le statut d'une science analogue à la physique.» 426 Pour

appliquer ces lois aux situations humaines réelles, il préconisait que le psychologue développe « un langage conceptuel sans équivoque, aussi

rigoureusement mathématique que praticable, pour décrire des situations concrètes […]. La description complète par le psychologue d'une situation humaine correspond à la spécification par le physicien d'une situation physique concrète. » 427

Lewin recherchait la cause d’un comportement, non dans l’enfance ou la personnalité de celui ou celle qui le produit, « mais comme une fonction

du "champ" actuel de son "espace de vie" total, un concept qu'il introduisait. » Avec l’exemple d’un prisonnier enfermé dans une cellule de

prison, Lewin, armé du concept d’espace de vie, a illustré « les

perméabilités diverses d'une frontière à la locomotion physique, sociale et mentale […] » 428 Mais les comparaisons de ses champs ou espaces de vie

421

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 236.

422

LEWIN K., “Die Sozialisierung des Taylor Systems – Eine grundsätsliche Untersuchung zur Arbeits-u. Berufs- Psychologie”, Praktischer Sozialismus 4 : 5-34, 1919 (Karl Korsch, ed.). Cité par Heims.

423

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 210.

424 Ibid., p. 216. 425 Ibid., p. 215. 426 Ibid., p. 210. 427 Ibid., p. 211. 428 Ibid., p. 212.

psychologiques avec ceux de la physique trouvaient leurs limites car « le

rigoureux espace-temps dynamique de la physique manque » 429 aux

champs psychologiques.Lewin avait pensé « que la jeune discipline

mathématique [nommée] "topologie" pourrait être d'une certaine aide pour faire de la psychologie une science réelle, » et s’était servi de ses

concepts. Mais cette direction de recherche l’avait obligé « à considérer

des domaines toujours plus larges de la psychologie et à faire face à des problèmes de plus en plus complexes. »430 La théorie des champs et

l'utilisation de la topologie dans la psychologie sociale restèrent sans lendemain.