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En droit international, la persécution est un crime qui est apparu dans le Statut de Nuremberg en son article 6c en tant que crime contre l’humanité296.

La doctrine a tenté de définir, d’interpréter la notion en considérant que la persécution est « une action ou politique d’un État visant à harceler, tourmenter, opprimer ou discriminer à l’égard d’une personne en vue de lui causer des souffrances physiques, mentales ou de lui nuire économiquement en raison des convictions ou opinions de la victime ou de son appartenance à un groupe identifiable donné »297. Cette définition fut largement adoptée

en doctrine.

Le Statut de Rome adopte une définition similaire, en son article 7(2)(g) qui dispose que : « Par « persécution » on entend le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du droit international, pour des motifs liés à l’identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l’objet »298.

Le Statut l’incrimine lorsque, conformément à l’article 7(1)(h), cette persécution est commise dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, contre :

« Tout groupe ou toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, nationale, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour »299.

Ainsi, pour que la persécution soit constituée, l’existence d’une attaque généralisée ou systématique est nécessaire, ce qui a été largement prouvé en l’espèce300. Cette

persécution doit consister en un déni intentionnel des droits fondamentaux (1) et doit être

296 Sébastien MARMIN, Le nettoyage ethnique, Aspects de droit international, L’Harmattan, 2014, p.

249.

297 Chérif BASSIOUNI, Crimes against humanity in International Criminal Law, Historical evolution

and contemporary application, Cambridge University Press, 2011, p. 17.

298 Statut de Rome, article7(2)(g) 299 Statut de Rome, article 7(1)(h)

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réalisée sur la base de motifs discriminatoires (2). Elle doit être commise en corrélation avec un article visé par l’article 7 ou tout autre crime qui relève de la compétence de la Cour (3). Finalement, la compétence de la Cour, relativement à ce crime sera examinée pour les faits concernés en l’espèce (4).

i. Déni des droits fondamentaux

Le déni des droits fondamentaux, essence même de la persécution, peut prendre différentes formes. Il peut s’agir d’un comportement passif ou actif prévu ou non dans le Statut de Rome301. La seule exigence y étant attachée : il faut que le comportement revête

une certaine gravité302.

Dans l’affaire Kvočka et consorts du TPIY, la Cour énumère différents actes qui, s’ils sont réalisés sur la base de motifs discriminatoires, peuvent être constitutifs d’une persécution. On y retrouve les violences sexuelles, le meurtre, la destruction de villages mais également le transfert forcé et la déportation303.

Ainsi, en l’espèce, la déportation est au cœur de toutes les discussions et pourrait constituer l’infraction sous-jacente nécessaire pour que la persécution soit constituée. Ses éléments, selon le BDP sont caractérisés. D’autres comportements dont les divers rapports étudiés font l’objet, peuvent eux aussi être évoqués tels que des meurtres, les destructions de villages des Rohingyas mais également les viols qu’ont subis les femmes. Pour que la persécution soit constituée, la déportation et les autres infractions telles que le meurtre ou encore les destructions doivent être commises sur la base de motif discriminatoires à l’encontre des Rohingyas.

301 CPI, Chambre préliminaire I, Commission internationale de juristes, op. cit., para. 26 302 Ibid.

303 TPIY, Chambre de première instance, Le Procureur c. Miroslav Kvočka et consorts, Jugement, IT-98-

61 ii. Les motifs discriminatoires

Relativement à l’exigence d’existence de motifs discriminatoires, dans l’affaire Natelitić et Martinović, le TPIY a affirmé que l’auteur de la persécution « doit se rendre délibérément coupable de l’acte ou de l’omission et être animé de l’intention spéciale d’opérer une discrimination à l’encontre de la victime »304 . Ainsi, les victimes sont

choisies en raison de leur appartenance à un groupe spécifique ou à une collectivité. En effet, ces dernières sont identifiables « en considération d’un critère reconnu universellement comme inadmissible en droit international »305. Le Statut de Rome en

dresse d’ailleurs la liste à 7(1)(h)306. Les victimes sont persécutées parce qu’elles

appartiennent à un groupe politique, à un groupe ethnique ou encore à un groupe religieux307. Sébastien Marmin, pour illustrer la persécution, prend l’exemple des crimes

commis envers les non-serbes (les musulmans bosniaques, les roms mais encore les croates) en Bosnie. Il affirme que les victimes ont été identifiées car leurs « attributs ne correspondaient pas aux références exigées »308.

En l’espèce, il est clairement établi que les Rohingyas sont discriminés en raison de leur ethnie, différente de celle des nationaux du Myanmar, comme étudié précédemment dans notre mémoire. L’aversion de ces derniers envers les Rohingyas est plus qu’établie et s’est illustrée à de maintes reprises notamment par la non-reconnaissance de ces derniers en tant que nationaux de la Birmanie et en raison des nombreuses exactions commises sur ce territoire et ce, seulement envers eux.

Finalement, pour pouvoir être constituée, la persécution doit être nécessairement en relation avec un crime particulier.

304 TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Malden Natelitić et Vinko Martinović,

Jugement du 31 mars 2003, para. 638

305 Aurélien Thibault LEMASSON, Pierre TRUCHE, Pierre BOURETZ, Justice internationale

pénale :crimes, Dalloz, février 2016, para. 51

306 Statut de Rome, article 7(1)(h) 307 Ibid.

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iii. La nécessaire corrélation avec un crime visé à l’article 7 ou un autre crime relevant de la compétence de la Cour

Une corrélation doit exister entre la persécution et l’un des crimes prévus par le Statut de Rome. Cette exigence est apparue au sein du Statut de Nuremberg, à l’article 6(c) qui dispose que :

« Les actes suivants, ou l'un quelconque d'entre eux, sont des crimes soumis à la juridiction du Tribunal et entraînent une responsabilité individuelle :

(c) ' Les Crimes contre l'Humanité ': c'est-à-dire l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime »309.

Le Statut de Rome a ainsi repris cette exigence comme vu dans la définition du crime de persécution et l’a notamment rappelé dans sa jurisprudence comme par exemple dans la décision de la Chambre préliminaire III dans la situation relative au Burundi : « The conduct constituting persecution must have been committed in connection with any other crime within the jurisdiction of the Court »310. La Chambre le rappelle d’ailleurs dans sa

décision du 6 septembre311.

Le terme de corrélation suppose ainsi que les deux crimes soient en « rapport »312, qu’un

lien existe entre eux deux. En l’espèce, cette corrélation existe bel et bien. La persécution est assurément commise en lien avec l’un des crimes prévus par l’article 7 du Statut de Rome : la déportation (comme étudié précédemment).

309 Statut du Tribunal de Nuremberg, article 6(c)

310 CPI, Chambre préliminaire III, Situation in the republic of Burundi, Public Redacted Version of

“Decision Pursuant to Article 15 of the Rome Statute on the Authorization of an Investigation into the Situation in the Republic of Burundi”, ICC-01/17-X-9-US-Exp, 25 October 2017, para. 131.

311 CPI, Chambre préliminaire I, op. cit., para. 75.

312 Dictionnaire Larousse, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/corrélation/19435, page

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iv. La compétence de la Cour relativement à la persécution

Les représentants non-gouvernementaux du Bangladesh, dans leur décision rendue en application de la procédure d’amicus curiae, ont affirmé que la CPI était compétente pour connaître du crime de persécution pour principalement deux raisons313.

D’abord, comme étudié dans la partie sur la déportation, la théorie de l’ubiquité (la prise en compte du lieu sur lequel le résultat de l’infraction a eu lieu) le permet, et en ce sens, un élément du crime de persécution doit se dérouler sur le territoire du Bangladesh. C’est le cas de la déportation, l’infraction sous-jacente requise comme élément du crime, avec le franchissement d’une frontière internationale314.

Dans un second temps, la compétence se justifierait en raison de la nature du crime de persécution. Effectivement, selon eux, il s’agit d’une infraction continue, c’est-à-dire une infraction qui se prolonge, qui dure dans le temps et ce, sans interruption315. Ils reprennent

ainsi l’argument du TPIR selon lequel les infractions continues sont des infractions pour lesquelles la Cour peut exercer sa compétence et prennent l’exemple de l’affaire Lubanga316. L’enrôlement et la circonscription d’enfants est une infraction continue qui

ne prend fin seulement lorsque les enfants quittent les forces armées317. Cette infraction

continue de persécution ne cessera selon eux dès lors que les autorités birmanes permettront un retour prompt et sain aux Rohingyas et leurs familles et que leurs droits seront reconnus318.

Ainsi, si l’on met en application la théorie de l’ubiquité ainsi que le caractère continu de la persécution, la compétence de la Cour serait possible car, même si elle a démarré sur le territoire d’un État non partie (le Myanmar), elle s’est poursuivie sur le territoire du Bangladesh (État partie) en raison de son caractère continu, de sorte que l’un de ses

313 CPI, Chambre préliminaire I, Bangladeshi Non-Governmental Representatives, Amicus Curiae

Observations by the Bangladeshi Non-Governmental Representatives (pursuant to Rule 103 of the Rules) on the “Prosecution’s Request for a Ruling on Jurisdiction under Article 19(3) of the Statute” , ICC- RoC46(3)-01/18, 18 juin 2018

314 Ibid., paras. 67-68.

315 CPI, Chambre préliminaire I, Bangladeshi Non-Governmental Representatives, op. cit., paras. 69-73 316 Ibid.

317 CPI, Chambre préliminaire I, Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision sur la confirmation

des charges, ICC-01/04-01/06 29 janvier 2007, para. 248.

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éléments s’est déroulé sur le territoire du Bangladesh, justifiant ainsi la compétence de la Cour en l’espèce.