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Les crimes qui se sont déroulés exclusivement sur le territoire du Myanmar, majoritairement commis par l’armée, la Tatmadaw, sont constitutifs de crimes internationaux pour lesquels la CPI est compétente, en vertu de son article 5158. Il s’agit

ainsi du génocide, du crime contre l’humanité et du crime de guerre159.

Pour que la CPI puisse exercer sa compétence à l’égard de ces crimes, sur la base des articles 12(a) et 12(c), il faut, soit que le Myanmar soit partie au Statut de Rome, soit que les auteurs de ces atrocités soient des ressortissants d’un État ayant ratifié le Statut160. Un

obstacle de taille rendant impossible la saisine de la Cour sur la base de 12(a) et 12(c) s’est très vite présenté : le Myanmar, anciennement appelé Birmanie, n’est pas partie au Statut de Rome161.

155 Didier REBUT, Droit international pénal, Précis Dalloz, 2014, , p. 640, para. 1101

156 Raphaëlle NOLLEZ-GOLDBACH, La Cour pénale internationale, Que sais-je, 2018, p. 51 157 Ibid.

158Statut de Rome, article 5 159 Cf Chapitre 1, Partie 1

160 Concernant la question de reconnaissance de la compétence, cette option sera étudiée dans notre

prochaine division, raison pour laquelle je n’en évoque pas la possibilité ici)

161Action mondiale des Parlementaires, Birmanie- Campagne sur le Statut de Rome de la CPI,

https://www.pgaction.org/fr/programmes-and-campaigns/rome-statute/asia/myanmar.html, page consultée le 13 mai 2019

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De plus, les exactions commises envers les Rohingyas l’ont été par des ressortissants du Myanmar, cette condition de nationalité faisant aussi défaut. Ainsi, la saisine de la Cour sur la base des articles 12(a) et 12(c) est inopérante.

La dernière option envisageable en l’espèce aurait été un déferrement de cette situation par le Conseil de sécurité des Nations Unies, en vertu de 12(b) du Statut. En effet, aucune exigence territoriale ni personnelle n’étant requise, les faits commis sur le territoire du Myanmar qui n’est pas partie aurait pu être déféré par le Conseil de sécurité à la Cour162.

Cependant, les membres permanents du Conseil, à savoir la Chine, la Russie, les États- Unis, la Grande-Bretagne et la France, disposent d’un droit de VETO leur permettant de faire échec à cette saisine163.

En l’espèce, il est quasiment improbable qu’une saisine relative aux graves exactions commises au Myanmar par l’armée puisse avoir lieu un jour. En effet, la Chine se révèle être une importante partenaire économique du Myanmar164. Cette dernière a énormément

investi sur son territoire. Bob Rae le démontre dans son rapport sur la crise des Rohingyas. Il a étudié cette alliance, principalement économique, entre les deux pays et a fait état d’un « plan d’infrastructure » de la part de la Chine à destination du Myanmar qui prévoit la création de routes, de barrages ou encore de ports165. De plus, 70% de l’équipement

militaire birman provient de la Chine. De ce fait, et comme le souligne M. Rae, « il ne fait aucun doute que la Chine joue à présent un rôle majeur en Asie du Sud et du Sud- Est » et donc au Myanmar166. La France avait d’ailleurs eu la volonté de soumettre une

résolution visant à la saisine de la Cour au regard des crimes commis à l’encontre des Rohingyas. Cependant, le pays a abandonné l’idée, la Chine menaçant d’apposer son VETO167.

Ainsi, l’impuissance de la Cour en l’espèce ne peut être que soulignée. C’est en ce sens que Marc Perrin de Brinchambaut, juge à la CPI, qualifiait la compétence de la Cour de

162 Statut de Rome, article 12(b)

163 Raphaëlle NOLLEZ-GOLDBACH, op. cit., p. 9

164 La Chine est l’une des principales partenaires d’exportation et d’importation du Myanmar

165 Bob RAE, Dites-leur que nous sommes humains, Ce que le Canada et le monde peuvent faire au sujet

de la crise des Rohingyas, 2018, p. 36, https://international.gc.ca/world- monde/assets/pdfs/rohingya_crisis_fra.pdf, rapport consulté le 15 mai 2019

166 Ibid.

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« quasi-universelle » dans la mesure où elle ne peut pas intervenir dans toutes les situations168. Selon le Juge Perrin de Brinchambaut, sa compétence ne sera universelle

qu’à partir du moment où elle aura « l’autorité nécessaire » pour traiter de toutes les situations169.

C. Une situation critiquable

L’utilisation de ce droit de VETO relative à l’article 12(b) met ainsi en exergue une politisation de l’exercice de cette compétence (1) qui, selon la doctrine et certains États, doit amener à un changement procédural pour mettre fin à l’impunité (2).

i. Un exercice politisé

L’exercice de ce droit de VETO ne peut que mettre en lumière la politisation de l’exercice de cette compétence170 . L’un des exemples les plus criants est celui de la situation en

Syrie. En 2014, la France et la Grande-Bretagne ont souhaité saisir la Cour pour les faits commis sur le territoire syrien, constitutifs de crimes internationaux pour lesquels la Cour est compétente. Cependant, un VETO de la part de la Chine et surtout de la Russie, alliée militaire de la Syrie a été apposé, laissant place à l’impunité face à des crimes d’une extrême gravité171. La situation au Myanmar se révèle similaire. L’intérêt politique passe

avant la lutte contre l’impunité.

Ce qui est des plus paradoxal et critiquable est, que sur les cinq membres permanents disposant ainsi du droit de VETO, et pouvant de ce fait faire échec à la saisine de la Cour, seulement deux sont parties au Statut de Rome, la France et la Grande-Bretagne. Cela signifie que la Chine, la Russie et les États-Unis ne pourront faire l’objet de poursuites devant la CPI mais disposent quand même d’un pouvoir majeur dans le choix, ou non, de déférer une situation à la Cour172.

168 JCP, 3 questions à Marc Perrin de Brinchambaut, second vice-président de la CPI, ancien diplomate

et juge français, 2018, p. 440.

169Ibid.

170 Amané GOGORZA, Rohingyas en Birmanie, quel rôle pour le droit pénal international ?, Recueil

Dalloz, 2017, p. 2360.

171 Raphaëlle NOLLEZ-GOLDBACH, op. cit., p. 52 172 Raphaëlle NOLLEZ-GOLDBACH, op. cit., p. 9

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La doctrine parle d’un « assujettissement de la justice pénale internationale au pouvoir politique incarné par le Conseil de sécurité »173. En plus du droit de VETO conféré aux

membres permanents, d’autres exemples majeurs de politisation sont illustrés : l’article 16 du Statut de Rome permet au Conseil de Sécurité des Nations Unies de pouvoir mettre en place un sursis à enquêter à destination de la Cour, sur sa demande174. Ces prérogatives

confiées au Conseil de sécurité peuvent avoir des impacts majeurs sur la lutte contre l’impunité que la Cour est censée combattre et l’exemple de la Birmanie en est un explicite.

173 Didier REBUT, op. cit., para. 1110, p. 642. 174 Statut de Rome, article 16

34 ii. La volonté d’un changement procédural

La volonté d’un changement procédural, relativement à l’existence de ce droit de VETO, est claire. Le traumatisme du VETO apposé notamment par la Russie pour la situation en Syrie s’est très vite fait ressentir. En effet, l’Assemblée générale des Nations unies, peu de temps après, s’est questionnée sur la légitimité de ce droit face à des atrocités de masse175. C’est en ce sens qu’une proposition de suppression de ce droit a été formulée

par la France et le Mexique. Ces derniers ont estimé que « le Conseil de sécurité ne devrait pas être empêché, par le recours au veto, d’agir afin de prévenir ou mettre un terme à des situations impliquant des atrocités de masse » tout en soulignant que « le veto n’est pas un privilège mais une responsabilité́ internationale »176. Or, il est très difficile d’imaginer

que la Russie, alliée de la Syrie, accepte cette proposition, tout comme la Chine en l’espèce.

Cependant, cette proposition peut légitimement ouvrir la porte à une limitation de ce droit face à des crimes graves commis tels que le génocide, le crime contre l’humanité ou encore le crime de guerre et la compétence la cour ne s’en verrait plus qu’élargie177. Un

nombre important d’État, 101 en avril 2019, soutenaient l’initiative prise par la France et le Mexique178.

Il reste à voir quand et comment les choses évolueront dans la mesure où face à la crise des Rohingyas, rien n’a évolué et les crimes commis exclusivement sur le territoire birman ne peuvent être déférés à la Cour. Les alliances politiques, économiques continuent de prévaloir face à la lutte contre l’impunité.

Une autre option aurait pu être fonctionnelle et de ce fait, mettre fin à cette absence de possibilités de saisine de la CPI : l’acceptation de la compétence de la Cour par le Myanmar.

175 70ème Assemblée générale des Nations Unies, Déclaration politique sur la suspension du veto en cas

d’atrocités de masse, Présentée par la France et le Mexique, Ouverte à la signature des Nations Unies, 2015, https://onu.delegfrance.org/IMG/pdf/2015_08_07_veto_political_declaration_-_fr.pdf, page consultée le 15 mai 2019

176Ibid.

177 Raphaëlle NOLLEZ-GOLDBACH, op. cit., p. 126

178 Représentation permanente de la France auprès des Nations Unies à New-York, La France et la

réforme de l’ONU, https://onu.delegfrance.org/La-France-et-la-reforme-de-l-ONU, page consultée le 16 mai 2019

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II.Une possibilité d’acceptation de la compétence de la Cour par le

Myanmar ?

Cette option est prévue aux articles 12(2) et 12(3) (A) et repose sur une bonne volonté de l’État en question (B).

A. L’importance de l’article 12 du Statut de Rome

L’article 12 du Statut de Rome prévoit la possibilité pour un État qui n’est pas partie au Statut de Rome et donc qui ne l’a pas ratifié, d’accepter la compétence de la Cour sur une situation donnée, afin que cette dernière puisse connaître de faits qui lui auraient échappé soit car ils auraient été commis sur le territoire d’un État non partie, soit par le ressortissant d’un État non partie179.

Cette question ne se pose pas pour les États parties dans la mesure où dès lors que la ratification du Statut intervient, ces derniers acceptent automatiquement la compétence de la Cour180. A l’inverse, les États reconnaissant la compétence de la Cour ont fait le

choix de ne pas adhérer au Statut de Rome et de permettre à la Cour d’exercer de manière ponctuelle sa compétence à l’égard de faits donnés.

L’article 12(3) du Statut de Rome régit cette possibilité en prévoyant qu’un État, afin de reconnaitre la compétence de la Cour à l’égard de crimes dont elle est compétente, doit adresser au Greffier de la Cour une déclaration contenant son consentement relativement au(x) crime(s) concerné(s)181. Plusieurs États, non parties au Statut, ont déjà fait le choix

d’exercer cette possibilité. C’est notamment le cas de la République de Côte d’Ivoire en 2003 mais également en 2010182 concernant les violences postélectorales durant

179 Raphaëlle NOLLEZ-GOLDBACH, op. cit., p. 50 ; Statut de Rome, article 12(2) 180 Statut de Rome, article 12(1)

181 Statut de Rome, article 12(3)

182 Président de la République de la Côte d’Ivoire, Déclaration de reconnaissance, 14 décembre 2010,

https://www.icc-cpi.int/nr/rdonlyres/498e8feb-7a72-4005-a209-c14ba374804f/0/reconcpi.pdf, page consultée le 16 mai 2019

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lesquelles des crimes prévus à l’article 5 du Statut auraient été commis. Ces faits font l’objet d’une enquête depuis le 3 octobre 2011183.

La Palestine a fait également le choix de reconnaitre la compétence de la Cour pour des crimes en 2015 commis sur son territoire depuis le mois de juin 2014184. L’examen

préliminaire relatif à cette situation est toujours en cours actuellement185.

Finalement, l’Ukraine a elle aussi reconnu la compétence de la Cour en 2014 et 2015 pour des crimes relevant de la compétence de la Cour, notamment le crime contre l’humanité, qui auraient été commis durant la révolte du Maïdan. Un examen préliminaire a débuté en avril 2014186.

Cette acceptation n’entraîne pas immédiatement l’ouverture d’une enquête. C’est le Procureur qui en décidera, à la suite de l’examen des informations à sa disposition187.