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La France et le Canada face à la crise des Rohingyas : quand agir devient nécessaire au regard de la compétence limitée de la Cour pénale internationale

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© Anne-Sophie Zanga, 2019

La France et le Canada face à la crise des Rohingyas :

quand agir devient nécessaire au regard de la

compétence limitée de la Cour pénale internationale

Mémoire

Maîtrise en droit - avec mémoire

Anne-Sophie Zanga

Université Laval

Québec, Canada

Maître en droit (LL. M.)

et

Université Toulouse 1 Capitole

Toulouse,France

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ii

.

RESUME

Ce mémoire de recherche en droit comparé est relatif à la crise des Rohingyas. Plus précisément, il vise à étudier le rôle que pourraient jouer la France et le Canada, d’un point de vue pénal, afin de juger les principaux responsables des crimes commis à l’encontre des Rohingyas au Myanmar, étant donné la compétence limitée de la Cour pénale internationale.

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iii

SOMMAIRE

. RESUME ... II . PRINCIPALES ABREVIATIONS ... VI . REMERCIEMENTS ... VII . INTRODUCTION ... 1

. PARTIE 1 : UN ROLE LIMITÉ DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE ... 14

. CHAPITRE 1 : LES CRIMES INTERNATIONAUX, AU REGARD DU STATUT DE ROME, COMMIS A L’ENCONTRE DES ROHINGYAS ... 15

I. Le génocide ... 16

II. Le crime contre l’humanité ... 21

III. Le crime de guerre ... 24

. CHAPITRE 2 : INCOMPETENCE DE LA COUR PENALE INTERNATIONALE POUR LES FAITS COMMIS EXCLUSIVEMENT SUR LE TERRITOIRE DU MYANMAR ... 27

I. Les modes de saisine de la CPI ... 28

A. L’article 13 du Statut de Rome ... 28

B. Application aux faits commis exclusivement sur le territoire du Myanmar 30 C. Une situation critiquable ... 32

i. Un exercice politisé ... 32

ii. La volonté d’un changement procédural ... 34

II. Une possibilité d’acceptation de la compétence de la Cour par le Myanmar ? 35 A. L’importance de l’article 12 du Statut de Rome ... 35

B. La nécessité d’une bonne volonté de l’État concerné ... 36

. CHAPITRE 3 : UNE COMPETENCE DE LA CPI LIMITEE A LA DEPORTATION CONSTITUTIVE D’UN CRIME CONTRE L’HUMANITE ... 38

I. La décision du 6 septembre 2018 ... 39

A. Une procédure inédite ... 39

i. La distinction entre la déportation et le transfert forcé ... 39

ii. La question de « la conduite » et de la compétence de la Cour en l’espèce ... 42

iii. Légitimation de sa démarche sur la base de l’article 19(3) du Statut de Rome ... 45

B. La décision favorable à l’ouverture d’un examen préliminaire ... 48

i. La Cour favorable à l’ouverture d’un examen préliminaire relatif à la crise des Rohingyas ... 48

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iv

iii. Les incidences positives de la décision de la Chambre préliminaire I 56

II. La question de la persécution et d’autres actes inhumains ... 58

A. Une question d’actualité ... 58

B. Étude du crime de persécution et application à l’espèce ... 59

i. Déni des droits fondamentaux ... 60

ii. Les motifs discriminatoires ... 61

iii. La nécessaire corrélation avec un crime visé à l’article 7 ou un autre crime relevant de la compétence de la Cour ... 62

iv. La compétence de la Cour relativement à la persécution ... 63

C. Les autres actes inhumains ... 64

. PARTIE 2 : LES OUTILS LEGISLATIFS FRANÇAIS ET CANADIENS POUVANT PALLIER LA COMPETENCE LIMITEE DE LA CPI : ETUDE COMPARATIVE DE LA PLACE DE CES CRIMES DANS CHAQUE ORDRE JURIDIQUE ET DE LA PREVISION DE LA COMPETENCE UNIVERSELLE 67 . CHAPITRE 1 : LA PREVISION DES CRIMES INTERNATIONAUX AU SEIN DES ORDRES JURIDIQUES FRANÇAIS ET CANADIEN ... 67

. CHAPITRE 2 : LA COMPETENCE UNIVERSELLE : UNE EXCEPTION AUX COMPETENCES TERRITORIALE ET PERSONNELLE DES JURIDICTIONS ... 73

I. Un rappel de la compétence primaire s’incarnant à travers le principe de territorialité ... 74

A. Définition du principe de territorialité ... 74

B. Application du principe de territorialité en France et au Canada ... 76

II. La compétence personnelle des juridictions ... 77

III. La compétence universelle ... 79

A. La compétence universelle : définition, apparition et rôle joué sur le plan international ... 79

B. Une mise en œuvre effective du principe de complémentarité de la CPI à travers la CU ... 82

. CHAPITRE 3 : ÉTUDE COMPARATIVE DE LA COMPETENCE UNIVERSELLE AU REGARD DES DROITS PENAUX FRANÇAIS ET CANADIEN ... 87

I. La place de la compétence universelle dans les ordres juridiques français et canadien ... 88

A. Prévision de la compétence universelle en France ... 88

i. La compétence universelle découlant du Code pénal et de certaines conventions internationales ... 88

ii. La compétence universelle française pour les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale ... 90

B. Prévision de la compétence universelle au Canada ... 92

II. Les conditions de mise en œuvre de la compétence universelle en France et au Canada ... 95

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v

A. Les conditions communes de mise en œuvre ... 95

i. Une exigence commune quant à la localisation du suspect ... 95

ii. Un accord du Procureur nécessaire dans les deux législations pour l’exercice de la compétence universelle ... 100

B. Les conditions de mise en œuvre de la compétence universelle propres à la France ... 105

i. L’exigence d’une réciprocité d’incrimination ... 105

ii. Un principe de complémentarité inversé ... 106

C. Une particularité propre à chaque cas de compétence universelle restreignant son application dans les deux législations ... 108

i. Au Canada : la réalité de la politique du « no safe haven » : une expulsion préférée aux poursuites ... 109

ii. En France : malgré les réformes, un exercice de la compétence universelle bloqué ... 113

III. Les pratiques française et canadienne de poursuites basées sur la compétence universelle ... 116

A. L’exercice de la compétence universelle en France ... 116

B. L’exercice de la compétence universelle au Canada ... 119

. CONCLUSION GÉNÉRALE ... 122

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vi

.

PRINCIPALES ABREVIATIONS

BDP = Bureau du Procureur CAI = Conflit armé international CANI = Conflit armé non-international

Cass. Crim. = Chambre criminelle de la Cour de Cassation CConstit = Conseil Constitutionnel

CIJ = Commission internationale de Juristes CIJustice = Cour internationale de justice CPI = Cour pénale internationale

CP = Code pénal

CPP = Code de procédure pénale CU = Compétence universelle NU = Nations Unies

ONG = Organisation non-gouvernementale ONU = Organisation des Nations Unies

PCJI = Partenariat canadien pour la justice internationale QCCS = Cour supérieure du Québec

SR = Statut de Rome

TPIR = Tribunal pénal international pour le Rwanda TPIY = Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

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vii

.

REMERCIEMENTS

Je tiens avant tout à exprimer ma reconnaissance à Messieurs les Professeurs Bertrand de Lamy et Pierre Rainville pour m’avoir offert la possibilité d’intégrer ce double-diplôme, en droit comparé, unissant les universités Laval et Toulouse Capitole I. Cette expérience fut enrichissante tant d’un point de vue universitaire que personnel.

Je tiens également à remercier mes directrices de recherche, Mesdames les Professeures Fannie Lafontaine et Amané Gogorza pour leur accompagnement et leurs précieux conseils tout au long de l’élaboration de ce travail de recherche. Sans ces dernières, je n’aurais pu envisager les différentes perspectives retranscrites dans ce mémoire.

La Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux, ayant organisé des ateliers relatifs à la rédaction d’un mémoire et ayant été présente tout au long de ce séjour et dans ce travail d’élaboration de ce mémoire, m’a beaucoup aidée. Je tiens à remercier toutes les personnes la composant.

Je souhaite également exprimer ma plus sincère gratitude à Mathilde, ma précieuse amie, qui, par son soutien et sa gentillesse, a été présente tout au long de ce séjour canadien, afin de m’épauler et de me rassurer dans les moments de doute.

A toi, Adrien, merci pour ce soutien quotidien durant ces cinq mois à cinq milles kilomètres l’un de l’autre. Ta présence, quoique virtuelle, dans les bons comme dans les mauvais moments, fut vitale et me permit de tenir et d’accomplir ce à quoi j’aspirais. Finalement, je tiens à remercier ma chère maman, Isabelle, tant pour la relecture de ce travail de recherche, que pour son accompagnement et son amour qui m’ont guidée durant mon expérience canadienne.

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« Beaucoup pensaient, sans aucun doute, que les horreurs de la Seconde Guerre

mondiale (les camps, la cruauté, les exterminations, l'Holocauste) ne pourraient jamais se reproduire. Et pourtant on les a revues. Au Cambodge, en Bosnie-Herzégovine, au Rwanda. Notre temps, cette décennie même, nous a montré que l'être humain a une capacité sans limites de faire le mal. »

Kofi ANNAN, Secrétaire général de l’ONU de l’époque, lors de l’ouverture de la conférence de Rome au mois de mai 1998

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1

.

INTRODUCTION

Le 25 août 2017 marque, à nouveau, le départ d’une répression sanglante commise à l’encontre des Rohingyas. Les Rohingyas représentent un groupe ethnique de religion musulmane installé dans le nord de l’État Rakhine au Myanmar. Ils représentent environ 2% de la population totale du pays1. Depuis le XXème siècle, ils font l’objet de

persécutions en raison des différences socio-culturelles, religieuses et économiques existantes avec la population locale, majoritairement bouddhiste. Ces différences n’ont eu de cesse d’accroitre l’animosité entre ces deux ethnies2.

Contexte historique. Les Rohingyas sont arrivés au Myanmar à la suite de l’annexion par les Anglais de l’État d’Arakan (aujourd’hui État Rakhine) selon les termes du traité de Yandabo le 24 février 1826, marquant la fin de la première guerre anglo-birmane3.

Lorsque les Britanniques sont arrivés sur le territoire, le rendement agricole était faible (terres fertiles et peu exploitées) et la population disséminée ce qui conduisait à une très faible production agricole4. C’est pour cette raison que les Anglais ont décidé, au vu du

manque de population et de la qualité de la terre, de mettre en place une politique de renforcement de la main d’œuvre. Cependant, ce n’est pas la population locale de l’époque, les arakanais de confession bouddhique, que les anglais allaient privilégier. En effet, leurs pratiques agricoles avaient la réputation d’être l’une des plus « frustres » car ces derniers étaient « moins enclins à utiliser les engrais organiques »5. Les colons ont

ainsi fait le choix de mettre en œuvre une politique d’immigration massive afin de disposer d’une main d’œuvre essentiellement bengali qui était réputée plus « dynamique » et plus « dure à la tâche »6. Selon les autorités birmanes et les locaux, cet

épisode migratoire fut à l’origine de la présence musulmane dans cette région7.

Cependant, cette politique allait rapidement créer un fossé entre les Rohingyas et les populations locales.

1 Fortify Rights, They gave them long swords, Preparations for Genocide and Crimes Against Humanity

Against Rohingya Muslims in Rakhine State, Myanmar, Juillet 2018, p. 36

2 Gabriel DEFERT, Les Rohingya de Birmanie, arakanais, musulmans et apatrides, Éditions Aux lieux

d’être, 2007, p. 23

3 Didier TREUTENAERE, Rohingyas, de la fable à la réalité, Soukha Éditions, 2018, p. 19 4 Ibid., p. 21

5 Gabriel Defert, op. cit., p. 123 6 Gabriel DEFERT op. cit.., p. 123 7 Ibid., p. 134

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2

Le Myanmar devint indépendant le 4 janvier 19488, ce qui conduit au départ des

Britanniques, départ qui ne fut pas de bon augure pour les rohingyas qui avaient « tout à craindre et à perdre »9. Leur sort n’était pas tranché : soit il fallait les considérer comme

« une communauté autochtone de l’Arakan » et donc leur accorder « le statut de race nationale », soit, du fait de leurs origines bengalies et leur rôle joué lors de la colonisation et occupation britannique, les voir comme des étrangers au Myanmar car « supplétifs d’entreprise »10. Durant les premières années de son indépendance, le débat quant à leur

sort est resté ouvert11 et rien ne laissait présager de la gravité de ce qui allait suivre.

En 1978, à la suite de la guerre indo-pakistanaise et de l’indépendance du Bangladesh, la frontière occidentale du Myanmar est vue comme une zone d’instabilité. En effet, les nationaux craignaient qu’une nouvelle vague d’immigration touche le pays et que des étrangers, notamment de confession musulmane, ne trouvent refuge dans leur pays12.

C’est pour cette raison et dans une volonté de lutte contre l’immigration clandestine que l’armée birmane a mis en place l’opération Nagamin. Qualifiée « d’opération de nettoyage » par des témoins rohingyas13, elle visait à identifier et contrôler l’identité des

personnes se trouvant sur le territoire du Myanmar. Après identification, l’armée devait « prendre des mesures contre les étrangers qui s’étaient infiltrés dans le pays illégalement »14. Durant cette opération, il fut rapporté que de multiples exactions

auraient été commises envers la population rohingya, ce qui amena à un exode de deux-cent mille personnes au printemps 1978 qui trouvèrent refuge au Bangladesh15.

Une nouvelle étape intervint en 1982 avec la Loi relative à la citoyenneté qui vint définir le citoyen birman, à savoir, celui qui appartient à l’une des 135 « races nationales » dont elle exposa la liste16. Cette loi ne reconnut que les seules populations dont la présence au

Myanmar était attestée avant la colonisation britannique, excluant de ce fait les

8 Gabriel DEFERT, op. cit., p. 147

9 Didier TREUTENAERE, op. cit., p.22-23 10 Gabriel DEFERT, op. cit, p. 145

11 Ibid., p. 147

12 Gabriel DEFERT, op. cit., p. 153

13 HABIBURAHMAN et Sophie ANSEL, Nous, les innommables, un tabou birman, Steinkis, 2012, p.

27-28

14 Déclaration du gouvernement birman du 16 novembre 2017 citée dans Choudhury R. ABRAR,

Reptriation of Rohingya Refugees, Refugee and Migratory Movements Research Unit, n.p., Dhaka, p. 8 dans Gabriel DEFERT, op. cit., p. 154

15 Gabriel Defert, op. cit., p. 154

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3

Rohingyas17. Près de 97% de la population musulmane, soit huit-cent mille rohingyas18

devinrent apatrides19. Au printemps 1991, un nouvel exode vers le Bangladesh vit le jour.

Soumis à des travaux forcés20, à des violences, à des confiscations de terre, mais encore

à des viols et exécutions sommaires, pas moins de deux-cent soixante mille Rohingyas, en l’espace de quelques mois, rejoignirent le Bangladesh21.

Ainsi, le gouvernement et l’armée n’ont cessé de mettre en place des mesures restrictives à l’encontre des Rohingyas. Renforcement de contrôle envers des populations « dont on craint l’activisme politique », volonté d’éviter « une contamination raciale » de la population birmane, contrôle des communications de ces derniers, l’éducation leur est également interdite et les études universitaires ne leur sont plus permises depuis 200522.

Le but est de réduire leur démographie si bien que le gouvernement, dans cette stratégie, a décidé de restreindre leur droit au mariage par le paiement de frais exorbitants23.

Habiburahman en témoigne : « Pour les Rohingyas, être amoureux est bien pire car au-delà de l’aval des parents, c’est l’aval des autorités dont nous avons besoin pour nous unir. Aval impossible et hors de prix pour la plupart d’entre nous »24. De plus, beaucoup

de témoignages font état de Rohingyas « sans terre », révélant ainsi « une dégradation progressive de la situation du plus grand nombre » dans la mesure où ces derniers possédaient à l’origine les terres de leurs ancêtres25.

Cette dégradation progressive se confirme en 2012. Le 28 mai, une jeune bouddhiste de 27 ans, Khin Thida Htwe est retrouvée violée et assassinée. Trois musulmans sont arrêtés et emprisonnés, accusés du meurtre de la jeune femme. Quelques jours plus tard, un bus transportant des pèlerins musulmans est attaqué par trois-cents villageois rakhines. Les passagers seront torturés et tués sous leurs coups26. Habiburahman parle d’une « fièvre

17 Didier TREUTENAERE, op. cit., p. 30

18 HABIBURAHMAN et Sophie ANSEL, op. cit., p. 21 19 Gabriel DEFERT, op. cit., p. 155

20 Ibid., p. 209

21 Fédération internationale des Ligues des Droits de l’Homme, Rapport de la mission internationale

d’enquête : Birmanie : répression, discrimination et nettoyage ethnique en Arakan, avril 2000, https://www.fidh.org/IMG/pdf/birmarak.pdf, p. 4, consultée le 29 avril 2019

22 Gabriel DEFERT, op. cit., p. 172 à 174 23 Ibid., p. 177

24 HABIBURAHMAN et Sophie ANSEL, op. cit., p. 138 25 Gabriel DEFERT, op. cit., p. 190

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4

de haine meurtrière » s’emparant de l’Arakan et inarrêtable27. Effectivement, depuis le 8

juin 2012, des « attaques à caractère génocidaire »28 contre des rohingyas reprirent. Sur

la base de plus de quarante témoignages et d’investigations d’activistes rohingyas, plus de dix-mille d’entre eux auraient été tués, soixante-dix villages détruits, des violences commises telles que des viols, des rackets, etc. Le gouvernement a systématiquement refusé que des organisations non gouvernementales (ONG) et organisations humanitaires enquêtent sur leur territoire afin de rendre compte du massacre29.

Quelques années plus tard, en 2016, peu de changement si ce n’est que du côté des Rohingyas, des groupes djihadistes se forment et attaquent des postes de frontière causant la mort de plusieurs soldats. En réponse à ces attaques, l’armée birmane mène des investigations et poursuites de grandes envergures menant à plusieurs centaines d’arrestations et à la mort d’environ soixante-neuf insurgés. Cependant, ces opérations ne se sont pas menées sans embûche puisque pas moins de mille maisons de rohingyas sont brulées, de violentes exactions réalisées, conduisant, une fois de plus, environ soixante-quinze mille personnes à fuir vers le Bangladesh30.

Exactions de 2017 et problématique posée par la prépondérance de l’armée au Myanmar face à ces exactions. C’est une fois de plus un groupe djihadiste rohingya, le groupe Arakan Rohingya Salvation Army qui, le 25 août 2017, a mené des attaques coordonnées contre des postes de la police du Myanmar et de l’armée31. Douze policiers,

militaires et soixante-dix-sept djihadistes sont décédés. La réaction à ces attaques de la part notamment de l’armée birmane fut d’une grande ampleur et aurait conduit, selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), à plus de dix mille décès32. De multiples

exactions, de différentes natures, auraient été commises par l’armée envers les Rohingyas, sous le commandement de plusieurs chefs militaires birmans33.

27 Ibid.

28. HABIBURAHMAN et Sophie ANSEL, op. cit, p. 363 29 Ibid, p. 360

30 Didier TREUTENAERE, op. cit., p. 37

31 Bob RAE, Dites-leur que nous sommes humains, Ce que le Canada et le monde peuvent faire au sujet

de la crise Rohingya, Rapport, 2018, p.11, https://international.gc.ca/world-monde/assets/pdfs/rohingya_crisis_fra.pdf, page consultée le 10 mai 2019

32 Organisation des Nations-Unies, Rapport de la mission d’enquête internationale indépendante sur le

Myanmar, septembre 2018, p. 353, para. 1395

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5

Le rôle de l’armée au Myanmar est prépondérant. En effet, une très forte domination de la Tatmadaw, l’armée, est constatée depuis des décennies, notamment depuis le coup d’État militaire de 196234. En 2008, une proposition de réforme de la constitution du pays

est réalisée dans laquelle des prérogatives importantes seraient confiées à l’armée. Elle fut votée le 10 mai 2008 alors que quelques jours plus tôt, un cyclone frappa le pays et causa des milliers de pertes humaines et des dommages matériels considérables35. Une

évolution en faveur de la démocratie aurait pu prendre place en 2012, lorsque le parti de Aung San Suu Kyi, chef de la ligue nationale pour la démocratie36 gagna des sièges

parlementaires. Cependant, la tentative de diminuer la puissance du rôle militaire fut un échec37.

Quelques années plus tard, lors des élections de 2015 visant à élire un nouveau gouvernement, le parti d’Aung San Suu Kyi gagna 60% des sièges parlementaires. Celle-ci devint présidente de facto du pays38. En effet, la Constitution du Myanmar, n’a pu lui

permettre d’accéder à la présidence dans la mesure où son article 59 prévoit que si un candidat est marié à une personne d’une nationalité autre que birmane, l’accession est impossible39. C’était le cas puisque cette dernière était mariée à un citoyen britannique,

Michael Aris40. De ce fait, son rôle au sein du gouvernement est plutôt celui d’une

conseillère d’État ou encore de ministre des Affaires étrangères. Bob Rae ajoute que les fonctions de cette dernière ne sont pas « clairement définies »41. Son pouvoir au sein du

gouvernement est donc à relativiser. Son accession au pouvoir aurait légitimement pu laisser penser à la chute du pouvoir militaire. Il n’en fut rien dans la mesure où aujourd’hui, les pouvoirs de l’armée sont majeurs. Bob Rae affirme qu’elle « opère un contrôle ferme sur les ministères » au sein du gouvernement actuel42. Par exemple, le

parti miliaire garde la prérogative de nommer le ministre de la défense, des affaires internes et étrangères43. Ce qui n’est pas des moindres.

34 Organisation des Nations-Unies, op. cit., p. 21-22, para. 71 35 Ibid., p. 23, para. 76

36 Bob Rae, op. cit., p. 4

37 Organisation des Nations unies, Rapport, op. cit., p. 23, para 78 38 Ibid., p. 23-24, para 80

39 Constitution de la République de l’Union du Myanmar, article 59 40 NY Times, Michael V. Aris, 53, dies ; Scholarly Husband of Laureate,

https://www.nytimes.com/1999/03/30/world/michael-v-aris-53-dies-scholarly-husband-of-laureate.html, page consultée le 29 mai 2019

41 Bob Rae, op. cit., p. 4 42 Ibid.

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6

Durant les événements de 2017, le chef militaire était le Général Min Aung Hlaing. En vertu de la constitution du Myanmar, il dispose du « droit d’administrer et adjudiquer de manière indépendante toutes les affaires des forces armées »44. Son rôle est important et

il dispose de la capacité de formuler des directives, des ordres à l’armée, raison pour laquelle il est aujourd’hui impliqué avec d’autres hauts militaires, dans les exactions commises à partir du mois d’aout 2017 envers les rohingyas par l’armée birmane45.

L’attitude de la cheffe du gouvernement, Aung San Suu Kyi fut fortement critiquée. Lauréate du prix Nobel de la paix en 1991 en raison de son opposition à la dictature militaire en Birmanie, il lui est principalement reproché son silence et son inaction quant aux faits commis au Myanmar contre les rohingyas, par l’armée46.

Les événements débutés au mois d’août 2017 ont conduit 725 000 Rohingyas à fuir au Bangladesh et ils étaient un million dans les camps de réfugiés, au cours de l’année 2018, si on compte les anciens réfugiés des exodes précédents47.

Les réactions internationales relatives aux événements d’août 2017. Les réactions internationales furent nombreuses suite à ces exactions. L’ONU s’est très vite inquiétée de la situation au Myanmar particulièrement dans les États Rakhine, Kachin et Shan, territoires où vivent les Rohingyas48. Elle a condamné les violences commises et a appelé

les autorités birmanes à une amélioration de la situation en stoppant les opérations militaires, en désamorçant la situation et garantissant un retour des réfugiés. Elle a également affirmé qu’il fallait que le Myanmar prenne des sanctions envers les responsables et qu’elle lutte pour assurer le respect des droits de l’homme49. L’ONU a

appelé à une plus grande coopération du Myanmar sur la question50. En effet et un peu

plus tard, après divers rapports plus précis et avancés, elle a considéré que des crimes

44 Constitution de la République de l’Union du Myanmar, Traduction, s. 20(b) 45 Fortify Rights, They gave them long swords, Rapport, Juillet 2018, p. 117-125

46 Alain JOURDAN, Silence coupable d’Aung San Suu Kyi dans le drame des Rohingyas, Journal 24

heures, 27 aout 2018, https://www.24heures.ch/monde/asie-oceanie/Silence-coupable-d-Aung-San-Suu-Kyi-dans-le-drame-des-Rohingyas/story/20118056, article consulté le 29 avril 2019

47 Organisation des Nations-Unies, op. cit., p. 278, para. 1174

48 Assemblée Générale des Nations-Unies, Résolution 72/248 sur la situation des droits de l’homme au

Myanmar, 24 décembre 2017, https://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=A/RES/72/248, consulté le 10 mai 2019

49 Ibid. 50 Ibid.

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7

relevant du droit international pénal avaient été commis51 et a estimé que des poursuites

contre les responsables militaires devaient être entreprises52.

En France, Monsieur le Président Emmanuel Macron a qualifié les faits de « nettoyage ethnique »53 et a décidé de « renforcer l’embargo sur les armes à destination de la

Birmanie »54. De plus, l’aide financière apportée au Bangladesh à destination des réfugiés

rohingyas s’est élevée à 7,5 millions d’euros55. S’agissant du Canada, sa prise de position

fut très précoce. Il a fortement condamné la situation et a décidé d’appuyer les efforts afin de traduire en justice les principaux responsables. Son aide financière à destination du Bangladesh fut très importante, comme la France, et s’est élevée à plusieurs millions de dollars canadiens 56. De plus, symboliquement, le pays a décidé de déchoir Aung San Suu

Kyi de sa citoyenneté honorifique qui lui avait été attribuée en 2007, compte tenu de son silence et de son inaction face aux événements débutés le 25 août 201757.

Une volonté de lutter contre l’impunité. Ainsi, au regard de la communauté internationale, une nécessité de juger les principaux responsables de ces atrocités est rapidement apparue. En effet, l’une des principales fonctions de la justice internationale pénale est répressive : la lutte contre l’impunité58. De plus, cette justice participe de

« l’objectif de préservation de la paix et de la sécurité internationale »59 et des exactions

comme celles commises depuis août 2017, envers les Rohingyas, ne doivent pas laisser place à l’inaction internationale.

La question de la création d’une juridiction pénale internationale ad hoc, c’est-à-dire limitée dans le temps, s’est légitimement posée. Il s’agit d’une « institution

51 Organisation des Nations-Unies, op.cit., p. 351 à 380 52 Ibid., p. 382 à 393

53 M. le Président Emmanuel MACRON, Assemblée générale des Nations-Unies, le 19 septembre 2017 54 France Diplomatie, La crise des Rohingyas,

https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/dossiers-pays/birmanie/la-crise-des-rohingyas/, para. 8, page consultée le 23 avril 2019

55 Ibid., para. 12, page consultée le 23 avril 2019

56 Gouvernement du Canada, Le Canada et la crise des Rohingyas dans l’État de Rakhine au Myanmar,

https://international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_developpement/response_conflict-reponse_conflits/crisis-crises/myanmar.aspx?lang=fra, para. 1-3, page consultée le 23 avril 2019

57 Radio-Canada, La dirigeante Aung San Suu Kyi n’est plus canadienne, septembre 2018,

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1126564/dirigeante-birmane-aung-san-suu-kyi-citoyennete-canadienne-myanmar-rohingyas/, article consulté le 29 avril 2019

58 Aurélien-Thibault LEMASSON, Justice internationale pénale : institutions, Dalloz, Juin 2012, Section

2 : idéologie équitable du système, para. 33

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8

juridictionnelle internationale, créée à titre d'organe subsidiaire du Conseil de Sécurité des Nations Unies, et chargée de poursuivre et juger les individus tenus responsables des crimes du droit international commis dans le cadre d'un conflit donné »60. Le droit

international pénal en connut deux : le tribunal pénal international ad hoc pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY) (1993) et celui pour le Rwanda (TPIR) (1994). Tous deux furent créés par résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies (la résolution 80861 et la

résolution 95562) agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies intitulé

« Action en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix et d’actes d’agression »63.

Face à la crise des Rohingyas, l’ONU pourrait agir de la sorte. Or, l’un de ses membres permanents, la Chine, est un fervent allié du Myanmar, représentant ainsi un obstacle à cette option.

Une autre option peut être envisagée et s’incarne au travers de la Cour pénale internationale (CPI). Créée par le Statut de Rome et entrée en vigueur en 200264, elle

semble au premier abord favoriser les objectifs de la justice internationale pénale notamment la lutte contre l’impunité. Effectivement, elle est la première juridiction pénale internationale « pérenne »65 et est compétente pour juger des crimes de génocide,

des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et des crimes d’agression66. Le 18

septembre 2018, elle a annoncé l’ouverture d’un examen préliminaire concernant la déportation présumée du peuple rohingya, du Myanmar vers le Bangladesh, constitutive d’un crime contre l’humanité67. Elle représente ainsi une option qui n’est pas à

sous-estimer et qui permettrait de juger les responsables des exactions commises envers les Rohingyas.

60Gérard MPOZENZI, La primauté des tribunaux pénaux internationaux ad hoc sur la justice pénale des

États, 2003, Mémoire, para. I.I.I, https://www.memoireonline.com/12/10/4187/m_La-primaute-des-tribunaux-penaux-internationaux-ad-hoc-sur-la-justice-penale-des-etats3.html, page consultée le 14 mai 2019

61 Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution S/RES/808, 22 février 1993,

https://undocs.org/fr/S/RES/808(1993), page consultée le 14 mai 2019

62 Conseil de sécurité des Nations unies, Résolution S/RES/955, 8 novembre 1994,

https://undocs.org/fr/S/RES/955(1994), page consultée le 14 mai 2019

63Charte des Nations unies, Chapitre VII,

https://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vii/index.html, page consultée le 14 mai 2019

64 Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 1998

65 Raphaëlle NOLLEZ-GOLDBACH, La Cour pénale internationale, Que sais-je, 2018, p. 43 66 Statut de Rome, 1998, article 5

67 CPI, Chambre préliminaire I, Decision on the “Prosecution’s Request for a Ruling on Jurisdiction under

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9

En droit interne canadien et sur la question de la crise des Rohingyas, le bureau de la ministre des Affaires étrangères a affirmé qu’ils allaient continuer de « soutenir les Rohingyas en (…) imposant des sanctions contre les généraux du Myanmar »68. En effet,

des outils législatifs existent en droit pénal canadien, mais également français, qui peuvent permettre de juger les responsables de crimes internationaux et ce, même si ces derniers n’ont pas été commis sur leur territoire ou par/contre un de leur ressortissant. Le choix de ces deux pays pour ce sujet de recherche n’est pas anodin. Le Canada s’est très vite distingué sur la question de la crise des Rohingyas en ce qu’il a rapidement condamné les crimes commis et apporté son aide financière tout comme la France. De plus, ces deux pays sont engagés sur la question de la lutte contre l’impunité : ils sont parties au Statut de Rome et prévoient au sein de leur ordre juridique le mécanisme de la compétence universelle qui permet le jugement de criminels internationaux sous certaines conditions. En ce sens, ils ont déjà jugé des criminels, sur leur territoire, notamment ceux ayant pris part à la commission du génocide rwandais.

Objectifs de l’étude. Divers objectifs sont poursuivis dans le cadre de notre recherche. Dans un premier temps, il semble nécessaire d’appuyer le raisonnement des Nations-Unies relatif au fait que les Rohingyas ont été les victimes de crimes internationaux considérés comme les plus graves, et illustrer cela par des rapports et des témoignages de survivants. Il convient également de démontrer que la compétence de la CPI est restreinte en l’espèce, chose qui ne devrait pas arriver étant donné la gravité des faits et les objectifs de la justice internationale pénale dont l’un d’eux est de ne laisser aucune place à l’impunité. Un changement procédural doit être réalisé à ce niveau et consiste en une suppression du droit de VETO pouvant être exercé par les membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, relativement à la saisine de la Cour. Finalement, une autre démonstration sera nécessaire, c’est de prouver qu’il existe en droit français et en droit canadien des mécanismes qui pourraient pallier la compétence limitée de la Cour et répondre à la question de la lutte contre l’impunité des crimes internationaux.

Problématique. La problématique que soulève ce sujet de recherche réside dans l’insuffisance des réponses internationales apportées à la lutte contre l’impunité des auteurs des crimes internationaux commis contre les Rohingyas.

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10

La question de la lutte contre l’impunité et de la légitimité de la Cour à y répondre efficacement n’est pas nouvelle et est traitée en doctrine depuis des années maintenant. Des auteurs comme Thomas Herran dans son article « La Cour pénale internationale entre passé et avenir », soulignent que la Cour, pour être la plus efficace possible dans cette lutte se doit d’étendre sa compétence69. D’autres dénoncent un exercice « politisé »70 du

droit de VETO faisant échec, dans certaines situations comme celle de la crise des Rohingyas, à la saisine de la Cour pour des faits donnés. Des études ont ainsi été menées en parallèle, quant à l’existence de mécanismes qui permettraient de lutter contre l’impunité des crimes internationaux, en droit interne71 comme celui de la compétence

universelle qui, en raison de sa nature permet le jugement d’auteurs de crimes graves n’ayant aucun lien de rattachement avec le pays (pas d’exigence de nationalité de l’auteur ou des victimes, ni d’exigence de localisation quant aux faits). Ce travail de recherche se situe dans le prolongement de celui de la majorité de la doctrine en ce qu’il illustre cette insuffisance de la CPI à mener à bien son objectif de lutte contre l’impunité, une nouvelle fois concernant la crise des Rohingyas et ce, pour des raisons établies par la doctrine et propose ainsi des remèdes tels que la compétence universelle pour pallier l’insuffisance de la Cour sur la question. Cette compétence fut déjà l’objet de nombreuses études et il apparait, en doctrine ainsi qu’au sein de ce travail, que pour être pleinement efficace, ses conditions de mise en œuvre doivent être modifiées.

La question générale de ce travail de recherche est la suivante :

Quelles sont les possibilités, au regard du droit international pénal, du droit pénal français et du droit pénal canadien de juger les responsables des crimes commis envers les Rohingyas ?

Effectivement, il semble nécessaire de s’interroger sur ces possibilités afin de remplir de la manière la plus effective l’objectif de lutte contre l’impunité des crimes internationaux. Cependant, il est très vite apparu un besoin de s’interroger sur les raisons d’une

69 Thomas HERRAN, La Cour pénale internationale entre passé et avenir, AJ Pénal 2018. 440 70 Amané GOGORZA, Rohingyas en Birmanie, quel rôle pour le droit pénal international ?, Recueil

Dalloz, 2017, p. 2360.

71 Pour l’exemple du Canada : Fannie LAFONTAINE, Prosecuting genocide, crimes against humanity

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11

compétence limitée de la Cour pénale internationale relativement aux crimes commis contre les Rohingyas mais également sur l’existence d’un mécanisme, dans les droits pénaux français et canadien, qui, au premier abord, semblerait pouvoir pallier la compétence de la Cour au regard des crimes commis envers les Rohingyas.

L’hypothèse de travail générale, relative à ce sujet, consiste à démontrer l’existence en droit pénal français et en droit pénal canadien de mécanismes qui pourraient pallier l’insuffisance des réponses internationales, en particulier celle de la Cour.

Ainsi, la première sous-hypothèse de travail consiste à démontrer que la compétence de la Cour pénale internationale, au regard des crimes commis contre les rohingyas, est limitée. Elle est limitée dans un premier temps car la saisine de la Cour est impossible pour les crimes commis exclusivement sur le territoire birman. L’article 13 du Statut de Rome prévoit trois cas dans lesquels la Cour sera compétente. Cependant, deux des options prévues par cet article font défaut car le Myanmar n’est pas partie au Statut de Rome. La dernière, celle prévoyant sa compétence quand une situation lui est déférée par le Conseil de sécurité des Nations Unies, aurait été envisageable mais est rendue quasi-impossible par un très probable VETO de pays alliés économiques du Myanmar à savoir la Chine et la Russie. La seule voie se présentant en l’espèce permettant un éventuel jugement des responsables a été admise par la Cour et consiste à poursuivre ces responsables pour la déportation qui est, au sens du Statut de Rome, constitutive du crime contre l’humanité. Les rohingyas, à la suite des exactions commises en Birmanie, ont été déportés jusqu’au Bangladesh, de sorte qu’un des éléments constitutifs du crime s’est réalisé sur le territoire du Bangladesh qui lui est partie au Statut.

Ainsi, sa compétence est certes possible mais réduite voire incomplète au regard de la gravité de la situation.

La seconde sous-hypothèse consistera en une étude comparative de l’un des mécanismes qui permettrait de juger les responsables des crimes commis contre les rohingyas. Les deux pays disposent du mécanisme de la compétence universelle. Prévue dans le Code de procédure pénale français (ayant d’ailleurs fait l’objet d’une récente réforme) et dans la Loi concernant les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre au Canada, ses conditions de mise en œuvre seront étudiées et comparées au regard des deux législations.

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12

Approches méthodologiques employées. Afin d’appuyer cette étude, différents types de recherche et différentes approches méthodologiques seront employés. Une approche de droit comparé sera adoptée. Comme le mentionne Imre Zajtay, directeur de recherche au Centre national de la Recherche scientifique, l’utilité du droit comparé est « multiple »72

et permet notamment « un échange international des connaissances »73. En effet, selon la

définition donnée par Boris Barraud, « le droit comparé consiste traditionnellement à comparer des droits issus de différentes cultures juridiques ou, du moins, de différents États »74. C’est en l’espèce ce que je ferai car les deux droits qui feront l’objet d’une

comparaison seront le droit pénal français et le droit pénal canadien.

Ensuite, je me livrerai à une analyse exégétique traditionnelle. Effectivement, et comme le définit le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, cette analyse va me permettre de « recueillir et agencer des données juridiques »75 et de me livrer à une

interprétation du droit positif76. En l’espèce, j’étudierai les différentes sources juridiques

existantes pour chacun des deux pays en matière de droit pénal mais également certaines sources internationales telles que le Statut de Rome.

J’emploierai également la théorie du droit. En effet, il me semble primordial d’approfondir l’étude de la doctrine et des textes juridiques qui permettraient de comprendre minutieusement les qualifications juridiques requises et de permettre un éventuel jugement des responsables des exactions commises contre les Rohingyas. C’est l’essence même de la théorie du droit puisqu’elle permet de « mieux comprendre le droit positif » mais aussi « évaluer et contrôler son application »77.

Finalement, une proposition de réforme du droit sera réalisée. Des modifications du droit me semblent opportunes face à certaines anomalies rencontrées lors de mes travaux de

72 Imre ZAJTAY, Problèmes méthodologiques du droit comparé, dans Aspects nouveaux de la pensée

juridique : recueil en hommage à Marc Ancel, vol. 1, Paris, A. Pedone, 1975, p.69-79, dans Recueil de textes, 2019, para. 4, p. 227

73 Ibid., para. 5

74 Boris BARRAUD, Le droit comparé, dans La recherche juridique (les branches de la recherche

juridique), L’Harmattan, coll. Logiques juridiques, 2016, p. 91 et ss.

75 Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, Le droit et le savoir, Ottawa, Division de

l’information, 1983, p. 71-80, dans Recueil de textes, 2019, p. 45

76 Ibid., p.45 77 Ibid., p.45

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13

recherche. Effectivement, le fait que la Cour pénale internationale se voit restreinte dans l’exercice de sa compétence en est une et amène, selon mon opinion, à envisager des corrections.

Pertinence de la recherche. La pertinence scientifique de ce sujet de recherche va reposer sur l’étude des moyens qui se présentent au niveau de la Cour pénale internationale mais aussi des droits pénaux français et canadien afin de juger les principaux responsables des crimes commis à l’encontre des Rohingyas. S’agissant de la pertinence sociale, elle va consister à montrer qu’en 2019 et face à de telles atrocités, la Cour pénale internationale peine à remplir intégralement l’une de ses fonctions essentielles à savoir, lutter contre l’impunité. De plus, ce sujet va permettre de montrer, que dans le système pénal canadien et celui français, différents dispositifs existent et peuvent pallier cette impunité.

Annonce du plan. C’est ainsi que dans une première partie seront étudiées les raisons de la limitation de la compétence de la CPI, relativement à la crise des Rohingyas (Partie première). Notre deuxième partie consistera à étudier de manière comparative la potentielle solution dont disposent, d’un point de vue pénal, la France et le Canada afin de lutter contre l’impunité et juger les principaux responsables des crimes commis à l’encontre des Rohingyas (Partie seconde).

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14

.

PARTIE 1 : UN ROLE LIMITÉ DE LA COUR PENALE

INTERNATIONALE

Afin d’étudier la raison de cette limitation de la compétence de la Cour, il convient, à titre introductif, de rappeler que les crimes commis à l’encontre des Rohingyas sont incriminés dans le Statut de Rome et pourraient permettre l’exercice de la compétence de la Cour (Chapitre 1). Cependant, la Cour se révèle être incompétente pour la majorité de ces crimes en raison de la localisation des faits (Chapitre 2) mais, cette dernière, par une démarche inédite, se révèle tout de même compétente pour une partie d’entre eux, notamment pour la déportation, constitutive d’un crime contre l’humanité (Chapitre 3).

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. Chapitre 1 : Les crimes internationaux, au regard du Statut de Rome,

commis à l’encontre des Rohingyas

Au regard de diverses sources, il est clairement établi que des crimes de génocide (I), des crimes contre l’humanité (II) mais encore des crimes de guerre (III), incriminés et punis au sein du Statut de Rome, ont été commis contre les Rohingyas.

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16

I.Le génocide

L’article 6 du Statut de Rome dispose que :

« On entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel »78.

On retrouve au sein de ces actes sous-jacents, le meurtre, le transfert forcé d’enfants ou encore des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique d’un individu. Ainsi, selon la lettre de l’article, pour qu’un génocide puisse être constitué, les actes doivent avoir pris la forme de l’un des cinq crimes énumérés par le Statut, doivent avoir été réalisés envers un groupe spécifique et ce, dans l’intention de détruire ce dernier79.

Selon la mission internationale indépendante d’établissement des faits au Myanmar, au sein de son rapport publié au mois de septembre 2018, il n’y a pas de doute pour affirmer que les Rohingyas appartiennent à un groupe particulier80, plus précisément à un groupe

protégé qui se distingue d’un autre, selon la Convention pour la prévention et la répression du génocide de 1948, de par sa nationalité, son ethnie, sa race ou encore sa religion81. Ces

critères ont été repris par les rédacteurs du Statut de Rome82. Les Rohingyas se

démarquent du reste de la population du Myanmar de par leur religion, ils sont musulmans alors que le reste de la population est majoritairement bouddhiste. En effet, 90 % de la population est bouddhiste et seulement 4% est chrétienne ou musulmane83. D’un point de

vue ethnique, ils se distinguent également des nationaux du Myanmar car ils disposent de leur propre culture et parlent leur propre langue84. Ils se distinguent également dans la

mesure où leur groupe racial diffère de celui des birmans85. Par exemple, leur peau est

78 Statut de Rome, article 6 79 Ibid.

80 Organisation des Nations-Unies, Rapport de la mission d’enquête internationale indépendante sur le

Myanmar, septembre 2018, para. 1391,p. 352

81 Convention pour la prévention et la répression du génocide, article II

82 Fortify Rights, They gave them long swords, Preparations for Genocide and Crimes against humanity

against Rohingya muslmis in Rhakine state, Myanmar, July 2018, p. 86

83 Martin MICHALON dans Géo Influences, Dossier : Fait religieux et construction de l’espace,

Religions, politique et espace(s) : « la question rohingya « en Birmanie (Myanmar), 18 octobre 2016, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-thematiques/fait-religieux-et-construction-de-l-espace/corpus-documentaire/rohingya-Birmanie, page consultée le 13 juin 2019

84 Fortify Rights, op. cit., p. 87

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17

plus foncée86. De plus, dans les faits, depuis des années, ils sont traités comme un groupe

distinct par le gouvernement et la population du pays qui ne les considèrent pas comme des nationaux87.

Afin que le crime de génocide puisse être constitué, l’un (ou plusieurs) des crimes (actes sous-jacents) listés à l’article 6 du Statut de Rome et évoqués précédemment doivent avoir été commis à l’encontre du groupe spécifique, soit en l’espèce, les Rohingyas. Le meurtre est inclus dans la liste et suppose une volonté de la part de son auteur de tuer un individu appartenant à un groupe particulier88.

Sur la base de témoignages de survivants, il ne peut qu’être établi que des meurtres ont été commis envers les Rohingyas et ce, intentionnellement. Par exemple, Rahana, une survivante de l’attaque au sein du township de Maungdaw, village rohingya, témoigne de décapitations réalisées par l’armée à l’encontre de Rohingyas au cours desquelles son mari et son père ont été tués. Elle affirme également avoir vu les militaires tirer à bout portant à destination de rohingyas alors qu’elle se cachait dans les champs89. Mohammed

Rafiq témoigne lui que le bruit des balles constituait un « bruit continu » et que presque tout le monde y a perdu la vie90.

Certains meurtres ont été commis à l’aide de couteaux et machettes, témoignant d’une grande barbarie. Rashida, un survivant, témoigne qu’il a vu des soldats égorger les victimes. N. Islam a vu, lui, des soldats jeter des enfants qui ne savaient pas nager dans la rivière afin de les noyer, certains n’étant âgés que de quelques mois. Le rapport de Fortify Rights fait état en ce sens état de vidéos démontrant très clairement les faits allégués91. Certains meurtres ont également été réalisés par le feu. En témoignent

plusieurs survivants qui attestent que des soldats ont brulés vives des familles entières92.

86 Fortify Rights, op. cit., p. 88 87 Ibid.

88 Éléments des crimes, article 6a) 89 Fortify Rights, op. cit., p. 60 90 Ibid.

91 Fortify Rights, op. cit., p. 61-63 92 Ibid.

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18

La mission d’enquête relative à la crise des Rohingyas de l’ONU a d’ailleurs en ce sens établi un bilan de dix mille décès ayant eu lieu suite aux exactions commises depuis le 25 aout 201793.

D’autres crimes prévus à l’article 6 sont établis tels que les atteintes graves à l’intégrité physique et psychique du groupe dont font par exemple partie les violences sexuelles commises par l’armée envers de nombreuses femmes rohingyas. Des viols ont été commis, collectifs même94, accompagnés de violences, de mutilations commises au

niveau de leurs organes reproductifs, mammaires, etc. Les Nations Unies affirment que les survivants de ces attaques, ayant échappé à la mort et enduré de terribles souffrances physiques mais également mentales sont les victimes d’atteintes graves à leur intégrité95.

D’un point de vue des atteintes à l’intégrité mentale, elles ne peuvent qu’être logiquement établies. Survivre à de telles atrocités marque à jamais ces victimes. C’est d’ailleurs ce que prouve le rapport des Nations Unies qui établit que de nombreuses victimes souffrent de traumatismes mentaux96 à la suite des exactions dont elles ont été victimes.

Ainsi, il semble clair qu’au moins deux des crimes sous-jacents prévus par le Statut de Rome pour constituer le crime de génocide ont été commis. Pour pouvoir constituer un génocide, ces crimes doivent avoir été commis avec une intention spécifique de la part de l’auteur : l’intention de détruire le groupe97. Effectivement, comme vu dans l’affaire

Akayesu, l’intention de détruire un groupe digne de protection doit être prouvée. Les juges ont précisé que cette destruction ne devait pas obligatoirement s’appliquer au groupe entier mais s’applique dès que l’un des crimes visés à l’article du Statut de Rome a été commis dans cette intention spécifique même s’il ne s’agit que d’une partie dudit groupe98.

Le rapport de la mission d’établissement des faits au Myanmar a conclu à la présence de cette intention génocidaire de la part des auteurs des crimes en se fixant sur cinq facteurs permettant de l’établir. Le premier facteur repose sur le contexte de haine et de mépris

93 Organisation des Nations-Unies, op. cit., para. 1395, p. 353 94 Fortify Rights, op. cit., p. 68

95 Organisation des Nations Unies, op. cit., para. 1397, p. 353 96 Ibid., para 198, p. 354

97 Bureau de la prévention du génocide et de la responsabilité de protéger, La Convention pour la

prévention et la répression du crime de génocide, 1948-2018, p. 5,

https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/Appeal-Ratification-Genocide-FactSheet-FR.PDF, page consultée le 13 juin 2019

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dans lequel les crimes commis à l’encontre des Rohingyas ont été perpétrés. En effet, depuis des années, des décennies même, les Rohingyas font l’objet de discriminations suite à leur appartenance à une ethnie, une race et une religion différente de celles des nationaux du Myanmar99. La mission affirme que cette « oppression et ce ciblage ont été

accompagnés et aggravés par la stigmatisation du groupe, un processus dans lequel les responsables du gouvernement, les forces de sécurité militaires et autres, et les personnalités religieuses ont joué un rôle »100. En effet, cette oppression s’est illustrée à

travers l’utilisation d’un langage haineux à leur encontre comme les publications sur le réseau social Facebook de la part de citoyens du Myanmar qui leur permettait de propager des discours haineux constituant une véritable propagande à l’encontre des Rohingyas101.

Le deuxième facteur, selon la Mission d’établissement des faits, est le rôle joué par le gouvernement, les personnalités politiques et l’armée dans cette crise. Par exemple, toujours sur le réseau social Facebook, des membres de la Tatmadaw n’ont pas hésité à faire part de leur joie d’être déployés sur les zones géographiques où vivaient les Rohingyas car les « Muslim dogs » constituaient une menace pour les citoyens du Myanmar102. Ainsi, les membres de l’armée, sur leur compte, ont menacé les Rohingyas

et même incité à la haine et à la violence les citoyens du Myanmar contre les Rohingyas. Ces comptes diffusant des propos haineux à l’encontre des Rohingyas ont été fermés par la plateforme car elle a été accusée de servir de relai à la diffusion de propagande103 . Pas

seulement sur Internet, ces propos haineux, à caractère de propagande étaient également repris lors de discours officiels comme l’illustre un discours du Général Min Aung Hlaing qui, au moment des exactions commises contre les Rohingyas, continuait de nier leur existence en ajoutant que le « Bengali problem » était un « travail inachevé »104.

Le troisième facteur sur lequel s’appuie la Mission afin de démontrer l’intention génocidaire est le suivant : « l’existence d’un plan et d’une police discriminatoire ayant la volonté de modifier la démographie et la composition ethnique de l’État Rakhine, le but étant de réduire la population Rohingya ». Ce plan n’est pas récent puisqu’il se traduit

99 Organisation des Nations Unies, op. cit., para. 1419, p. 359 100 Ibid.

101 Fortify Rights, op. cit., p. 95-96

102 Organisation des Nations Unies, op. cit., para. 1422, p. 360

103 Le Monde, En Birmanie, Facebook supprime des centaines de pages et de comptes liés à l’armée, 19

décembre 2018, https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/12/19/facebook-supprime-des-comptes-lies-selon-lui-a-l-armee-birmane_5399572_4408996.html, page consultée le 13 juin 2019

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notamment par le refus d’accorder aux Rohingyas la nationalité105. Un autre exemple est

criant: celui des viols et des mutilations sexuelles opérées sur les organes reproductifs des femmes Rohingyas afin qu’elles ne puissent plus infanter106.

Le quatrième facteur s’appuie sur l’existence d’un plan qui laisse à penser que l’armée avait organisé, de façon préméditée, les crimes qui allaient être commis107. En effet,

Fortify Rights fait état d’au moins six comportements qui ne laissent aucune place au doute. Au cours des mois qui ont précédé août 2017, des témoignages ont relaté que l’armée avait désarmé les Rohingyas en leur confisquant leurs couteaux de cuisine108, ce

qui avait par ailleurs surpris ces derniers, dont Rahana, qui témoignait à l’époque « on ne pouvait même pas garder un petit couteau à la maison »109. L’armée du Myanmar a

décidé, en plus, d’entrainer et d’armer ses nationaux, non-rohingyas, à partir du mois de novembre 2016, dans le cadre d’un programme d’entrainement se déroulant sur seize semaines. Des survivants témoignent avoir reconnu des civils ayant reçu ce programme d’entrainement au sein des auteurs des crimes commis envers les Rohingyas110. De plus,

des mois avant, le gouvernement a privé ces derniers de l’arrivée de nourriture et d’autres aides telles que l’aide humanitaire111. Une survivante rohingya témoigne, au mois d’août

2017, que le gouvernement a arrêté de livrer la nourriture depuis le mois de juillet. De plus, toujours à cette période, la présence militaire a augmenté, illustrant là, une fois de plus, le caractère préparé des attaques. Des témoins racontent s’être rendus compte de la présence de plus en plus importante de l’armée, des mois avant, sur les territoires où les Rohingyas ont bâti leurs villages112. Finalement, d’autres éléments illustrent clairement

ce caractère préparé tels que des violences commises à leur encontre, des disparitions forcées, des arrestations arbitraires ou encore la mise en place de diverses mesures discriminatoires telles qu’un couvre-feu à respecter par exemple113.

Le dernier facteur sur lequel s’appuie la Mission dans son rapport est repris de l’affaire le Procureur c. Jelisic du 5 juillet 2001114 et repose sur « l’extrême brutalité des actes et

105 Organisation des Nations Unies, op. cit., para. 1425, p. 361 106 Ibid., para 1426, p. 361

107 Ibid., para. 1428, p. 361-362 108 Fortify Rights, op. cit., p. 41 109 Ibid., p. 42

110 Fortify Rights, op. cit., p. 44 111 Fortify Rights, op. cit.,p. 46-48 112 Ibid., p. 50

113 Ibid., p. 50-51

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de la campagne menée à l’encontre des Rohingyas »115. La mission évoqueégalement

l’affaire du Procureur c. Ndindabahizi en affirmant qu’une attaque, d’une grande brutalité et gravité, qui vise des centaines voire des milliers d’individus qui appartiennent tous à la même ethnie, est démonstrative d’une volonté de détruire ledit groupe116.

Ainsi, au regard des éléments constitutifs du crime de génocide et après étude de ces derniers, il semble opportun de retenir cette qualification pour les faits commis à l’encontre des Rohingyas. D’autres qualifications s’y appliquent en l’espèce.

II.Le crime contre l’humanité

L’article 7 du Statut de Rome dispose que :

« L’on entend par crime contre l’humanité́ l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque »117.

Les actes sous-jacents concernés sont au nombre de onze. On y retrouve par exemple le meurtre, la torture, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation forcée, la persécution mais encore les disparitions forcées de personnes ou encore des violences sexuelles telles que le viol et l’esclavage sexuel. C’est lorsque ces actes sont commis dans le cadre d’une attaque généralisée et/ou systématique à l’encontre d’une population civile et cela en connaissance de la nature de l’attaque et de ses victimes de la part de l’auteur, qu’ils seront constitutifs d’un crime contre l’humanité118.

Il est évident, compte tenu des développements précédents basés sur des témoignages de victimes et de rapports, que des meurtres ainsi que des viols ont été commis par l’armée, contre des Rohingyas. S’agissant des autres crimes concernés, plusieurs se vérifient et semblent également constitués tels que la torture à savoir des « douleurs ou souffrances aiguës, physiques ou mentales »119. Fortify Rights, pour illustrer cela, fait état de soldats

ayant frappé, des heures durant, jusqu’à la mort des Rohingyas. De plus, des témoignages

115 Organisation des Nations Unies, op. cit., para. 1432, p. 362

116 TPIR, Le Procureur c. Ndindabahizi, , Jugement, ICTR-2001-71-T, 15 juillet 2004, para. 461 117 Statut de Rome, article 7

118 Statut de Rome, article 7

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font part que les soldats faisaient assister certains Rohingyas à la mort mais encore au

viol de membres de leur famille120.

L’esclavage sexuel, qui est également un acte sous-jacent pouvant être constitutif d’un crime contre l’humanité, a aussi été retenu dans le rapport de la Mission d’enquête des Nations Unies. Elle précise que ce crime peut être constitué dès lors que les femmes et filles sont « forcées à se soumettre à des travaux forcés qui impliquent des activités sexuelles obligatoires par leur ravisseur », ce qui s’est passé en l’espèce pour certaines femmes rohingyas121.

Les crimes de déportation et de persécution sont également mentionnés au sein de ces rapports mais feront l’objet d’une étude approfondie dans une partie postérieure.

Ainsi, pour que ces crimes puissent être constitutifs d’un crime contre l’humanité, ils doivent avoir été commis dans le cadre d’une attaque généralisée et/ou systématique contre une population civile, en connaissance de cette attaque, ce qu’ont, à la majorité, soutenu les divers rapports réalisés par les Nations Unies ou d’autres ONG.

Comme l’expose la jurisprudence de la Cour pénale internationale, « on entend par attaque un comportement impliquant la commission d’actes de violence »122. Cette

attaque doit résulter de la politique d’un État ou d’une organisation. L’existence de cette politique se traduit par une « attaque planifiée, dirigée ou organisée »123. En l’espèce,

l’attaque a bel et bien été établie, le caractère planifié (étudié précédemment) et prémédité des attaques, étudié par divers rapports, le prouve.

Cette attaque doit été généralisée ou systématique. Lorsqu’une attaque est généralisée, cela signifie qu’elle est menée sur une grande échelle avec notamment un nombre important de victimes124, son ampleur doit être massive soit par un acte singulier ou par

l’effet cumulé d’une série d’actes inhumains125. Lorsque l’attaque est systématique, cela

renvoie à « un scénario de crime, c’est-à-dire à la répétition délibérée et régulière de

120 Fortify Rights, op. cit., p. 107

121 Organisation des Nations Unies, op. cit., para. 1458, p. 369

122 TPIY, Chambre de première instance, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, Jugement, IT-96-23-T& IT-96-23/1-T, 22 février 2001, paras. 415-416

123 CPI, Chambre préliminaire I, Le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Décision

relative à la confirmation des charges, ICC‐01/04‐01/07, 30 septembre 2008, para. 396 124 Ibid., paras. 394-397

125 TPIY, Chambre de première instance I, Le Procureur c. Tihomir Blaskic, Jugement, IT-95-14-T, 3

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comportements criminels similaires »126. En l’espèce, l’attaque revêt de manière évidente

un caractère généralisée compte tenu du nombre de décès s’élevant à au moins à dix mille127 et au nombre de victimes survivantes, ayant dû fuir au Bangladesh, elles étaient

723 000 au 15 août 2018 à avoir fui depuis le 25 août 2017128. Cette attaque doit être

dirigée contre une population civile, c’est-à-dire « toutes les personnes civiles par opposition aux membres des forces armées et autres combattants légitimes »129. En

l’espèce, c’est le cas dans la mesure où les victimes sont la minorité rohingya qui n’appartient pas aux forces armées. Ainsi, le caractère particulier que doit revêtir l’attaque est caractérisé.

Finalement, afin que ces actes soient constitutifs d’un crime contre l’humanité, l’auteur doit avoir agi en ayant eu connaissance de l’attaque généralisée ou systématique. Un lien doit exister entre son acte et l’attaque. Comme l’exprime le TPIY dans l’affaire Kunarac, l’acte doit « faire partie » de l’attaque et ce, contre une population civile130. Fortify Rights

dans son rapport estime que cette condition est satisfaite dans la mesure où les proportions qu’ont pris les crimes commis à l’encontre des Rohingyas se sont révélées massives et que les réactions internationales furent nombreuses. Onze mille soldats furent impliqués dans les crimes concernés, leur déploiement ne pouvait laisser place au doute et ne pouvait que faire état de leur connaissance des opérations de « nettoyage » qui allaient se dérouler à partir d’août 2017131. Le rapport fait également état des résultats des analyses

de publications Facebook de soldats qui se vantaient d’avoir « nettoyé » des villages en les ayant brulé et ce, bien après le mois d’août 2017, en septembre132. Concernant le

Général Min Aung Hlaing, son compte Facebook fut également étudié et pas moins de trois-cent soixante publications à propos des opérations militaires s’étant déroulées dans les zones géographiques où vivent les Rohingyas sont arrivés à sa connaissance133. Il ne

pouvait ignorer cela, caractérisant ainsi cette connaissance du lien entre les crimes commis et l’attaque.

126 TPIY, Chambre de première instance, Le Procureur c. Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, Jugement, IT-96-23-T& IT-96-23/1-T, 22 février 2001, paras. 428-429

127 Organisation des Nations Unies, op. cit., para. 1395, p. 353

128 L’Agence des Nations Unies pour les réfugiés, Urgence Rohingya,

https://www.unhcr.org/fr/urgence-rohingya.html, page consultée le 13 juin 2019

129 TPIY, Chambre de première instance, Le Procureur c. Dusko Tadić, Jugement, IT-94-1-T, 7 mai 1997,

para. 638

130 Fortify Rights, op. cit., p. 115 131 Fortify Rights, op. cit., p. 116 132 Ibid.

Références

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