• Aucun résultat trouvé

supplémentaires : une réciprocité d’incrimination (1) ainsi que le respect d’un principe de complémentarité inversé (2).

i. L’exigence d’une réciprocité d’incrimination

L’article 689-11 du CPP dispose que pour que la compétence universelle puisse s’exercer à l’égard des autres crimes contre l’humanité et des crimes et délits de guerre, une réciprocité d’incrimination doit exister. Cette réciprocité d’incrimination signifie que les faits concernés doivent être incriminés dans la législation de l’État où les crimes ont été commis ou par la législation de l’État dont la personne soupçonnée a la nationalité si cet État est partie au Statut de Rome520.

Il convient de souligner que cette exigence ne s’applique pas au crime de génocide qui peut être poursuivi même si les faits ne sont pas incriminés par l’État sur le territoire duquel le crime a été commis ou même si l’État, dont la personne soupçonnée est ressortissante, n’est pas partie au Statut de Rome521.

Cette condition fut l’objet de beaucoup de critiques également. Comme étudié précédemment, la compétence personnelle active prévoit qu’un français ayant commis une infraction à l’étranger puisse être puni qu’à la condition, s’il s’agit d’un délit, que ce dernier soit réprimé sur le territoire de l’État où il l’a commis, en revanche, pour les crimes, aucune réciprocité n’est exigée522. Cela signifie donc qu’un français « n’est pas

censé commettre à l’étranger les actes que la France considère comme les plus graves dans la hiérarchie des infractions »523. Ainsi selon David Chilstein, plus une infraction se

distingue de par sa gravité, moins l’État « n’a à subordonner sa compétence répressive à l’appréciation du droit étranger ». Pour ce dernier, la France s’est positionnée de façon

520 Code de procédure pénale, article 689-11 521 Ibid.

522 Code pénal, article 113-6

106

contraire aux principes généraux du droit pénal international, en exigeant cette réciprocité d’incrimination pour les infractions considérées comme les plus graves et ce, en rupture avec ce qu’elle exige dans le cadre de l’exercice de la compétence personnelle active524.

Des critiques de la part d’ONG ont également été formulées et portent sur le fait que cette condition, restreignant l’exercice de la CU, concerne essentiellement des crimes qui se sont déroulés ou se déroulent sur le territoire d’États qui ne les ont pas incriminés ou qui, le cas échéant, ne sont pas parties au Statut de Rome525. Renée Koering-Joulin affirme

que « s’agissant d’une répression voulue universelle pour suppléer aux abstentions d’États qui, soit refusent de poursuivre ces crimes, soit carrément refusent de les incriminer, une telle exigence est sans objet »526.

Cette exigence ne fait pas l’unanimité et constitue un frein pour la justice française dans sa lutte contre l’impunité. Cependant, ce n’est pas le seul frein législatif puisque la quatrième et dernière condition contribue tout autant à laisser une place à l’impunité.

ii. Un principe de complémentarité inversé

L’article 689-11 du CPP dispose que la poursuite se fait à la requête du Procureur de la République antiterroriste comme vu précédemment et ce, « si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l’extradition de la personne »527. De

plus, l’article poursuit que le Procureur doit s’assurer de « l’absence de poursuite diligentée par la CPI et vérifie qu’aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n’a demandé sa remise et qu’aucun autre État n’a demandé son extradition »528.

Ainsi, il s’agit d’un principe de complémentarité inversé. En effet, le principe de complémentarité est un principe en vertu duquel il appartient aux juridictions nationales, en priorité, de poursuivre et de juger les auteurs de crimes prévus au sein du Statut de

524 Florence BELLIVIER et David CHILSTEIN, op. cit., p. 11

525 Didier REBUT, Droit international pénal, Précis Dalloz, 2014, para. 197, p. 118

526 Renée KOERING-JOULIN, 70 ans après Nuremberg. Juger le crime contre l’humanité, Ouvrage issu

du colloque organisé par la Cour de Cassation le 30 septembre 2016, 2017, p. 85

527 Code de procédure pénale, article 689-11 528 Ibid.

107

Rome529. A ce titre, on parle d’une « compétence subsidiaire » de la CPI530 qui n’entrera

en jeu qu’en cas de défaillance de l’État (manque de volonté ou de capacité) à exercer les poursuites531.

Cette condition française est contraire à la lettre et à l’esprit du Statut de Rome. En effet, exiger de la part du Procureur de vérifier si la Cour a décliné sa compétence, est aller à l’encontre du principe de complémentarité prévu par cette dernière. Comme l‘explique justement Delphine Brach-Tiel, « dans le système de justice pénale internationale issu du statut, le juge de droit commun des crimes internationaux doit être le juge national » ce qui n’est pas le cas du juge français conformément à la lettre de l’article 689-11532. De

plus, exiger la vérification que la CPI a décliné sa compétence fait perdre un temps important à la procédure en en rallongeant son cours533.

Ainsi, on peut remarquer que l’exercice de la compétence universelle semble plus difficile en France notamment par l’exigence de respect de quatre conditions mais également parce que l’une de ses conditions relatives à l’exigence de résidence habituelle du suspect sur son territoire voue presque systématiquement l’exercice de la CU à l’échec.

*

Dans les deux législations, une immixtion très claire du pouvoir politique se fait ressentir notamment à travers la condition relative à l’accord du Procureur. Ainsi, dans les deux législations, pour que des poursuites puissent être entreprises à l’encontre des principaux responsables des crimes commis à l’encontre des Rohingyas, ces derniers doivent au moins se présenter sur l’un des deux territoires et même y vivre de façon concrète et stable pour remplir la condition française. De plus, si leur présence/résidence habituelle était attestée, ces poursuites ne doivent pas porter atteinte aux relations diplomatiques des pays avec le Myanmar ou ses alliés principaux tels que la Chine, partenaire économique

529 Statut de Rome, Préambule

530 Marie LUGAZ, La France va-t-elle enfin refuser de garantir l’impunité aux auteurs de crimes

internationaux ?, QuidJustitiae, 12 février 2013, http://www.quidjustitiae.ca/blogue/la-france-va-t-elle- enfin-refuser-de-garantir-limpunite-aux-auteurs-de-crimes-internationaux, page consultée le 4 mai 2019

531 Statut de Rome, article 17

532 Delphine BRACH-TIEL, Et toujours pas de vraie compétence universelle en matière de crime contre

l’humanité !, AJ Pénal 2019. 95

108

important de la France et du Canada. Elle était le septième partenaire d’exportations et d’importations de la France en 2015534 et le deuxième partenaire d’exportations et

d’importations du Canada en 2015535.

S’agissant des conditions relatives à la France, une réciprocité d’incrimination étant exigée pour les autres crimes contre l’humanité et les délits et crimes de guerre, le Code pénal du Myanmar ne les prévoit pas dans son ordre juridique536. Cependant, pour le

crime de génocide, la réciprocité n’est pas exigée donc les poursuites pourraient avoir lieu sur cette base537 . Finalement, pour que l’exercice de cette compétence puisse être

effectif si les autres conditions sont remplies elles aussi, la France devrait interroger la CPI afin de voir si elle décline sa compétence, ce qui serait forcément le cas en vertu du principe de complémentarité.

Ainsi, l’exercice de la compétence universelle à l’égard de ces individus semble beaucoup plus envisageable par le Canada sous réserve d’un accord du Procureur et ce, étant donné les relations économiques unissant la Chine, fervente alliée du Myanmar, et le Canada. Après étude des conditions communes et propres à chaque ordre juridique, il convient de finir l’étude de cette partie théorique sur la spécificité propre à chaque cas, français et canadien, concernant la compétence universelle et qui montre, une fois encore, la difficulté de mise en œuvre de poursuites basées sur cette CU.

C. Une particularité propre à chaque cas de compétence universelle restreignant son