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Cerveau calculateur, boucles neuronales et traitements :

rencontres pendant la Guerre (1943 1945) :

C. Résultats, rencontres et second cycle de conférences Macy (1949-1953) :

4. Cerveau calculateur, boucles neuronales et traitements :

McCulloch a publié en juin 1949 un article dans la lignée d’“Un Calcul logique…”, dont il a rappelé en 1955 le principe : « Les machines faites de

main d’homme ne sont pas des cerveaux mais les cerveaux sont une variété, très mal comprise, de machines computationnelles. » 841L’auteur

juge que « le cerveau peut être apparenté à un calculateur numérique

consistant en dix milliards de relais appelés neurones » et équipé de

fonctionnalités cybernétiques :

« La performance du cerveau est régie par du feedback négatif, des invariants attachés à des réseaux subsidiaires, ou des idées, des filtres prédictifs permettant de se mouvoir vers l’endroit où sera l’objet, et de servomécanismes complexes nous permettant d’agir avec aisance et précision. Les désordres de fonctionnement sont expliqués en termes de dommage de la structure, de voltage incorrect des relais et d’oscillations parasites. » 842

McCulloch conçoit « la pathologie neuropsychiatrique comme le champ des

dysfonctionnements structuraux et fonctionnels du système nerveux central. » 843 A l’instar de Wiener, il préconise des traitements en cas de

dysfonctionnement du cerveau conçu comme un ordinateur. Il rappelle que les calculateurs, y compris les cerveaux, sont traversés de courants électriques faibles, puis il énumère les paramètres chimiques propres à maintenir dans le cerveau « un niveau de voltage opérationnel. » Quand ces paramètres « viennent à manquer ou bien qu’une étape de la réaction

chimique est bloquée, le fonctionnement du circuit se détériore. La dépression, la manie, le délirium, la stupeur et le coma sont appelés des “psychoses fonctionnelles” parce qu’elles disparaissent quand le voltage approprié est rétabli. » 844 McCulloch préconise le rétablissement de celui-

ci au moyen de chocs électriques :

« Pour éliminer quelques-uns de ces dysfonctionnements, le cerveau reçoit une stimulation électrique et une crise épileptique se produit. […] Après la crise, il faut un certain temps pour que les batteries se rechargent et qu’il soit prêt à fonctionner à nouveau. » 845

Le cybernéticien s’intéresse à ce que ce cerveau-machine est censé faire une fois qu’il est de nouveau prêt à fonctionner, à savoir transmettre de

840

MILNER P., “Donald Hebb, Un pionnier des neurosciences”, Pour la science, mars 1993, n° 185, p. 85, cité par Pélissier A., Tête A., op. cit., 1995, pp. 156-157.

841

McCULLOCH W.S., cité par Pélissier A., Tête A., op. cit., 1995, p. 189.

842

McCULLOCH W.S., “The Brain as a Computing Machine,” Electrical Engineering, June 1949, LXVIII, p. 492- 497, “Du cerveau comme calculateur” in Pélissier A. et Tête A., op. cit., 1995, p. 192.

843

TETE A., op. cit., 1995, note n° 3, p. 207.

844

McCULLOCH W. S., op. cit., June 1949, 1995, p. 192.

l’information par des signaux analogiques ou numériques. Considérant toujours que la résultante de ces signaux s’apparente à un fonctionnement numérique, l’auteur considère que le cerveau est une machine logique dans laquelle s’effectuent des opérations de type booléen. Il rappelle que « Shannon fut le premier à appliquer un tel calcul

aux réseaux de relais, » mais qu’il n’a pas posé « le temps comme variable significative […]. »846 McCulloch et Pitts ont pris ce facteur en

considération et ont « prouvé qu’un système nerveux […] pouvait calculer

toute conséquence logique de son entrée ou, dans les termes de Turing, calculer tout nombre calculable. » 847 Concernant la sorte de mémoire que

cette temporalisation implique, McCulloch renvoie à l’hypothèse de Kubie : « Kubie fut le premier à suggérer et Lorente de Nó le premier à prouver que le cerveau a des chaînes réverbérantes de cellules nerveuses. Il ne s’agit que de circuits régénérateurs dans lesquels un ensemble de signaux mis en forme après une entrée peut circuler. L’ensemble conserve la forme de l’entrée mais ne réfère plus à un moment passé particulier. » 848

Pierre Levy résume le principe de cette théorie : « Pour qu’un réseau

neuronal puisse avoir des idées, il suffit qu’il dispose de circuits fermés ou de boucles dans lesquels l’invariant codé puisse tourner indéfiniment. Les circuits réverbérants libèrent ainsi les signaux de leur référence à un instant particulier ; en entrant dans une boucle, l’idée devient “éternelle”. » 849 De ces signaux mis en boucle et arrachés à leur

temporalité, il ne resterait qu’« un opérateur existentiel et la forme

impliquée ou l’idée […]. » McCulloch y voit l’origine des universaux : « Des opérateurs existentiels combinés avec la négation produisent des opérateurs universaux. » 850 851 En plus de ces nombreux circuits fermés

dans le cerveau, il en existe d’autres « entre celui-ci et le corps, et entre

eux et le monde : ce sont les feedbacks négatifs. » Ils servent « à instaurer un état du système [et] réagissent à toute déviation par rapport à l’état instauré en ramenant le système à cet état, et cet état est ainsi le but […] de cette opération. » 852 853 McCulloch rend hommage à Kubie

d’avoir été « le premier à prêter attention au noyau réitératif de chaque

névrose […]. » Pour le neuropsychiatre, la névrose est causée par un

feedback négatif excessif :

846 Ibid., p. 195. 847 Ibid., p. 196. 848 Ibid., p. 197. 849

LEVY P., op. cit., 1985 a, p. 219.

850

McCULLOCH W. S., op. cit., 1949, 1995, p. 197.

851 « Le difficile problème abordé ici concerne la transformation d’une perception « événementielle » en idée permanente, ce que [McCulloch] appelle le rapport d’un « moment passé particulier » à « l’idée », ou encore « toute espèce de mémoire qui pourra servir à dégager les universaux de la particularité de leur origine temporelle ». Pour exprimer formellement ce processus cognitif essentiel, l’auteur fait appel au quantificateur existentiel (qui représente la perception comme événement singulier) et au quantificateur universel ( ) (qui représentera l’idée permanente). Il invoque l’équivalence logique suivante : ¬ ( ) ¬ fx ≡ ( x) fx. » (PELISSIER

A., TETE A., op. cit., 1995, note n° 17, pp. 210-211.)

852 McCULLOCH W. S., op. cit., 1949, 1995, p. 199. 853

« McCulloch reprend l’argumentation de Rosenblueth, Wiener et Bigelow dans leur article de 1943 […] qui

refusent de prendre en compte une cause finale et posent le but comme une norme interne au système. »

« Les névroses commencent par un feedback normalement négatif allant en se régénérant, persistant dans son activité à tout instant, jour et nuit, pendant des mois et des années. Il tend à balayer de plus en plus de cellules dans son orbite et ainsi les écarte de leurs fonctions normales comme des calculateurs travaillant librement. » 854

Alors qu’une stimulation électrique suivie d’une crise d’épilepsie lui paraissent suffisantes pour remédier aux « psychoses fonctionnelles, » avec le « cerveau névrotique » McCulloch préconise, quand l’orbite de la réverbération « envahit les organes fondamentaux et devient obsessionnel

et compulsif, [de] […] recourir au bistouri du chirurgien pour couper les feedbacks du lobe frontal.» 855 McCulloch « était favorable à la

chimiothérapie qui en était à ses tout débuts en psychiatrie dans les années 40 et 50, et bien entendu à la micro-chirurgie des nerfs et du cerveau, y compris la lobotomie, louée à plusieurs reprises dans ses articles. » 856 Bien qu’il se soit « de temps en temps activement opposé

aux procédures chirurgicales radicales de plus en plus populaires […], » 857

son adhésion à leur principe semble avoir été proportionnelle à son rejet

de ce qu’il désigne comme « notre panoplie d’absurdités

psychodynamiques. »858 Le théoricien de la psychochirurgie, le portugais

Egas Moniz, reçut cette année-là « le prix Nobel pour la création de la

psychochirurgie et de l’angiographie cérébrale. » 859 McCulloch termine son

article en considérant que « plus nous intégrerons de feedback négatif

dans les machines et plus sûrement elles seront atteintes de névroses. »860