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8 Une machine qui joue aux échecs :

14. Conférence Macy 9 :

A la neuvième conférence,1076 McCulloch s’est inquiété de voir certains

membres du groupe plus prompts à répondre aux demandes de l’Etat qu’à participer aux conférences. Il souligna aussi l’effet délétère du classement

secret défense : certains, comme von Neumann et Bavelas, avaient dû

renoncer à présenter des papiers parce qu’ils avaient été classés.

1073

Ibid., pp. 342-343.

1074 DUPUY J.-P., op. cit., 1994, 1999, p. 129. 1075

WIENER N., I Am a Mathematician, MIT Press, 1964 a, cité par Heims S., op. cit., 1980, 1982, pp. 155-156, trad. J.-P. Dupuy, op. cit., 1994, 1999, p. 129.

- Bateson et la question des paradoxes :

Bateson avait intitulé son intervention “La Place de l'Humour dans la Communication Humaine”. L’humour et sa compréhension ne représentent-ils pas une faculté humaine par excellence ? Avec ce thème, l’auteur allait-il montrer la limite de l’analogie entre l’esprit et les ordinateurs ? Bateson a commencé par une évocation élémentaire du langage et de la parole, qui suggérait l’idée que le message interpelle, convoque, oblige à prendre position. Evoquant le rire et la plaisanterie qui le déclenche, il a distingué le contenu informationnel en surface de la plaisanterie et les autres types de contenus implicites et liés au contexte : « Quand la pointe d'une plaisanterie est atteinte, soudainement ce matériel de fond est porté à l'attention et un paradoxe ou quelque chose comme cela est provoqué. Un circuit de notions contradictoires est achevé. » 1077

Bateson a-t-il soutenu, comme le dit Heims, « que le paradoxe dans

l'humour est le même que celui qui résulte du mélange des types logiques [russelliens] » ? 1078 Il les a en tout cas rapprochés, non sans en avoir

préalablement parlé à Wiener qui fut l’élève de Russell. Selon Bateson,

« ces paradoxes surgissent quand un message au sujet du message est contenu dans le message » :

« L'homme qui dit, "je mens", dit aussi implicitement, "la déclaration que je fais maintenant est fausse". Ces deux déclarations, le message et le message au sujet du message, s’entrecroisent l'une l'autre pour achever un système oscillant de notions : s'il ment, donc il dit la vérité; mais s'il dit la vérité, alors il ne ment pas ; etc. » 10791080

Le conférencier a ensuite abordé le paradoxe de la classe des classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes. Il a considéré que « le circuit des

idées qui est le paradoxe est fermé ou achevé en traitant sérieusement le contexte […]. » Puis il a formulé l’hypothèse que « les paradoxes sont le paradigme prototypique de l'humour, et que le rire arrive au moment où un circuit de cette sorte est achevé. […] Ces paradoxes sont l’étoffe de la communication humaine. » Selon Bateson, « dans la vie ordinaire, par

opposition à la conversation scientifique, nous acceptons continuellement les paradoxes implicites » : 1081

1077 BATESON G., “The position of Humor in Human Communication”, Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 542.

1078

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 108.

1079 BATESON G., op. cit., Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 543. 1080

A Macy 1, Wiener avait indiqué qu’une machine logique au prise avec un paradoxe russellien entrerait dans une oscillation sans fin de “oui, non, oui, non …” Note de l’auteur.

« La liberté de dire des bêtises, la liberté de considérer des alternatives illogiques, la liberté d'ignorer la théorie des types, est probablement essentielle pour des relations humaines confortables. En somme, je soutiens qu'il y a un ingrédient important commun aux relations humaines confortables, à l'humour et au changement psychothérapique, et que cet ingrédient est la présence et l'acceptation implicite des paradoxes. » 1082

A la liberté que confère l’acceptation des paradoxes implicites, Bateson oppose la rigidité de la logique. On comprend que sa conférence soit apparue provocatrice aux yeux de Heims : devant un parterre de savants rompus à la logique scientifique et aux principes du positivisme logique, Bateson soutenait qu’un ingrédient important pour des relations humaines confortables, pour l’humour, et qui est favorable au changement psychothérapique, réside dans le non-respect des règles logiques et dans l’acceptation implicite des paradoxes. En développant ce point de vue et en identifiant les « types divers de contenu implicite de messages » au

« contenu de l’inconscient, »1083 Bateson ne semble pas avoir suscité

d’émoi particulier dans l’assistance. Dans la suite de la discussion, il « a

suggéré que l'on puisse construire un circuit cybernétique qui oscillerait en réponse à certains types de contradictions. Cette idée, une machine avec le sens de l'humour, fut immédiatement reprise par d'autres. » 1084

Bateson a fortement critiqué quelques applications de la théorie des jeux de von Neumann. Selon lui, cette théorie « ignore essentiellement

l'homme et ne laisse aucune place à l'apprentissage. »1085 Quant à la

théorie de la décision de Savage, elle « dépend pratiquement du même

concept "utilitaire" que la théorie des jeux et est ouverte à la même critique. » Wiener a secondé Bateson « dans l'utilisation de la théorie des types comme métaphore pour critiquer les applications de la théorie des jeux […]. » McCulloch n’était pas d’accord non plus « avec le concept utilitaire de Savage et von Neumann. » Considérant « la "valeur" comme multidimensionnelle, "avec une très petite chance qu’elle soit simplifiée pour une mesure", » il a qualifié le concept utilitaire d’“illusoire”. Bateson

a continué à insister sur « l'obsolescence de la supposition anti-esthétique

[…] que tous les phénomènes (incluant le mental) [puissent] être étudiés et "évalués" en termes quantitatifs. » 1086

L’anthropologue avait abandonné l’étude des cultures non-occidentales

« pour étudier la communication en psychiatrie avec le psychiatre suisse Jurgen Ruesch à la Clinique Langley Porter de San Francisco. »1087 Il

commença par se servir du concept de codification appris aux conférences de cybernétique, selon lequel les humains opèrent une traduction qui réduit et simplifie l’information reçue. Par ces processus « les relations

parmi des événements externes sont systématiquement traduits dans d'autres relations parmi les événements et les processus de l’esprit. »

1082

Ibid., p. 544.

1083

Ibid.

1084 HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 109. 1085

Ibid., pp. 109-110.

1086

BATESON G., cité par Heims S. J., op. cit., 1991, p. 110.

Bateson reconnaissait « l'existence d'une vie psychique riche, en grande

partie inconsciente, » mais considérait que « la présence de la conscience dénote une complication extraordinaire du psychisme et beaucoup des problèmes spécifiquement humains et des dérèglements résultent de cette mise en miroir d'une partie du psychisme total dans le domaine de la conscience. » 1088

Le sujet d’étude principal de Bateson concernait les « interactions

communicatives entre les gens. » Il soulignait que « nos processus cognitifs-évaluatifs sont liés à de telles communications. » En septembre

1952, il informa Wiener qu’il travaillait sur « les énonciations et les actions

de malades mentaux, de psychiatres […] » et de lui-même. Il rassemblait « les séquences de communication qui arrive [sic] dans la psychothérapie et qui produit [sic] parfois des changements chez le médecin ou le patient, ou les deux. »1089 Aux rencontres Macy, il se laissa convaincre de la

nécessité de penser en termes de communication plutôt que d’énergie. Dès lors, le point de vue énergétique de Freud avec sa théorie de la libido

lui apparut induire « conceptuellement en erreur en psychiatrie. » 1090Au

moment des conférences, Bateson effectuait une psychothérapie Jungienne. Comme Wiener, il restait marqué par ses activités durant la Guerre. « Son biographe parle du "dégoût de Bateson d’avoir participé aux

manipulations brutes de l’anthropologie appliquée en temps de guerre”, […] avec le Bureau des Services Stratégiques en Extrême-Orient […]. » 1091

Bateson est connu « pour le développement du concept de double-

contrainte dans la schizophrénie, […] pour sa théorie cybernétique de l'alcoolisme et pour son attention précoce […] aux modèles familiaux.» 1092

Il a prôné une critique radicale et une reconstruction de « la pensée

traditionnelle au sujet des psychoses et des problèmes psychologiques, » qui devaient mener « à une perspective anthropologique et épistémologique plutôt que médicale sur la folie […], »

et éviter « la manipulation directe des gens pour leur bien. » 1093Au début

de ses recherches sur les modèles de communication parmi des schizophrènes, il avait été intrigué par les succès du psychiatre orienté par la psychanalyse John Rosen dans le traitement des schizophrènes :

« La réponse directe de Rosen aux psychotiques semblait être une forme théâtrale, puissante, de savoir empathique […]. Rosen l'a décrit comme la communication directe entre l’inconscient du patient et l’inconscient du thérapeute. » 1094

Bateson avait aussi été impressionné par la psychiatre et psychanalyste Frieda Fromm-Reichman, « une thérapeute particulièrement douée

1088 BATESON G., RUESCH, Communication, p. 182. Cité par Heims, op. cit., 1991, p. 148. 1089

“Bateson to Wiener, 22 September 1952”. Cité par Heims, op. cit., 1991, p. 149.

1090

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 149.

1091 Ibid., p. 147. 1092

Ibid., p. 151.

1093

Ibid., pp. 159-160.

travaillant avec des schizophrènes. » 1095 Le spécialiste en sciences

humaines était en désaccord avec le point de vue selon lequel « la

psychose est nécessairement une maladie et […] les psychotiques doivent être placés dans des cliniques psychiatriques […]. » De telles institutions

favorisent selon lui « le comportement de schizophrène, parce qu'un tel

comportement est bien adapté à l'environnement social de la plupart des cliniques psychiatriques. » 1096Celui qui va inspirer le mouvement de l’anti-

psychiatrie qui va voir le jour à partir des années 1960, a suggéré « que la psychose est plutôt une cérémonie initiatique vaste et douloureuse conduite par le moi, » le problème étant d’expliquer « l'échec de plusieurs, qui se lancent dans ce voyage, pour en revenir. »1097 Bateson, dont

l’intérêt principal portait sur les communications plutôt que sur la psychopathologie, recentra peu à peu son étude des paradoxes dans la communication au domaine de la schizophrénie :

« Pour aider à clarifier leurs idées, Bateson, Haley et Weakland se sont isolées dans une cabane dans les montagnes pendant deux jours, où ils ont débattu à fond la formulation de ce qui vint à être connu comme le concept de double- contrainte de la schizophrénie. » 10981099

Bateson fondait beaucoup d’espoir dans le parallélisme entre le fonctionnement des ordinateurs et les processus psychiques. Il demanda à Wiener s’il était concevable qu’un paradoxe posé à des ordinateurs

défectueux « puisse être thérapeutique. » Il entrevoyait la possibilité que

le psychothérapeute améliore ses méthodes en choisissant « cette

catégorie de paradoxes qui exercent [sic] la partie particulière qui est bloquée chez le patient particulier […]. » 1100 Les expérimentations qu’il a

réalisées à partir du concept de double-contrainte et des modèles cybernétiques sont à l’origine des méthodes thérapeutiques connues sous le nom de thérapies familiales conjointes, dans lesquelles la famille entière est traitée :

« Beaucoup d'idées de Bateson et de son groupe en Californie furent appliquées de façons diverses par d'autres psychothérapeutes. En particulier R. D. Laing en Angleterre reprit la théorie de la double contrainte dans le traitement des schizophrènes, et le travail du groupe de Palo Alto fut un des courants qui a alimenté le mouvement de la thérapie familiale qui a grandi dans les années 1960. » 1101 1095 Ibid., p. 152. 1096 Ibid., p. 153. 1097

Gregory Bateson, Perceval’s Narrative, (Stanford: Stanford University Press, 1961), cité par Heims S. J., op.

cit., 1991, p. 154. 1098

“Haley to Heims, interview, 2 April 1970”. Cité par Heims S. J., op. cit., 1991, p. 156.

1099

« Le premier papier publié […] sur la théorie de la double-contrainte est l’article de Bateson, Jackson, Haley

et Weackland intitulé "Towards a theory of schizophrenia", Behavioral Science 1: 1956, reprinted in Steps, pp. 201-227. » Note de Heims S. J., op. cit., 1991, p. 156.

1100

“Bateson to Wiener, 22 September 1952”. Cité par Heims S. J., op. cit., 1991, p. 156.

Bateson a concédé par la suite que sa théorie n’était pas « vraiment une

théorie dans le sens ordinaire, mais plutôt un nouveau langage ou une nouvelle épistémologie […]. » 1102

- La mesure des émotions :

Peut-être échaudé par l’accueil qui lui avait été réservé lors de ses précédentes interventions, Kubie n'a pas souligné la théorie psychanalytique dans sa conférence sur “La Place des Emotions dans le Concept de Feedback”, mais s’est posé « comme un naturaliste observant

les gens […] » 1103 et posant la question de la prise en compte scientifique

des émotions. Il s’est servi de concepts cybernétiques :

« Bien que les états émotionnels soient les produits de processus psychologiques complexes, ils sont aussi causaux en cela qu’ils exercent une fonction de feedback extrêmement importante sur les processus psychiques. Dans cette fonction circulaire ou de feedback, ils ressemblent au régulateur sur une machine; vraiment, c’est la clé majeure pour une compréhension du rôle des émotions dans la vie psychique. » 1104

Les congressistes « ont semblé trouver problématique d’obtenir une

définition claire » de « concepts comme exaltation, colère, émotion […] selon que ces termes étaient utilisés dans un rapport subjectif, une description behavioriste, ou en termes d'événements concomitants physiologiques. » Bigelow a jeté un froid sur l’aspiration de Kubie à

mesurer et évaluer quantitativement les émotions « en l'appelant un

malentendu dans l'utilisation appropriée des mathématiques […]. » 1105Il

lui semblait en outre « très peu probable qu’il y ait une mesure invariable

de la colère d'un homme au suivant. » 1106

- Modéliser l’homéostasie cérébrale :

Ross Ashby, dont ce sera la seule participation aux conférences, avait donné en 1951 une première description de son Homéostat. Par la suite, il

en avait conçu une version plus perfectionnée, « sorte de modèle

stochastique (introduction de phénomènes aléatoires) du cerveau. » Le

psychiatre et ingénieur pensait « que l'étude de tout phénomène

complexe ne peut être entreprise qu'à l'aide d'un modèle isomorphe qu'il s'agit de créer. C'est cette démarche qu'il décrit, en 1952, dans son premier traité, “Projet pour un cerveau” (Design for a Brain), où il expose sa conception de “cerveau artificiel”. » 1107 Il y interroge « l'origine de la

capacité unique du système nerveux de produire un comportement adaptatif. » Il tente « de comprendre ce qui est nécessaire et qu’elles doivent être les propriétés du système nerveux pour qu’il fonctionne à la

1102 Ibid. 1103

Ibid., pp. 127-128.

1104

KUBIE L. S., “The Place of Emotions and Feedback Concept”, Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 576.

1105

HEIMS S. J., op. cit., 1991, p. 128.

1106

BIGELOW J. H., cité par Heims S. J., op. cit., 1991, p. 128.

fois de manière mécaniste et adaptative. » 1108 L’auteur, qui ambitionne

« simplement de copier le cerveau vivant, » précise que si celui-ci « échoue d’une façon caractérisée […] » il souhaite que son cerveau artificiel « échoue également. » 1109

A Macy 9, Ashby a fait deux communications. Dans la première, intitulée “Homéostasie”, il a discuté de la manière dont « l’organisme réussit à

établir l’homéostasie dans le sens le plus large, comment l'organisme qui apprend réussit à réorganiser son équipement neuronal cérébral pour que, si inhabituel que peut être un nouvel environnement, il puisse apprendre à avoir l'action appropriée. » Jugeant que « cette approche a l'avantage de

fournir un type net et essentiellement objectif de problème, » Ashby a

proposé de « considérer la souris vivante comme étant essentiellement

semblables à la souris de rouage d'horloge et [à] […] utiliser les mêmes principes physiques et la même méthode objective dans l'étude des deux. » 1110 Dès 1947, Ashby avait tiré de ses expériences avec

l’Homéostat, l’idée de processus d’auto-organisation 1111 dans les

automates vivants et artificiels. A partir de 1953, von Foerster va

développer cette idée dans le cadre de la Seconde cybernétique.

Gardner crée une certaine confusion quand il assimile le point de vue d’Ashby à la méthode behavioriste. Bien qu’elle développe des thèses comportementales, la cybernétique se distingue du behaviorisme par la mise au jour des mécanismes logiques qui rendent compte de la réponse comportementale. Contrairement à la réponse behavioriste, la réponse cybernétique est relativement indépendante de l’environnement, du

stimulus. Gardner assimile le travail d’Ashby au behaviorisme 1112 à cause

du refus du chercheur de mêler des notions mentalistes à ses développements mécanistes. Le travail d’Ashby a intrigué les jeunes chercheurs et futurs pionniers du cognitivisme George Miller, Marvin Minsky, Allen Newell et Herbert Simon, « parce qu’il n’était pas

uniquement intéressé à réaliser une machine qui fonctionne bien. » 1113

- Mémoire de poulpe :

L’intervenant suivant était le neuroanatomiste britannique John Young. Sous le titre “Discrimination et Apprentissage chez le Poulpe”, il a rendu compte des expériences qu’il avait menées sur une préparation de poulpe pour examiner la capacité du mollusque à discriminer et à apprendre dans des situations de capture de proies. Le chercheur a d’abord décrit l'appareil neurologique avec lequel le poulpe apprend à faire des discriminations visuelles :

1108

ASHBY R. W., Design for a Brain, New York, John Wiley and Sons. Inc. London: Chapman and Hall. 1952, 1954, 1960, trad. de l’auteur, p. v. http://archive.org/stream/designforbrainor00ashb#page/n7/mode/2up 1109

Ibid., trad. Gardner H., op. cit., 1985, 1993, p. 40.

1110

ASHBY R. W., “Homeostasis”, Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik, op. cit., 2003, p. 593.

1111 ASHBY R. W., "Principles of the Self-Organizing Dynamic System", Journal of General Psychology, 1947,

volume 37, pages 125-128.

1112

Ibid., p. 41.

« Les cellules de la rétine projettent directement à la surface du lobe optique où il y a une rétine épaisse, dans laquelle la topographie de la rétine extérieure est préservée. […] Depuis [cette rétine épaisse], un système de cellules bipolaires et ganglionaires projette à l'intérieur […] du lobe optique, où il y a un arrangement anastomotique élaboré […]. Du lobe optique, une voie se dirige vers le lobe frontal supérieur […]. Les fibres du frontal supérieur conduisent au lobe vertical, et de là il y a des voies ramenant au lobe optique […]. Les outputs moteurs partent du lobe optique et peuvent être considérés comme produisant une des deux réponses, une action positive d'attaque ou une négative de retrait. » 1114 Le neuroanatomiste a montré à l’aide d’un film « comment le poulpe

apprend à ne pas attaquer quand on lui montre un crabe et un carré blanc car il en obtient un choc, mais à continuer à attaquer quand on lui montre un crabe seul. Cette discrimination est apprise très rapidement, en très peu d'essais. » L'expérience a consisté « dans la suppression du lobe

vertical. Après cette opération, l'animal a son pouvoir de rétention mnésique énormément réduit. » Alors que la mémoire dure « plus de quarante-huit heures chez l'animal normal, » elle « ne peut pas durer plus d'environ dix minutes » si le lobe vertical est enlevé. Cependant, « l'animal opéré peut toujours faire la discrimination dans son lobe optique. » 1115

L’expérience montre que certains comportements tels que la discrimination et la mémorisation ne requièrent pas l’intégrité des centres nerveux et dépendent de niveaux inférieurs d’intégration. Au cours de la discussion, Ashby a souligné « l'énorme avantage que le poulpe a sur

l’homéostat dans la capacité de maintenir une mémoire temporairement jusqu'à ce qu'il se décide si vraiment la mémoire vaut la peine d’être maintenue de manière permanente ; il peut alors ou fixer la mémoire ou l'abandonner. » 1116 Young a indiqué qu’il aimerait « plutôt penser à la

mémoire comme en grande partie une fonction d'un circuit réverbérant. »1117 Lacan va s’intéresser à ses travaux.

- Le ressort épistémologique des conférences :

A propos de la discussion qui a fait suite à l’exposé de Ralph Gerard

intitulé “Excitation et Inhibition Centrale”,1118 Heims considère que Bateson

a tenté « de déplacer la discussion pour qu’elle soit appropriée aux

spécialistes des sciences humaines.» 1119 Il nous semble plutôt que

l’anthropologue a tenu à réaffirmer le ressort épistémologique des conférences qu’il sentait s’éloigner, en rappelant que les participants n’essayaient pas de résoudre des problèmes neurophysiologiques, mais qu’ils étaient « profondément intéressés par la manière dont ceux qui

résolvent des problèmes neurophysiologiques le font, » qu’ils étaient

1114

YOUNG J. Z., “Discrimination and Learning in Octopus”, Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik,op. cit., 2003,

p. 620.

1115

Ibid.

1116

ROSS ASHBY W., Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik,op. cit., 2003, p. 622. 1117 YOUNG J. Z., op. cit., Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik, op. cit.,2003, p. 626. 1118

GERARD R. W., “Central Excitation and Inhibition”, Macy 9, 1952, Cybernetics-Kybernetik,op. cit., 2003, p.

641.

« intéressés par la nature de tels problèmes, parce que des problèmes comparables arrivent dans un nombre énorme d'autres domaines. » 1120

L’anthropologue a posé deux questions qui, sous des dehors neurophysiologiques, soulèvent des problèmes proprement cybernétiques. La première concernait la relation entre les caractéristiques du cerveau et le neurone conçu comme un élément auto-correctif : « comment les

caractéristiques attendues du servo total, du cerveau, changent si le neurone est vivant, s’il est lui-même un élément autocorrectif ? » 1121 Il a